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Grives

Voilà des oiseaux dont la chasse est très en honneur dans le Midi. Alors que certains chroniqueurs ne leur attribuent qu'une médiocre valeur gastronomique, ils sont ici estimés au plus haut point.

Chacune des grives, selon son espèce et sa nourriture du moment, a un goût différent. La sédentaire draine mise à part et qui vraiment manque de finesse tout en ayant bon goût, elles portent en elle le parfum de l'hiver et de ses baies tardives.

Les grives communes sont celles qui arrivent les premières.

Dès le début d'octobre, on en trouve dans les bois, mais, à cette époque, leur habitat de prédilection est constitué par les vignes proches de ruisseaux buissonneux, de boqueteaux ou de files de grands arbres. Lorsque les vignes sont dégarnies, elles vivent jusqu'au départ dans les buissons, les touffes de lauriers ou de lierre.

À la Toussaint, si le ciel des bois est sillonné de litornes et de mauvis, le dicton veut que l'hiver soit favorable pour les grives. Celles-là ne peuvent être chassées qu'à l'affût et l'affût ne donne de bons résultats que par temps favorable, c'est-à-dire sec, venteux et froid.

Vers la mi-février, normalement, les grives quittent les bois et se répandent dans les plaines. On peut voir alors toutes les espèces mélangées picorant dans les prairies ou voletant sur les grands arbres.

Si l'on en croit les arrêtés préfectoraux, les grives seraient d'extraordinaires consommateurs d'olives. Leur chasse est autorisée à l'affût, sans chien, dans les communes où il existe des oliviers jusqu'à fin mars. Cette année, on a étendu l'autorisation, même en temps de neige. Et pourtant il n'y a plus d'olives sur les arbres.

À quand la chasse des moineaux qui mangent les cerises ?

Une sérieuse mise au point de l'affût aux grives s'imposerait.

Les grives communes ou tourdres sont les seules qui permettent le tir au vol devant soi. C'est une chasse très intéressante, que l'on pratique dans les vignes ou le long des haies et des buissons. La grive est un peu la bécassine des garrigues. Son vol est rapide et elle sait utiliser les obstacles. L'emploi d'un chien n'est pas indispensable. J'ai utilisé un minuscule cocker, très sage, qui retrouvait admirablement les blessés dans les broussailles.

Au brancher du soir, il y a des périodes où on tire beaucoup en quelques minutes. Les bois en pente exposés au Midi sont les meilleurs. On dresse des branches mortes dans les touffes de chênes verts. C'est sur ces branches que se posent merles, tourdres et mauvis. Les litornes n'y viennent pas.

Au bois, l'affût est de règle, car, avec les litornes et les mauvis, l'approche est impossible et il n'y a pas de voies de passage nettement déterminées.

Les régions favorables aux grives sont les plateaux boisés où croissent cades et genévriers. Là, les habitants du pays et les bergers pratiquent depuis toujours la pose de lèques, ce piège fait de pierres plates et de bâtonnets. On tend la lèque soit au pied d'un genévrier, soit, lorsque le temps est sec, sur un rocher un peu surélevé, dont un creux a gardé quelques gouttes d'eau.

Les grives prises à terre sont étouffées par la pierre, mais celles prises au creux d'un rocher restent souvent vivantes.

Ce fait a provoqué une mésaventure très authentique à un bien brave homme qui visitait, sans penser à mal, les lèques d'un autre.

Ils étaient bons amis. Mais le plus âgé était moins rapide et moins matinal. Il tendait de nombreuses lèques et se faisait ainsi tout l'hiver quelques revenus, car la grive se vend bien.

Il se douta un jour que ses pièges étaient l'objet de l'attention toute particulière de son ami.

« Je t'aurai », dit-il, et lorsqu'il ne douta plus que l'autre lui subtilisait des grives, il prépara une lèque à sa façon.

Sur un rocher formant tablette avec un joli creux où brillait un peu d'eau, il tendit ostensiblement une lèque parfaite. Mais, auparavant, il avait rempli le creux avec une magnifique « laissée » de berger bien noire et prête à point.

Il y avait piqué les plumes de la queue d'une grive et une patte coupée. Puis, d'un coup sec, il avait fait tomber la pierre, qui recouvrit le tout de façon fort naturelle.

— N'auras uno pleno man (tu en auras une pleine main), marmonna-t-il entre les quelques chicots qui lui restaient.

Le résultat ne fut pas long à venir. Le lendemain, son ami suivait négligemment, semblait-il, son chemin de la veille, cherchant les lèques tombées. La cueillette ne marchait pas très bien et ses yeux fouillaient avec envie les genévriers et les rochers. Il vit de loin la pierre tombée.

« Oh ! oh ! il y en a une belle là et une tia-tia encore. Elle doit être vivante. Fau pas que s'escape (il ne faut pas qu'elle s'échappe). »

Il examina soigneusement la pierre, la prit par un coin dans la main gauche et avança la droite toute arrondie, prête à saisir.

Il soulève la pierre et, d'un geste vif, passe la main et serre les doigts qui ne rencontrent qu'une molle résistance.

— Ah ! le cochon.

Allez donc trouver de l'eau sur ces plateaux où ne coule aucun ruisseau. Il n'eut que la ressource de s'essuyer les mains avec du buis, puis de la terre, et d'effacer la mauvaise odeur avec une bonne grosse plante de frigoule qui avait rêvé d'un autre civet.

Bien qu'il s'y attendît, il rougit tout de même un peu, en rentrant plus tard au café, lorsque plusieurs voix gouailleuses lui demandèrent :

— Alors, et ces grives ?

Jean GUIRAUD.

Le Chasseur Français N°664 Juin 1952 Page 327