Allons, Jacques, ferme tes cahiers. Viens faire l'école
buissonnière. Ensemble, nous feuilletterons le grand livre de la nature. Tu
verras, j'espère, bien des merveilles au chapitre des nids. Juin peuple tous
les berceaux ; déjà, dans les bosquets, draines et agassons essaient leurs
jeunes ailes.
Descendons vers la vallée. Vois-tu, près du ruisseau, les
grands points sombres au milieu des feuillages neufs ? Nous allons
inspecter quelques-uns de ces châteaux suspendus, pouponnières des becs droits.
Non, ne monte pas sur ce saule, il s'agit d'un nid de l'an dernier. Hisse-toi
plutôt jusqu'au pinceau du peuplier voisin. Quoi, ce tronc t'effraie ! ...
Tiens ! regarde. On saisit bien la branche. Rétablissement à la force des
poignets. Nouvelle escalade sans se hâter. Surtout ne lâche jamais une prise
sans avoir un appui solide. Prends garde à ces vieilles branches ...
Encore un effort. Nous y voici ...
Un panier, dis-tu ? C'est exact. Il y a même un
couvercle percé de deux entrées. La partie inférieure est bâtie avec de
l'argile. Construction en terre armée et armée de solides piquants. Sur le lit
de radicelles, six œufs. Cassons l'un d'eux. Ces oisillons doivent naître dans
deux ou trois jours. Il faudrait s'installer dans la haie avec une arme. Dès
que la mère reprend sa place, une bonne charge de 4. Débarras définitif. Comme
nous n'avons aucune autorisation, contentons-nous de vider le nid. Mauvais
travail, car le couple recommencera.
Si nous voulions continuer nos escalades, la matinée ne
suffirait point. Dans ce secteur, les pies abondent, sans oublier les
corneilles. De vraies fripouilles, celles-là. Leurs dégâts tant aux cultures
qu'au menu gibier augmentent sans cesse. Que fait-on contre elles ?
Surtout des projets de destruction. Il y a vingt ans, nous connaissions ces
noires voyageuses en hiver seulement.
Geais et pies-grièches, pillards réduits, n'abondent guère
dans nos régions. Tant mieux.
Maintenant nous allons essayer de découvrir des nids plus
délicats. Attendons à l'ombre de ce chêne. Peu de mouvement. Ah ! voici un
joli sittelle torchepot au dos d'ardoise. Où va-t-il ? Sur ce frêne ?
En es-tu sûr ? Approchons. Inspecte le tronc. Vois cette maçonnerie qui a
réduit l'ouverture. Le nid est à l'intérieur. Impossible de l'examiner. Dans
quelques semaines, la famille grimpante s'élancera à l'assaut des écorces,
inspectant les moindres fissures. Malheur aux larves.
Tous ces têtards perforés étaient, au temps de mon
insouciante jeunesse, de véritables volières dissimulant les familles
nombreuses de mésanges, moineaux soulcis, torcols, piverts. On y rencontrait
aussi, blancs et ronds, les œufs de chouettes. Et d'amusantes colonies de
huppes y trouvaient le logement de leurs rêves ... Aujourd'hui, que
d'appartements vides ! ...
Cet oisillon trapu, au vol saccadé, qui, à la pointe
flexible d'un saule, lance des drrr ! drrr ! ... étourdissants,
est un bruant royal — le chi-perdrix des provençaux. Les nids, bien
dissimulés, doivent échapper aux malfaiteurs emplumés, car, en septembre, des
vols fort denses peuplent les chaumes où nous poursuivons les cailles. Où
sont-elles, ces poulettes dodues dont le chant matinal éveille la plaine ?
Certainement en train de couver dans les céréales et les prairies. Gare à la
faucheuse ! ... Que de nichées ainsi anéanties ! ... Les
perdrix grises partagent le même triste privilège. Heureusement les becs rouges
préfèrent de sèches broussailles à ces éphémères couverts.
Tu es déçu de ne pas voir davantage de nids, Jacques.
Continuons notre promenade. Nous allons soigneusement inspecter le bosquet de
chênes têtards. Prends garde au moindre arbuste. Ce coin recevait autrefois des
dizaines de couples : draines et merles. Leur nombre a diminué, mais ...
Quoi ? Tu as trouvé quelque chose. J'accours. C'est une
famille de merles. Des jeunes de cinq ou six jours guère beaux à voir. Ils
ouvrent avidement un large bec ourlé de jaune ... Bruit d'ailes, ombre
noire, tcha ! tcha ! éperdus de la mère rebroussant chemin.
Laissons-lui la place.
Plus loin, nous découvrons le berceau abandonné d'un ménage
de draines. De fins débris blancs, la poussière des « canons »,
témoignent du départ des jeunes. Un ruisseau coule au bas de la pente. Il y a
par là une source glacée. Allons nous désaltérer. La fuite de deux tourterelles
jaillies d'un épais massif nous surprend. Après de longues recherches, le nid — quelques
brindilles entre-croisées — dangereusement fixé sur les rameaux d'érable
apparaît. Deux boules immaculées posées sur de fines radicelles semblent prêtes
à tomber. L'an dernier, les tourterelles furent particulièrement nombreuses. À
quelques pas de la maison, chaque été, un couple fidèle venait nicher dans le
maquis des pruniers sauvages. On ne verra plus les deux gracieux oiseaux
gris-perle que la mort a unis : les fils électriques, évités tant de fois,
heurtés en plein vol, ont amené ce doublé. Dommage ! Ils sont si élégants,
ces sveltes oiseaux, qu'on hésite parfois à les tirer en septembre. Coup de
fusil assez difficile ; la petite cible au vol capricieux se déplace
rapidement. Toute sensiblerie mise de côté, quel délicieux rôti constituent les
jeunes ! ...
Avant de rentrer, faisons un détour vers la gypsière. Nous y
verrons certainement de fort jolis oiselets : frêle abri des linots entre
les brindilles d'un buisson, et, plus près du sol, celui du bruant commun.
Abordons cet amas de rochers abrupts. Explorons les anfractuosités au-dessus de
l'abîme. Rien. C'est là cependant que chaque mois de mai amenait un ou deux
couples de merles de roche. Robe ardoisée, queue d'un rouge ardent, quels
splendides oiseaux ? ... Leur nid était là, sous cette corniche, bien
abrité. Au risque de me rompre le cou, j'étais parvenu à le visiter. Depuis
longtemps je n'ai plus rencontré un seul de ces sauvages turdidés.
Et les traquets-motteux — les culs-blancs, — que
sont-ils devenus ? Il me semble encore voir tous les rochers des crêtes
animés par les hochements saccadés des queues. Les fissures du plâtre, l'abri
de gros blocs étaient autant de lieux sûrs pour les nids dans lesquels
reposaient cinq ou six œufs d'un bleu délicat. Personne, par ici, ne s'avisait
de tirer ces passereaux. En août-septembre, ils s'en allaient vers le Midi, où
la fusillade les attendait ...
Plus de « qui-vi ! qui-vi ! » assourdissants
des moineaux soulcis ... Des dizaines de nids se cachaient dans les
falaises de gypse. À la fin de l'été, des voliers de plusieurs centaines
d'individus picoraient dans les champs.
Et les « queues rousses » ... Et les ortolans ...
Et les fauvettes si gracieuses ... Où êtes-vous, gentils hôtes de nos
campagnes ? Avez-vous abandonné le bas Dauphiné pour des coins plus
tranquilles ? Je crains, hélas ! une diminution proche de la
disparition totale. Il s'agit d'un mal profond bien souvent mis en relief dans
ces colonnes.
De toutes parts, on a parlé du massacre de ces innocentes
créatures ailées. Fusil, filets, collets, trébuchets prennent part à la
destruction. Ils ne sont pas les seuls à faire le vide ... Becs droits et
parfois chouettes excellent à piller les nids.
N'oublions pas l'appel meurtrier des phares en période de
migration.
Je crois qu'il existe en nos vallées une autre cause.
L'évanouissement de certaines familles de passereaux à bec fin :
fauvettes, mésanges, coïncide avec le développement des cultures fruitières.
Pour avoir de beaux produits, il faut une lutte intensive contre maladies et
insectes nuisibles. D'où de multiples pulvérisations. Est-on certain que les
formules chimiques appliquées sont inoffensives ? Peut-être n'ont-elles
aucune action sur des organismes de lapins, pies, corneilles, relativement résistants,
et sont mortelles pour la mésange qui absorbe insectes ou larves tués par les
bouillies. On peut avoir fait d'intéressantes remarques à ce sujet.
A. ROCHE.
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