Dans notre précédente causerie, nous avons mis en
évidence les principaux obstacles que le canoéiste pouvait rencontrer au cours
d'une descente de rivière. Franchissables ou non en canoé, ces obstacles
obligent à de nombreux arrêts qui exigent une certaine technique pour préserver
la sécurité du bateau et de son équipage.
Un incident me revient à la mémoire, à point pour confirmer
cette observation. Nous descendions l'Ardèche et, un soir que nous campions à
l'entrée des gorges, nous voyons arriver à pied, par le lit de la rivière, deux
jeunes filles précédemment rencontrées en canoé. L'accident le plus stupide
leur était arrivé à un barrage pourtant facile à franchir. La crête du barrage
était à sec ; elles avaient pu, comme nous l'avions fait du reste, débarquer
sur l'ouvrage même pour reconnaître la possibilité éventuelle de le franchir
par une brèche laissant passer une belle veine d'eau. Et, tandis qu'elles
examinaient le comportement du flot qui vient se briser en aval sur les piles
d'un pont aux arches étroites, leur surprise fut grande de voir leur canoé
venir s'engager dans la passe et aller à son tour rebondir contre les piles.
L'incident s'est terminé chez le menuisier de Vallon, et nos écervelées
canoéistes ont appris à leurs dépens qu'il ne fallait jamais abandonner un
canoé sans l'échouer ou l'amarrer ; d'autre part, le dommage aurait été
moins grave si tout le matériel, arrimé comme il se doit, avait été récupéré au
lieu de se perdre en partie au fond de l'Ardèche.
Voyons donc la technique de l'arrêt et les précautions à
observer. Il est toujours préférable d'aborder face à l'amont, c'est-à-dire
après avoir effectué un demi-tour, en engageant l'avant du canoé dans une zone
de moindre courant, soit contre la berge, derrière un arbre ou un rocher ;
cette condition est d'autant plus impérative que le courant est fort.
L'équipier avant débarque le premier, très rapidement, en ayant
soin de toujours se saisir de la bosse qui lui permet de maintenir le canoé.
Dans certains cas, la présence d'obstacles ou le manque de
place ne permet pas de faire demi-tour et il faut s'arrêter face à l'aval ;
c'est alors l'équipier arrière qui doit retenir le canoé, soit au fond avec sa
pagaie, en saisissant une branche ou en sautant rapidement si l'eau n'est pas
profonde. Éviter toujours de s'arrêter contre un obstacle en travers du
courant, car le canoé risque d'être retourné, l'ouverture dirigée vars l'amont,
et il serait sans doute impossible de le sortir indemne d'une telle position.
Si le canoé doit être abandonné, même un court instant,
prendre la précaution de le tirer au sec ou de l'amarrer solidement en
prévoyant les variations possibles du niveau d'eau (orage, débit des barrages
en rivière, vent ou marée en mer).
Pour repartir, il est généralement plus facile, sinon
indispensable de présenter l'avant du canoé vers l'aval ; on évite ainsi
d'avoir à effectuer un demi-tour complet qui mettrait le bateau en travers du courant,
position toujours vulnérable. Pour embarquer ainsi, si le courant est violent
et que le canoé ne puisse être placé contre la rive (en aval d'un déversoir par
exemple), c'est à l'équipier arrière qu'il appartient de maintenir le bateau
pendant que l'avant gagne sa place en montant par l'arrière ; il aura tout
son temps pour ajuster le pontage autour de sa taille. Notons que la présence
du pontage l'aura obligé, pour gagner l'avant, à marcher sur les plats-bords,
et c'est là une petite gymnastique qu'il est bon de pratiquer avant de se
trouver sur une rivière accidentée. L'équipier arrière devra opérer très vite :
sauter en voltige, saisir sa pagaie et ajuster le pontage en quelques secondes,
surtout si le canoé s'engage immédiatement dans un rapide.
Puisque ces remarques sur l'arrêt et l'embarquement nous ont
été suggérées par le franchissement des obstacles, nous dirons quelques mots
sur le portage et le passage à la corde.
Pour faciliter le portage à bras, sur des distances plus ou
moins longues, où le chariot ne peut être utilisé, il faut avant tout que le
bateau ne soit pas surchargé de bagages inutiles ; la question est à
régler avant le départ. Si plusieurs équipes naviguent ensemble, il est
toujours préférable de faire plusieurs voyages en portant chaque canoé à quatre
personnes. Si la distance est longue ou le parcours très accidenté, il faudra
décharger les sacs les plus lourds que les équipières transporteront avec moins
de fatigue. Cette tâche sera toujours plus aisée si les sacs étanches sont
enfermés dans des sacs en toile munis de bretelles. Une équipe isolée aura
toujours plus de peine à portager (comme on dit au Canada), il lui
faudra souvent décharger la presque totalité du matériel, qui devra être
attaché par un dispositif facile à libérer. Notons qu'à deux il est souvent plus
aisé de porter un canoé au milieu par les plats-bords, ce qui permet de le
déplacer par bonds successifs et de virer sur place.
Passer un canoé à la corde consiste à lui faire franchir un
obstacle en le maintenant par la bosse arrière. Celle-ci sera toujours longue,
très résistante et solidement fixée au bateau. Dans le cas d'un barrage,
prendre garde à ce que le canoé ne soit pas rappelé sous la chute au risque de
se remplir ; l'un des équipiers devra le maintenir en aval.
Il est beaucoup plus délicat de franchir un rapide à la
corde ; vagues et contre-courants peuvent mettre le bateau en mauvaise
posture. L'équipier arrière maintiendra la bosse à bonne distance, et
l'opération sera simplifiée si l'équipier avant peut guider le canoé à la main.
Dans certains cas, il peut être nécessaire de fixer deux bosses à l'arrière,
tenues chacune par les équipiers placés de chaque côté de la veine d'eau ;
cette façon de faire est moins dangereuse que la conduite à distance par la
bosse avant.
Il y a toujours moins de risque à contourner un obstacle,
même au prix d'un portage pénible, qu'à franchir à la corde une passe encombrée
et balayée par un courant violent.
G. NOËL.
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