La renommée nous apprend la fondation d'un nouveau club,
celui de l'Épagneul de Pont-Audemer, peut-être à proprement parler une
résurrection. Il faut s'en réjouir, parce qu'il est juste que nous possédions
notre épagneul d'eau, comme divers autres pays. On doit entendre par là un
chien adapté à la chasse en eau profonde. Outre cette aptitude, le nôtre a
enfin le privilège d'être, par surcroît, chien d'arrêt, donc apte à la chasse
de la bécassine et, en dehors du marais, à toutes les autres en plaine et en bois.
L'influx nerveux dont il est doué, sa taille moyenne répondent bien aux goûts
du jour. Il doit donc connaître prochainement un renouveau de succès.
À cela il est aussi autre raison. Les trop rares
spécimens de la race figurant ces dernières années sur les bancs étaient, on
peut le dire, du meilleur type ; sans doute l'homogénéité acquise l'était
au prix d'une consanguinité assez poussée. Mais il faut dire également, à la
louange des tenants de la race, qu'ils ont su en définir le prototype et à le maintenir.
Physiquement, notre chien est très apparenté aux spaniels
d'eau du Royaume-Uni et plus particulièrement à l'irish (quoi qu'on en ait
dit), comme en témoignent l'architecture céphalique et la fréquence des robes
unicolores. Du point de vue psychologique, il l'est également, n'ayant pas à
son hérédité continentale que l'aptitude à l'arrêt. En tout cas, l'opération a
été bien menée et les dosages bien calculés, puisque, en définitive, on a
obtenu un water-spaniel d'un type fixe duquel on a su faire un chien d'arrêt
ayant l'âme du spaniel.
On sait quel fut l'élément continental requis pour cette
conquête : le chien marron rouanné étroitement apparenté à l'épagneul
français, en fait une variété de celui-ci, qui longtemps après fut baptisé
épagneul de Picardie. Il existait en Artois, Picardie et sur les côtes
normandes.
Le premier mouvement de l'esprit à la recherche d'un élément
de retrempe, nécessaire vu le nombre réduit des reproducteurs dont on dispose,
serait de se porter vers les représentants d'une des races composantes. Il ne
faut pas songer au water-spaniel, de crainte de compromettre la faculté d'arrêt
et toutes celles que nous exigeons d'un chien d'arrêt à tout faire. D'autre
part, pour des raisons dont nous n'avons pas à discuter, nos collègues de
Picardie cultivent maintenant un épagneul d'un modèle plutôt volumineux. Nous
parlons de celui à robe marron rouanné. Il ne représente plus l'élément qu'il
conviendrait d'unir aux derniers Pont-Audemer pour sortir de la consanguinité
et apporter les courants de sang nouveau dont on ne peut se dispenser.
Avec mon regretté ami le docteur Longin, qui fut un grand
admirateur de la race, nous avions parlé, avant la dernière guerre, de
retrempes possibles. Il me souvient que, le water-spaniel écarté pour les
motifs plus haut exposés, il avait été question du setter anglais évoqué un
moment, vu le prestige de ses qualités. Mais nous étions frappés par les
différences anatomiques profondes qui l'éloignent de notre chien. Pareil
croisement était fait pour provoquer une perturbation du type dont on ne voyait
pas la fin. Il était sage d'y renoncer.
Reste donc le cousin plus que germain de l'épagneul de
Picardie, c'est-à-dire l'épagneul français, aisé à découvrir maintenant dans
une formule sportive et une taille moyenne, inférieure à 0m,60. On
peut même trouver le sujet au poil ondulé et fortement pigmenté qui s'avère
indiqué. Dans les rangs de l'épagneul français, les bons nez ne manquent pas,
et c'est un pointerman qui l'a dit. Comme la race, depuis quelques années, a
réacquis le modèle qu'était le sien avant la brève offensive du chien
volumineux, qu'elle présente désormais l'influx nerveux souhaitable, ni plus,
ni moins, c'est là qu'il faut s'adresser.
Il n'est pas douteux que le meilleur nez en moyenne, si l'on
fait une comparaison, doit se rencontrer chez l'épagneul français. Jadis on a
reproché à certains Pont-Audemer d'avoir pour la plaine une activité un peu
supérieure à leurs moyens objectifs. On sait, d'autre part (au moins chez les
Britanniques), qu'une retrempe, dont l'un des buts est l'amélioration des
vertus olfactives, doit être le fait de la lice de la race la mieux douée à cet
égard. Nos veneurs ont su remonter leurs races affaiblies par la consanguinité,
au moyen d'une retrempe du physique, dont le mâle foxhound a été l'agent avec
la lice française conservatrice de la qualité.
Il serait sage de s'inspirer de la méthode, très répandue
outre-Manche, consistant à allier père et filles issues du premier croisement — l'expérience
enseigne que les métis de seconde génération obtenus ressemblent à leur père et
grand-père et peuvent produire de façon homogène avec les représentants de sa
race. C'est un procédé bien connu pour éliminer rapidement les traces d'une
retrempe. Mais l'opération comporte de nombreuses précautions. L'étalon choisi
aura une parfaite santé, sera irréprochable du point de vue qualité et bien
entendu de race pure renforcée d'une certaine consanguinité. La lice aura
toutes les vertus caractéristiques de sa race, telles qu'on les recherche, outre
les quelques particularités souhaitables, telles, dans le cas qui nous
intéresse, celles concernant la nature du pelage et sa pigmentation. Nos
Pont-Audemer actuels, étant très consanguins, doivent être très prépotents ;
l'expérience devrait donc bien réussir.
Il serait préférable de se tirer de l'impasse (consanguinité
et raréfaction des effectifs) en se servant de préférence des éléments purs
existants, de haute valeur, mais trop peu nombreux. Il est impossible donc de
ne pas envisager quelque recours à une retrempe passagère sur laquelle on
évitera d'insister. Le danger d'une retrempe est celle-ci, qu'en y faisant
retour après un premier essai on peut, faute de bien calculer les dosages de
sang, réaliser le croisement de substitution plus vite qu'on ne le pensait.
Telle est l'aventure survenue en divers équipages de vénerie pour avoir fait
retour au foxhound avec trop de fréquence. Voyant les jeunes générations
manifester quelque froideur, mettant bas dans les accompagnés, etc., les
intéressés se donnant la peine d'étudier les pedigrees s'aperçurent que leurs
élèves avaient autant et parfois plus de sang anglais dans les veines que tout
autre. C'est pourquoi nos chers compatriotes, peu minutieux par principe, ont
parlé du croisement de retrempe avec légèreté et effroi, faute de savoir
combien il est aisé par étourderie de passer de la retrempe à la substitution.
Savoir doser, tout est là, et c'est la grande difficulté. Substituer n'est pas
très malin, pourvu, cependant, qu'il existe quelque affinité initiale. C'est
ainsi qu'en ma région nous avons commencé, il y a soixante ans, à éliminer une
variété d'épagneuls français de taille moyenne par croisement continu avec le
setter anglais. Tant il y a que nous avons depuis longtemps réalisé de
véritables setters par ce procédé. Procédé bien connu en élevage de bétail.
C'est par croisement d'élimination que le mérinos s'est répandu dans le monde
et que s'est établie dans le Nord de la Bretagne une famille de bêtes à cornes
par unions répétées avec le Shorthorn (ou Durham), entièrement de même type que
celui-ci.
Si donc on pense devoir recourir, pour un motif quelconque,
au water-spaniel, il faudra se garder d'y revenir, afin de ne pas compromettre
la psychologie qu'est celle du chien d'arrêt. Je vois dans le Pont-Audemer un
chien qui, à l'instar de l'épagneul breton, tient du chien d'arrêt et du spaniel,
formule dont on sait le succès, le Pont-Audemer pour la chasse aux étangs et
cours d'eau ayant certainement une supériorité. Espérons donc qu'il va remonter
le courant, ses mérites l'exigent. On comprend certains abandons de variétés
massives ou corniaudées, mais non les négligences qui ont valu au Pont-Audemer
une réduction d'effectifs menaçant son existence. Diverses expériences seront à
tenter sans doute, car il n'entre nullement dans mes intentions de proposer
exclusivement celle dont je sais les mérites. Je sais aussi le grand nombre des
chemins menant à la vérité.
R. DE KERMADEC.
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