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Pêches miraculeuses

On voit de temps en temps dans les journaux l'annonce d'une pêche miraculeuse, d'une pêche où, avec de faibles moyens, on prend des quantités énormes de poisson. C'est ainsi qu'on a annoncé, cet hiver, la prise, en Vendée, sur le bord de la mer (je ne me rappelle plus l'endroit exact), de centaines de kilogrammes de muges et de congres paralysés par le froid, qui venaient s'échouer sur le rivage. Le froid est en effet l'un des facteurs qui peuvent conditionner le rassemblement des poissons en grandes masses, précisément pour se réchauffer entre eux, un peu comme le font les moutons sous la pluie. Le froid devenant trop intense, les poissons s'engourdissent, se paralysent et peuvent être facilement capturés à la main. On pense bien que les oiseaux d'eau, notamment les mouettes, les goélands et les cormorans, s'en donnent à cœur joie quand pareille aubaine se présente.

L'excès de chaleur peut également amener d'amples moissons de poissons. C'est ainsi qu'il y a trois ou quatre ans, à Paris, sur la Seine, en plein été et par grosse chaleur, un orage subit a nettoyé tous les égouts et a amené dans la Seine, en faible débit d'étiage, un afflux considérable de matières organiques en décomposition. Les gaz putrides produits, et notamment l'hydrogène sulfuré, asphyxièrent d'énormes quantités de poissons qui s'en allaient au fil de l'eau en pipant à la surface, proies faciles pour les riverains.

La recherche de nourriture chez certaines autres espèces entraîne leur déplacement par bancs énormes. C'est le cas des poissons qui se nourrissent de plancton, tels que le hareng et la sardine qui se groupent en bancs innombrables pour trouver dans la couche d'eau convenable le plancton marin nageant qui est très sensible aux variations de température et d'insolation et cherche constamment la couche d'eau qui lui est la plus favorable. Les bancs de sardines, qui sont des poissons d'eau chaude, émigrent lentement vers le nord en suivant la transgression des eaux marines chaudes l'été et, l'hiver, font la régression inverse. Le hareng, au contraire, est un poisson qui fréquente uniquement les eaux d'origine polaire à température froide et à salinité peu élevée. Les bancs de harengs l'été reculent en masse devant la transgression d'eau chaude et s'avancent vers le sud l'hiver, avec la transgression d'eau froide. Ce sont ces migrations de masses que suivent les pêcheurs pour réaliser leurs captures ; des pêches énormes sont ainsi faites, au filet pour la sardine et au chalut pour le hareng.

Le chinchard, ou saurel, qui se nourrit d'œufs et de larves de harengs et de sardines, apparaît parfois en bancs innombrables pour disparaître brusquement. Les auteurs anglais rapportent qu'une fois un banc de chinchards défila pendant toute une semaine sur les côtes anglaises avec un nombre d'individus tel que la mer apparaissait comme une sombre masse de poissons.

Il en est de même des maquereaux, poissons voraces, qui s'avancent parfois en grand nombre près du rivage à la recherche des bancs de petites sardines.

Les pêches miraculeuses peuvent aussi s'expliquer par l'instinct sexuel des poissons. Ainsi, l'anguille, par pluie d'automne et par nuit noire, après un commencement de maturation sexuelle qui la transforme en anguille argentée, se réunit en groupes compacts, parfois même en boules serpentiformes qui dévalent le long des rivières. On la capture alors en masse au point qu'il faut lever les filets des anguillères plusieurs fois par nuit pour éviter qu'ils ne se rompent. La civelle, ou pibale, pondue dans la mer des Sargasses est apportée par flots successifs par le Gulf Stream. De novembre à mai, certaines nuits, on peut constater le phénomène impressionnant de la montée des civelles qui forment un véritable cordon, nappe serrée et innombrable de ces alevins remontant le long des berges en un cordon de 50 centimètres de large, profond de 10 à 20 centimètres et long parfois de plusieurs centaines de mètres. Il suffit de tendre alors un tamis au travers de ce cordon, et c'est encore une pêche miraculeuse se chiffrant par pêcheur, et par nuit par des dizaines de milliers de civelles capturées.

Outre ces migrations, dont on connaît bien les raisons, d'autres rassemblements massifs de poissons restent mystérieux et inexpliqués. Tout le monde connaît le récit biblique de la pêche miraculeuse qui se trouve au chapitre XIV de l'Évangile selon saint Jean :

« Le Seigneur dit à Simon :

» — Avancez au large et jetez vos filets pour pêcher.

» Simon lui répondit :

» — Maître, nous avons travaillé toute la nuit sans rien prendre. Néanmoins, sur votre parole, je jetterai les filets.

» Les ayant jetés, ils prirent une si grande quantité de poissons que leurs filets se rompaient. Alors ils firent signe à leurs compagnons qui étaient dans l'autre barque de venir les aider. Ils y vinrent et remplirent tellement leurs deux barques qu'elles étaient près de couler à fond. »

Les incrédules ont souvent beau jeu de nier miracles et témoignages au nom du rationalisme : or celui-là ne peut être nié. Il est en effet étrange et troublant de constater que, sous nos yeux, au lac de Tibériade, la pêche miraculeuse se reproduit parfois. Rarement certes, et sans qu'on puisse les prévoir, ni les provoquer, de telles pêches sont des faits observables et dont les descriptions, par les témoins modernes, coïncident exactement avec le récit de l'Évangile, qui prend dès lors, aux yeux de l'incrédule, sa valeur de témoignage vécu.

Le lac de Tibériade est peuplé principalement de cichlidés, dont l'espèce prédominante est le Tilapia galilea. Or, sans qu'on ait trouvé l'explication de ce phénomène, il arrive que les tilapias s'assemblent en bancs énormes, si étroitement serrés qu'il semble impossible qu'ils puissent bouger. Un observateur contemporain, Canon Tristram, s'exprime ainsi :

« Leurs dorsales sortaient de l'eau, et, de loin, on croyait voir sur l'eau calme l'effet d'une forte grêle. On jeta les filets, et, quand il s'agit de les haler à bord, les filets se rompirent. »

Ce fait, il l'a observé plusieurs fois, et d'autres que lui également.

Cette rémanence au lac de Tibériade de la possibilité d'une pêche miraculeuse n'a-t-elle pas quelque chose d'extraordinaire et d'émouvant ? Je le répète, on n'a pas trouvé d'explication rationnelle à ces rassemblements de poissons dans le lac de Tibériade, où ils sont rares, mais constants.

Signalons enfin que cette espèce de tilapia est caractérisée par la présence d'une tache sombre de chaque côté du corps et que la légende veut qu'elle représente la marque du pouce de saint Pierre quand il prit une pièce de monnaie dans la bouche du poisson.

LARTIGUE.

Le Chasseur Français N°664 Juin 1952 Page 344