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Élevage

L'élevage des veaux

Contrairement à ce que nous avons écrit le mois précédent à propos des poulains, l'allaitement des veaux se fait rarement à l'état de nature, c'est-à-dire le nouveau-né tétant à volonté au pis de sa mère, réserve faite pour la régularité des repas à déterminer selon les circonstances. S'il s'agit d'un veau d'élevage que l'on désire conserver pour le troupeau, ou, mieux encore, dont on espère faire un reproducteur, d'après sa bonne conformation révélée dès les premiers jours de sa naissance, l'allaitement le plus copieux et le plus prolongé sera toujours un facteur favorable de réussite.

Pour un veau de boucherie, considéré souvent comme un mal nécessaire pour la production du lait, dont il prélèvera une part pour sa subsistance et son développement, il est d'une bonne économie de chercher des substitutions et accommodements de nourriture pour ne pas trop diminuer les ressources de la vente du lait ou du beurre et d'utiliser l'allaitement artificiel.

Mais, de même qu'il ne faut pas courir deux lièvres à la fois, il ne faut pas croire qu'il soit possible, dans les meilleures conditions, de récolter à la fois beaucoup de lait et d'élever un beau veau, de ces beaux et bons veaux blancs d'antan ! de couleur et de graisse, dont actuellement les exemplaires se raréfient sur les marchés et aux étalages des boucheries. Ces deux spéculations, pourtant complémentaires, s'associent très difficilement, à tel point qu'un proverbe anglais l'exprime en disant : « C'est pure folie d'espérer avoir la peau d'une vache et son lait ! » Quelle que soit la destination future d'un produit, une première règle s'impose qui ne doit souffrir aucune exception : pendant dix à quinze jours, mais au minimum dix jours, le veau ne consommera rien d'autre que le lait de sa mère ; le premier lait tout spécialement, qui contient le colostrum, destiné à purger son intestin de tous les déchets qui s'y sont accumulés pendant sa vie fœtale. La quantité à distribuer journellement sera d'environ un sixième du poids, soit de 7 à 8 litres pour un veau de 40 à 45 kilogrammes. En plus de cette action, déjà très avantageuse, il a été reconnu, à la suite d'expériences pratiquées en Amérique, puis répétées en France et autres pays étrangers, que le colostrum exerce aussi une action favorable sur les microbes de l'intestin en s'opposant aux auto-infections, causes fréquentes de mortalité au cours du premier mois de l'existence.

L'allaitement maternel ou naturel, qui laisse au nouveau-né le lait que la « bonne Nature » prépare à son intention, a le grand avantage de réduire les soins de main-d'œuvre à leur plus simple expression, mais il n'est pas non plus sans inconvénients, soit pour la santé des animaux, soit à cause des dépenses supplémentaires qu'il occasionne. Avec des vaches fortes laitières, le veau a tendance à boire plus que de besoin et, de ce fait, se trouve exposé à des troubles gastriques plus ou moins graves ; même accident peut se produire quand le veau est alimenté à des heures irrégulières ; plus ou moins affamé, il boit trop et trop vite, le lait se trouve incomplètement insalivé, et cela suffit pour provoquer météorisme ou diarrhée.

Si, au contraire, le veau trop nourri ou manquant d'appétit vide incomplètement la mamelle de sa nourrice, mère ou remplaçante, le lait qui y séjourne nuit au fonctionnement de l'organe, et sa production journalière diminue si on ne prend pas la précaution de traire la vache à fond, quand le veau est rassasié. Il est des cultivateurs qui préfèrent pratiquer une traite partielle avant le repas du veau, pour qu'il profite du lait le plus crémeux contenu dans la mamelle au risque de l'exposer à n'en pas trouver en quantité suffisante. Le trop et le trop peu sont dans ces conditions également critiquables. Pour arriver à rationner utilement les veaux allaités au pis maternel, il faut recourir à des pesées périodiques en tablant que, dans les bonnes races de boucherie, l'accroissement journalier de poids vif d'un animal en bonne santé doit être d'un kilogramme environ pour les femelles et un peu plus pour les mâles.

En comptant qu'il ne faut pas moins de 12 litres de lait, entier et pur, pour obtenir un pareil résultat, le rationnement d'un veau peut être réglé approximativement de la manière suivante : première semaine, de 2 à 6 litres par jour ; deuxième semaine, 7 à 9 litres ; troisième semaine, 10 à 12 litres ; quatrième semaine, 12 à 14 litres. Pendant le deuxième mois, la consommation peut être fixée à 16 litres, et 18 litres pour le troisième mois, mais, la plupart du temps, à cette époque, le sevrage est commencé — trop souvent même terminé — et le veau peut se nourrir d'herbe ou d'autres aliments de facile digestion, capables de remplacer le lait en partie ou en totalité.

Au simple examen des chiffres qui précèdent, il est facile de se rendre compte que le reproche le plus grave qui peut être fait à l'allaitement naturel est d'être très onéreux et d'apporter une gêne considérable dans la vente du lait et du beurre. Tant et si bien que, ces jours derniers, un cultivateur ami que nous voulions consoler de la perte d'un veau, mort au cours de l'accouchement, ne nous a pas caché qu'il n'éprouvait d'autre déception que d'avoir à enterrer le cadavre du mort-né !

Le fait est que, s'il avait vécu, qui sait ce qu'il serait devenu, tandis que, huit jours après cet accident, la vache donnait son maximum de rendement en lait, vendu à des prix très rémunérateurs, comparés à ceux qui sont actuellement attribués à la viande des veaux de boucherie.

Ce n'est pas là, évidemment, une solution recommandable, si économique qu'elle puisse paraître, car l'avenir de notre cheptel bovin en serait singulièrement compromis ; il y a plus et mieux à faire en utilisant les ressources et avantages de l'allaitement artificiel que nous passerons en revue dans un prochain article.

J.-H. BERNARD.

Le Chasseur Français N°664 Juin 1952 Page 360