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Ricochets des projectiles

Quelques accidents survenus au cours de la dernière saison nous ont permis de noter, dans les commentaires dont ils ont été l'objet, une méconnaissance assez grande du comportement des projectiles employés à la chasse ; en particulier, une question se pose souvent : le ricochet est-il prévisible et dans quelle mesure ?

Nous connaissons tous le ricochet par l'élégante trajectoire du caillou plat lancé à fleur d'eau d'une main experte et nous en avons de nombreux exemples sous les yeux au cours d'une partie de billard, mais il s'agit là d'objets lancés à faible vitesse, et, dans le cas des projectiles d'armes à feu, les choses se passent un peu différemment.

Nous distinguerons plusieurs cas :

Lorsque l'obstacle frappé est dur et résistant et que son orientation est sensiblement perpendiculaire à la trajectoire, le projectile se déforme ou même se fragmente avec un dégagement de chaleur sensible.

Lorsque l'obstacle frappé n'est ni très dur, ni très résistant, il y a pénétration à partir d'un angle d'incidence variable avec la vitesse d'arrivée. En voici un exemple relatif à des projectiles sphériques tirés sur du bois :

Vitesse d'arrivée Pénétration
Bois dur Bois tendre
 
150 m.
200 m.
250m.
Angle supérieur à
54° :
37° :
29° :
Angle supérieur à
24° :
18° :
14° :

Au-dessous de ces valeurs angulaires, les projectiles ricochent. Dans quelles conditions ? Il est important de savoir que, contrairement à ce qui se passe pour les rayons lumineux, l'angle de ricochet est toujours supérieur à l'angle de choc. Il faut retenir en particulier que des balles sphériques en plomb arrivant avec une vitesse restante de 140 mètres sous un angle de 60° sur du bois de chêne ont un angle de ricochet d'environ 100°, ce qui leur procure une déviation totale de 160° en moyenne et les ramène presque dans la direction du tireur.

Il faut savoir aussi, ce qui surprendra beaucoup de chasseurs, que les projectiles du même genre tirés avec une vitesse restante inférieure à 120 mètres, perpendiculairement à une cible en bois dur, reviennent parfois sur le tireur jusqu'à 50 mètres de distance. Un chasseur peut donc se blesser lui-même et surtout atteindre un de ses proches voisins, bien qu'ayant pointé son arme dans une tout autre direction. Les balles allongées, tirées à grande vitesse, ricochent moins que les projectiles sphériques, mais ne sont guère employées que dans des armes rayées. Quant aux balles empennées, leurs chances de ricochet sont moindres que celles des balles sphériques.

À la chasse, très fréquents sont également les ricochets sur la terre et sur l'eau : on peut compter que les projectiles s'enfoncent dans ces deux milieux lorsque l'angle d'arrivée est supérieur à 13 ou 14°.

Enfin, par plusieurs ricochets successifs, en ligne droite ou le plus souvent en ligne brisée, les balles de calibre restent dangereuses à des distances supérieures à une centaine de mètres.

En possession de ces renseignements techniques qui proviennent des résultats d'essais faits à l'École de Tir de Châlons par le général Journée, quelles sont les règles pratiques que nous pouvons appliquer à la chasse, en vue de risquer le minimum d'accidents ?

En ce qui concerne les balles de calibre, il convient d'éviter les vitesses initiales trop faibles et de donner la préférence aux projectiles empennés. Au poste de tir, il faudra se souvenir que le roc est parfois moins dangereux que le bois et que, s'il est composé de grandes surfaces, la direction possible d'un ricochet est prévisible. Sous futaie, il convient d'étudier le terrain et de se méfier des troncs d'arbres groupés, même à des distances différentes ; certains postes de battue offrent plus de chances d'accidents que de chances de tir efficace ; il faut savoir ne pas les utiliser ou ne pas y placer n'importe quel tireur.

Nous dirons enfin que les chevrotines se comportent comme les balles et que, si elles sont réputées fournir plus de chances de ricochets, cela tient à leur nombre et à leurs vitesses généralement plus faibles. Balles et chevrotines sont toujours la cause d'accidents graves et on ne saurait être trop prudent dans leur emploi.

Passons maintenant aux ricochets des charges de plomb utilisables pour le moyen gibier. Sur les troncs d'arbres à écorce épaisse, les grains restent le plus souvent dans l'écorce sans autre incident. Sur la terre grasse, il y a parfois des ricochets assez surprenants ; sur la terre dure, en cas de sécheresse ou de gelée, on peut être certain d'en avoir régulièrement au delà de l'angle limite. Il convient de se méfier des terrains caillouteux, qui renvoient les plombs dans toutes les directions ; il est toujours recommandable de ne pas faire feu dans la direction d'un voisin, et, en terrain dur, la direction des ricochets est toujours imprévisible : nous avons entendu des grains de plomb passer dans les branches, à hauteur d'homme, alors que le coup avait été certainement tiré à terre dans une direction très différente. La règle est d'être excessivement prudent dans tous les cas ; il convient même de ne pas tirer un lapin au bord d'une haie quand un chien broussaille à quelques mètres sans être vu ; on peut tout au moins l'éborgner.

Avec plus de diversité nous pouvons faire des observations analogues en ce qui concerne le tir sous bois : dès que le branchage est important et horizontal, les plombs peuvent revenir au sol par un ou plusieurs ricochets et causer des blessures aux chasseurs voisins ou aux rabatteurs. On conçoit fort bien que, les angles d'arrivée étant des plus irréguliers, les ricochets sont imprévisibles dans leurs directions et leurs effets : une précaution utile est de ne pas utiliser de plomb plus gros que le n°6.

Enfin les ricochets sur l'eau et sur la glace sont, au contraire, des plus réguliers, en raison de l'homogénéité des milieux, et il suffit, pour éviter tout accident, de ne pas tirer dans la direction d'un voisin.

Nous avons parfois entendu parler du ricochet de deux plombs d'une même charge ; mécaniquement, la chose est impossible en raison de la faible divergence des grains et de leurs vitesses, qui ne leur permettraient qu'exceptionnellement de se rejoindre, sans choc d'ailleurs ; quant au ricochet de deux charges se croisant sur un même gibier, si la chose est théoriquement possible, sa probabilité est affectée d'un coefficient si faible qu'elle peut être tenue pour nulle. Il ne faut voir dans ce genre d'histoires de chasse que des illusions ou des tentatives de justification d'une imprudence.

En conclusion, après avoir reçu quelques grains de plomb au cours d'une carrière déjà longue, nous pouvons affirmer aux jeunes chasseurs que, sans être hanté par l'idée d'un ricochet toujours possible, il faut parfois savoir réserver son tir et se résoudre à tirer une pièce de moins en ne causant pas d'accident.

M. MARCHAND,

Ingénieur E. C. P.

Le Chasseur Français N°664 Juin 1952 Page 321