Tous ceux qui ont pratiqué sérieusement la chasse du lièvre
aux chiens courants savent qu'elle est si délicate et si difficile qu'il faut
aux vrais bons chiens de lièvre des qualités nombreuses et différentes. Ils
savent également qu'elles se trouvent très rarement réunies chez un même sujet.
Elles sont, en effet, la conséquence et la manifestation de tempéraments très
différents.
Certains chiens ont des aptitudes très nettes et des goûts
très marqués pour tel ou tel travail et pour telle ou telle façon de travailler.
Ils sont ce que l'on peut appeler des spécialistes. Les
principaux spécialistes sont, dans la préparation de la poursuite : les
rapprocheurs et les lanceurs. Les spécialistes de la meute sont : les
chiens très en avant, barreurs, les chiens de tête ; les chiens plus
attachés à la voie que bien des veneurs classent en chiens de centre avancé et
en chiens de centre pur ; les chiens qui ont tendance à relever les
défauts de hourvari et enfin les chiens de chemin.
Les rapprocheurs.
— Lorsque l'on chasse au bois, la première chose, et la
chose indispensable, consiste à suivre la voie de la nuit pour arriver au gîte
de l'animal. En longeant la lisière ou une allée, vos chiens découvrent la
rentrée. Maintenant il s'agit de démêler tous les méandres de la piste
parcourue par le lièvre avant de se gîter.
Pour découvrir cette rentrée, il faut des chiens très
requérants et très appliqués, car beaucoup de chiens trop vifs ou trop étourdis
ne s'attachent à la voie que lorsqu'elle a été trouvée par un autre.
Les chiens qui suivent bien cette voie de la nuit,
scrupuleusement, mais avec assez d'allant, et en donnant franchement de la
voix, sont dits excellents rapprocheurs.
En général, on peut dire que le rapprocher est le triomphe
des chiens français — qui se distinguent tout particulièrement dans ce
travail, grâce à leur très grande finesse de nez et à leur sagesse, — mais
à condition qu'ils ne soient pas musards ... Avec eux on perd un temps
considérable.
Les meilleurs rapprocheurs ne sont pas ceux qui lancent le
mieux ... et lorsqu'on approche du gîte on voit alors des chiens d'un
autre tempérament qui travaillent avec plus d'ardeur et plus d'efficacité :
ce sont les lanceurs.
Les lanceurs.
— Au moment psychologique, pourrait-on dire, il ne
suffit pas de suivre la voie pied à pied, d'autant plus que beaucoup de lièvres
ont soin d'entremêler leurs voies avant de se coucher.
Pur pisteur jusque-là, le lanceur doit se révéler éventeur ...
Il s'agit de contourner les cépées et les fourrés pour voir si cela ne sent pas
bon par là. Vous voyez alors les lanceurs, qui ont l'intuition que l'animal est
proche, abandonner la piste et flairer un peu partout aux abords des fourrés.
Ils avancent considérablement le travail et empêchent l'animal de se dérober ...
et de prendre trop d'avance avant que la meute n'ait eu connaissance de son
départ. Un lièvre qui se dérobe ainsi se fait souvent chasser en forlonger, et
quand la température est défavorable, cela ne va jamais très bien. Un lancer
bien franc est toujours plus propice à une bonne menée.
Lorsqu'on chasse uniquement en plaine et en plaine très
découverte, on ne rapproche généralement pas. On lance au hasard, en se
promenant avec les chiens sur les labours et les pâtis. Mais s'il s'agit d'une
contrée où il existe beaucoup de haies, il faut des lanceurs d'un genre très
spécial. Ils longent les haies à la façon d'un chien couchant, éventent
l'animal et le lancent. Certains chiens affectionnent particulièrement ce
travail. Pour chasser à courre, ils l'aiment même trop, car au moindre défaut
ils n'ont qu'une idée, faire la haie et lancer. Ils provoquent ainsi des
changes malencontreux.
En principe, on peut dire que le chien très lanceur ne se
recrute généralement pas parmi les chiens très ajustés, mais parmi les chiens
très entreprenants et très débrouillards. Aussi les bons briquets sont-ils
généralement des lanceurs remarquables.
Les chiens barreurs.
— Voilà des spécialistes qui sont méprisés et redoutés
par bien des chasseurs. Eh bien ! j’avoue que j'adore le chien barreur ...
Mais, attention ! Il y a barreur et barreur !
Le chien fou, emporté, ambitieux et indiscipliné, qui ne
songe qu’à cela : chasser seul, en avant ou sur les côtés de la meute, est
détestable. Avec cela il est généralement emballeur et ne provoque le plus
souvent que des défauts.
Mais le vrai barreur que j'aime est celui qui, au moindre
défaut, se porte résolument à la recherche de la voie, en avant ou sur les
côtés du défaut. Ça c'est un chien précieux et c'est parmi ces barreurs qu'on
trouve les chiens de tête.
Le chien de tête.
— Tous les auteurs et tous les utilisateurs ne sont pas
d'accord sur le chien de tête. Les uns (une minorité) estiment qu'on peut très
bien se passer de chien de tête et qu'on chasse même mieux et plus agréablement
sans chien de tête.
Les autres (la majorité) déclarent le chien de tête la clef
de la meute, c'est-à-dire l'élément essentiel et le meilleur.
Cette diversité d'opinion vient surtout de ce qu'on se
méprend souvent sur ce qu'est et doit être le chien de tête.
Si l'on appelle ainsi un chien, parce qu'il est de pied très
supérieur aux autres et les distance nettement sur la menée, il n'est pas
douteux qu'il ne sert en rien le reste de la meute et qu'il lui est plutôt
nuisible. En réalité il chasse seul, il essouffle les autres, qui ne peuvent
faire aucun travail utile au moment opportun.
Si l'on appelle chien de tête le chien ambitieux et
emballeur, qui ne songe qu'à une chose : chasser seul et en avant des
autres, ce chien-là est parfaitement nuisible.
Mais le vrai chien de tête ne mérite pas cette appellation
seulement parce qu'il a plus de train et chasse le premier sur la menée.
Évidemment il faut qu'il ait assez de train pour conserver la tête sans pour
cela surclasser de vitesse l'ensemble de la meute.
Mais il est surtout chien de tête par sa grande finesse de
nez qui lui permet de suivre sa voie en plein galop, sans hésitation ; par
son esprit d'entreprise et son intelligence, qui lui permettent de relever les
défauts avant ses compagnons, par sa sûreté dans sa menée (et non pas la fougue
des emballeurs qui sont souvent en avant, mais qui ne font que suraller la voie
et retarder la chasse plus qu'ils ne l'avancent), et enfin par son fond qui lui
permet de tenir son rôle jusqu'à la fin.
Naturellement le chien de tête est toujours un peu ambitieux ...
et alors ce qui l'a fait souvent mal juger par certains chasseurs, c'est
peut-être qu'ils ont fait chasser ensemble deux ou plusieurs chiens à mentalité
de chiens de tête. Dans ces conditions, il vaut évidemment mieux n'en avoir pas
du tout ! Ces chiens à mentalité de chiens de tête se jalousent, se
gourmandent, s'emballent et ne font que des bêtises.
J'en ai eu un comme cela. Lorsqu'on mettait un nouveau chien
à la meute, il avait peur d'être détrôné de son poste avancé ; il devenait
bricoleur et emballé. Mais, dès qu'il s'était aperçu que le nouveau n'était pas
à craindre au point de vue du train, il reprenait son calme et redevenait un
excellent chien de tête, sérieux et sûr.
Pour ma part, je considère un vrai chien de tête comme un oiseau
rare, mais combien précieux et combien merveilleux !
Lorsque vous entendez sa voix qui chante sans arrêt, vous
vous dites : « Tout va bien ! »
Lorsque surgit l'affreux silence d'un balancer ou d'un
défaut, vous songez : « Il travaille en silence, mais il travaille. »
Et lorsque sa voix chante de nouveau, vous êtes tranquille,
vous êtes heureux, vous êtes repris par l'espérance.
Mais oui, un vrai chien de tête, c'est ce qu'il y a de plus
merveilleux dans une meute, lorsqu'il est bien secondé par les chiens de centre
avancé.
(A suivre.)
Paul DAUBIGNÉ.
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