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Dévolution successorale

des exploitations agricoles.

L'article 815 du Code civil dispose que : « Nul ne peut être contraint de demeurer dans l'indivision et le partage peut être toujours provoqué nonobstant prohibitions et conventions contraires. » Mais, afin de remédier au morcellement excessif des propriétés rurales résultant de l'application de ces dispositions, le législateur a institué un régime d'exception en faveur des exploitations agricoles.

I. Principe de cette dévolution successorale.

— Ce régime successoral d'exception des exploitations agricoles fait l'objet de l'article 832 du Code civil, qui a été récemment modifié dans ce but par le décret-loi du 17 juin 1938, par les lois des 20 juillet 1940, 9 novembre 1940 et 15 janvier 1943.

Les modifications ainsi apportées au régime successoral établi par le Code civil n'ont pas pour effet de porter atteinte aux règles relatives à la valeur respective des lots, c'est-à-dire à la part héréditaire des ayants droit ; elles concernent simplement la formation des lots et permettent l'attribution intégrale de l'exploitation agricole à un seul des héritiers à charge pour lui d'indemniser, s'il y a lieu, les autres héritiers.

L'article 832 du Code civil est ainsi conçu :

« Dans la formation et la composition des lots, on doit éviter de morceler les héritages et de diviser les exploitations.

» Dans la mesure où le morcellement des héritages et la division des exploitations peuvent être évités, chaque lot doit, autant que possible, être composé soit en totalité, soit en partie de meubles ou d'immeubles, de droits ou de créance de valeur équivalente.

» Le conjoint survivant ou tout héritier copropriétaire d'une exploitation agricole constituant une unité économique qui, tant en raison de sa superficie que des éléments mobiliers ou immobiliers qui la composent, peut faire vivre une famille paysanne aidée au besoin par un ou deux domestiques permanents et peut être mise en valeur par cette famille, a la faculté de se faire attribuer cette exploitation par voie de partage après l'estimation prévue à l'article 824 à charge de soulte s'il y a lieu, à condition qu'il habite l'exploitation lors de l'ouverture de la succession et qu'il la cultive ou participe effectivement à la culture.

» S'il le requiert, l'attributaire pourra exiger de ses copartageants pour le payement de la moitié de la soulte des délais qui ne devront pas être supérieurs à cinq ans.

» La partie de la soulte dont le payement sera ainsi différé portera intérêt au taux légal diminué de 1 p. 100.

» Sauf convention contraire, le surplus de la soulte devra être payé immédiatement par l'attributaire.

» La fraction de la soulte pour laquelle un délai est accordé deviendra immédiatement exigible en cas de vente totale de l'immeuble. En cas de ventes partielles, le produit de ces ventes sera versé aux copartageants et sera imputé sur la fraction de la soulte restant due. »

Ainsi cet article 832, après avoir recommandé d'éviter le morcellement des héritages ruraux et préconisé autant que possible l'identité dans la composition des lots, prévoit aux conditions qu'il énumère la possibilité d'attribution intégrale de l'exploitation agricole à l'un des héritiers.

II. Date d'application.

— Les modifications intervenues à diverses reprises en cette matière ne s'appliquent qu'aux successions ouvertes après la publication des textes les instituant. Le décret-loi du 17 juin 1938, qui a modifié l'article 832 du Code civil au sujet de l'attribution à un cohéritier de l'exploitation agricole comprise dans une succession, n'a pas entendu régir le partage des successions ouvertes avant sa publication. De même la loi du 20 juillet 1940, qui a modifié elle aussi l'article 832 du Code civil, ne régit pas le partage des successions ouvertes avant sa publication.

Encourt la cassation l'arrêt qui accueille la demande d'attribution d'un domaine agricole en vertu de l'article 832 du Code civil, bien que la succession fût ouverte antérieurement au texte nouveau.

III. Bénéficiaires de ce régime.

— Le bénéfice de ce régime d'exception peut être revendiqué par le conjoint survivant ou par tout héritier, copropriétaire de l'exploitation agricole comprise dans la succession.

Ni un droit de nue propriété, lequel ne comporte pas le droit d'exploiter, ni l'usufruit légal possédé par la veuve survivante à l'égard de la succession de son mari ne peuvent avoir pour effet de faire considérer cette veuve comme copropriétaire d'une exploitation agricole au sens de l'article 832 du Code civil avec les autres héritiers. Elle n'a qualité pour demander à son profit l'attribution de l'exploitation agricole qu'à la condition d'en être copropriétaire.

L'article 832 du Code civil n'exige pas que l'attributaire du bien rural ne soit devenu, pour toute la part indivise, copropriétaire de ce bien que par vocation successorale. Il suffit qu'il remplisse cette condition au jour du décès.

IV. Pluralité de postulants.

— L'article 832 du Code civil a pour but, en assurant la durée de l'exploitation agricole, de donner la stabilité tant à l'économie rurale qu'à la famille paysanne. Or, si l'on écartait l'application de ce régime spécial de dévolution successorale en cas de pluralité de postulants remplissant les conditions exigées et sollicitant le bénéfice de l'attribution intégrale de l'exploitation agricole, ce serait aller à l’encontre des dispositions législatives précitées.

Aussi, en cas de pluralité de postulants, il appartient aux juges de désigner parmi le conjoint et les héritiers celui qui lui paraît à la fois le plus qualifié pour l'exploitation et le plus assuré de demeurer dans les lieux.

V. Valeur de l'exploitation.

— Les exploitations agricoles pouvant donner lieu à l'application de ce régime d'exception doivent avoir une certaine importance. Comme on l'a vu plus haut, elles doivent constituer une unité économique qui, tant en raison de sa superficie que des éléments mobiliers et immobiliers qui la composent, peut faire vivre une famille paysanne, aidée au besoin par un ou deux domestiques, et peut être mise en valeur par cette famille.

Cependant un maximum a été fixé à cette valeur, afin d'éviter de rétablir une sorte de droit d'aînesse : il est actuellement de 12.000.000. C'est à l'ouverture de la succession qu'il faut se placer pour apprécier la valeur de l'exploitation agricole laissée par le défunt.

VI. Superficie de l'exploitation.

— Les exploitations agricoles auxquelles peut s'appliquer ce régime successoral ne doivent pas dépasser un maximum de superficie fixé par département et indiqué dans le tableau ci-après :

Départements Superficie maxima
(hectares)
Départements Superficie maxima
(hectares)
Ain20Lot30
Aisne30Lozère20
Allier20Lot-et-Garonne30
Alpes (Basses-)30Maine-et-Loire30
Alpes (Hautes-)15Manche15
Alpes-Maritimes15Marne30
Ardèche15Marne (Haute-)30
Ardennes30Mayenne25
Ariège20Meurthe-et-Moselle25
Aube30Meuse25
Aude30Morbihan15
Aveyron30Moselle30
Bouches-du-Rhône15Nièvre30
Calvados20Nord20
Cantal30Oise30
Charente30Orne25
Charente-Maritime30Pas-de-Calais22
Cher30Puy-de-Dôme30
Corrèze30Pyrénées (Basses-)30
Corse00Pyrénées (Hautes-)30
Côte-d'Or30Pyrénées-Orientales30
Cotes-du-Nord15Rhin (Bas-)20
Creuse30Rhin (Haut-)(1)
Dordogne30Rhône20
Doubs30Saône (Haute-)30
Drôme25Saône-et-Loire15
Eure30Sarthe30
Eure-et-Loir30Savoie30
Finistère15Savoie (Haute-)20
Gard15Seine15
Garonne (Haute-)25Seine-Inférieure20
Gers25Seine-et-Marne30
Gironde30Seine-et-Oise30
Hérault30Sèvres(Deux-)28
Ille-et-Vilaine15Somme30
Indre30Tarn25
Indre-et-Loire30Tarn-et-Garonne20
Isère30Territoire de Belfort20
Jura30Var15
Landes30Vaucluse15
Loir-et-Cher30Vendée28
Loire30Vienne28
Loire (Haute-)30Vienne (Haute-)30
Loire-Inférieure30Vosges25
Loiret30Yonne30

(1) 30 hectares pour les pâturages, 20 hectares pour les terres de culture, 3 hectares pour les vignes et cultures maraîchères.

Il importe de remarquer que le bénéfice de ce régime s'applique aussi lorsque l'exploitation agricole, sans atteindre le maximum de valeur ou de superficie indiqués ci-dessus, n'excède pas l'autre maximum de plus d'un cinquième.

Dans le décompte des surfaces n'interviennent que pour le tiers de leur superficie :

    a. Les bois (châtaigneraies comprises) d'une superficie continue de plus d'un hectare ;
    b. Les terrains ne portant qu'une maigre végétation spontanée ou exploités uniquement pour le pacage des animaux, tels que landes, terrains rocheux, terrains de montagne, causses, bruyères, garrigues.

Dans le décompte des surfaces n'interviennent que pour la moitié de leur superficie :

    a. Les étangs ;
    b. Les bois de pins soumis au gemmage.

VII. Délai de la demande.

— Le conjoint survivant ou l'héritier copropriétaires ont un droit acquis à exercer la faculté de demander l'attribution par voie de partage d'une exploitation rurale comprise dans la masse partageable.

Il importe peu que leur volonté de bénéficier de cet avantage n'ait été manifestée pour la première fois que devant le notaire commis pour procéder au partage, dès lors que le jugement ordonnant le partage ne contient à cet égard aucune disposition contraire.

Tel est le cas, lorsque le jugement a ordonné le partage des immeubles indivis sans autrement préciser les bases de cette opération. L'acquiescement à cette formalité de partage ne comporte pas renonciation au droit d'attribution préférentielle prévue par l'article 832 du Code civil.

VIII. Disposition contraire du défunt.

— Cette possibilité pour le conjoint ou le cohéritier de demander l'attribution intégrale de l'exploitation ne peut trouver application lorsque le défunt a exprimé la volonté contraire, lorsque par exemple, par un testament, le de cujus a attribué l'exploitation à un héritier autre que celui qui réunissait les conditions fixées par l'article 832 du Code civil.

La clause testamentaire suivant laquelle un domaine rural est attribué à l'un des cohéritiers l'emporte sur la demande d'attribution préférentielle dudit domaine présentée par un autre cohéritier.

L. CROUZATIER.

Le Chasseur Français N°664 Juin 1952 Page 367