Pour se développer normalement et atteindre leur maximum de
productivité, les végétaux ont besoin de trouver à leur disposition tous les
éléments qui figurent dans la constitution de leurs cellules. Certains de ces
éléments sont bien connus : azote, acide phosphorique, potasse, chaux ;
ils forment la base de l'alimentation végétale et chacun sait que
l'insuffisance d'un seul d'entre eux dans le sol suffit à compromettre la
récolte. À vrai dire, cette notion est parfois oubliée et il n'est pas mauvais
de la rappeler de temps à autre ; d'autres, comme la soude ou la magnésie,
jouent un rôle quantitatif moins important, mais suffisant cependant pour
attirer l'attention générale ; d'autres, enfin, ne figurent dans les
tissus végétaux qu'en proportions très faibles et parfois infimes, au point que
certains d'entre eux n'ont pu être décelés de façon absolument certaine. Ils ne
sont pas moins indispensables, et leur absence, ou simplement leur
insuffisance, se traduit par des troubles physiologiques graves connus sous le
nom de « maladies de carence ».
Contrairement à ce qu'on pourrait penser, la surabondance en
un élément ne saurait compenser l'insuffisance d'un autre ; elle accentue,
au contraire, les inconvénients en provoquant un déséquilibre, au point que
l'apport de chaux peut, dans certains sols humifères de Bretagne, faire
apparaître la carence de manganèse, latente jusque-là. De même, on sait qu'on
ne remplace pas l'azote par l'acide phosphorique ou par la potasse, et même que
l'excès s'en peut compenser par un apport massif d'engrais phosphatés et
potassiques. La verse des céréales si dommageable de 1950 aurait été atténuée
dans une forte proportion, si cette dernière précaution avait été prise plus
généralement.
La nécessité d'entretenir dans le sol des quantités
suffisantes de ces éléments essentiels est maintenant admise ; cette
notion est à la base même de la technique des engrais et, chaque année,
l'agriculteur s'efforce de compenser, sous une forme ou une autre, les pertes
subies par les terres en azote, en acide phosphorique, en chaux ou en potasse,
soit par prélèvement des récoltes, soit par l'action des eaux de pluie. Il y a
bien encore quelques réfractaires, mais leur nombre diminue progressivement.
Il y a cependant encore des progrès à faire notamment en
matière de prairies : prairies de fauche, herbages ou pâturages, trop
souvent négligées et abandonnées à elles-mêmes, ainsi que du côté du chaulage
qui, dans bien des cas, gagnerait à être intensifié, moins d'ailleurs en tant
qu'engrais qu'en tant qu'amendement.
Les quantités d'engrais à apporter dépendent évidemment de
la composition du sol et de sa richesse relative en un ou plusieurs éléments,
mais aussi de l'importance des récoltes et de la nature des plantes cultivées. À
vrai dire, l'approximation reste encore la règle. Trop de facteurs qui règlent
la nutrition des plantes, le pouvoir absorbant du sol, les transformations
microbiennes, etc., sont encore mal connus ou soumis à trop d'aléas pour qu'on
puisse aboutir à une précision rigoureuse ; l'expérimentation, l'essai
direct restent encore les meilleurs guides, mais l'agriculteur averti sait tout
de même, à quelques dizaines de kilos près, ce qu'il doit apporter d'ammonitrates,
de superphosphates, de chlorure de potassium, ou tout autre engrais ayant ses
préférences, pour pouvoir escompter une belle récolte de blé ou de betteraves.
Mais, ainsi qu'il est dit plus haut, d'autres éléments, dont
on ne tient pas compte habituellement, jouent eux aussi un rôle important,
comme le bore, le fer, le manganèse, le zinc, la magnésie, etc. Leur absence
dans le sol cause aux végétaux des troubles physiologiques graves, et si le
remède est somme toute facile à trouver et même à administrer, le diagnostic de
la maladie est souvent délicat à établir, car l'apparition des symptômes
caractéristiques dépend souvent d'autres facteurs comme le taux du pH du
sol, de sa constitution, des conditions météorologiques, etc.
Les pertes supportées par l'agriculture française, du fait
de ces carences, sont importantes cependant et on ne saurait négliger de les
traiter dès qu'elles ont été décelées. La carence en bore favorise la maladie
du cœur chez la betterave et celle en fer provoque la chlorose des arbres
fruitiers dans les terres riches en calcaire. L'insuffisance en manganèse se
manifeste surtout dans les champs d'épandage de la Ville de Paris ou encore en
Bretagne, dans les sols humifères auxquels on apporte de fortes doses
d'amendement calcaires remontant brusquement le taux du pH. On constate
une chlorose des céréales (blé ou avoine), des taches de décoloration et, en
fin de compte, la mort des tissus. La carence en zinc affecte les arbres
fruitiers et plus particulièrement les pommiers et les poiriers, atteignant
essentiellement feuilles et rameaux, ce qui amène une réduction de la
production et du volume des fruits.
Le remède consiste, évidemment, dans l'apport de l'élément
insuffisant, dans l'amélioration des conditions qui ont fait apparaître le
déséquilibre, en évitant par exemple certains chaulages ou en les contrebalançant
par des apports de sulfate de manganèse. Contre la carence de zinc, on peut
pulvériser du sulfate de zinc. Le bore peut être apporté par des pulvérisations
de borax ou son incorporation au sol ou, encore, par enfouissement de borate de
soude. L'apport de fer est difficile à réaliser, car il ne tarde pas à
s'insolubiliser dans le sol. On peut cependant obtenir des résultats
intéressants par des applications de sulfate ferreux. La meilleure solution
semble cependant être dans le choix de porte-greffe résistant au calcaire.
La magnésie se classe un peu à part. D'après certaines
études, son insuffisance dans le sol aurait une action nocive grave, non pas
tant sur les végétaux que sur ceux qui les consomment, l'homme en particulier,
qui deviendrait plus sensible au cancer. Elle peut être apportée pour action à
longue échéance par l'emploi de chaux magnésiennes et pour action immédiate par
des pulvérisations de sulfate de magnésie.
Il ne faut pas s'exagérer le danger représenté par ces
maladies qui ne mettent pas en péril grave la production agricole nationale ;
le plus souvent, la nutrition des végétaux sera conditionnée par les aliments
de base apportés en partie par les fumures organiques (fumier, engrais verts,
gadoues, composts, etc.), partie par les apports d'engrais minéraux. On
arrivera ainsi à réaliser l'équilibre nécessaire entre les divers éléments et à
maintenir le taux d'humus du sol, qui ne saurait non plus être négligé.
Il n'est pas indifférent cependant de connaître les autres
carences et de les avoir présentes à l'esprit en cas de dépérissement
inexpliqué d'arbres fruitiers ou de cultures. Il est alors possible, avec
l'aide des services compétents, de les déceler d'abord, de les combattre
ensuite et de rétablir en fin de compte la productivité normale des terres
carencées.
R. GRANDMOTTET,
Ingénieur agricole.
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