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La panthère en A.O.F.

Très répandue en A. O. F., la panthère, ce gigantesque chat, est un fauve dans toute l'acception du mot.

Agile, féroce, ne ménageant rien pour peu qu'elle soit poussée par la faim, elle est d'une souplesse remarquable, ses déplacements onduleux sont très vifs ; elle grimpe aux arbres, s'y installe et demeure à l'affût de manière à n'avoir plus qu'à se laisser choir sur le gibier passant à sa portée.

Tout lui est bon, depuis les antilopes jusqu'aux humains en passant par les phacochères, les potamochères, sans oublier chiens, chèvres, moutons et le menu fretin des basses-cours.

Animal à peau tendre, il est facile de l'abattre avec des chevrotines, si toutefois on ne craint pas de trop abîmer sa dépouille.

Blessée, la panthère est très dangereuse et il est plus qu'indiqué de ne s'en approcher qu'après s'être bien assuré de son trépas. N'aurait-elle encore qu'un souffle de vie qu'un coup de ses pattes bien armées arracherait vêtements, peau et plus encore à l'imprudent circulant trop près d'elle.

J'ai rencontré souvent ces belles bêtes — car elles sont, en général, splendides, — et celles que j'ai pu peser variaient entre 30 et 65 kilos, marge résultant de leur âge et surtout de leur état de réplétion.

Tous les faits que je narre ci-après se sont passés non loin de la frontière — combien vague — de l'A. O. F. et de la Guinée portugaise.

Ma résidence était située en bordure d'une plantation de céaras (Manihot Glaziovi), au caoutchouc assez estimé.

Un après-midi, je lisais sous la véranda, deux manœuvres travaillaient non loin et quelques volailles s'ébattaient auprès d'eux.

Des cris me mirent debout ; j'eus le temps de voir une panthère qui fuyait avec, dans sa gueule, une poule happée malgré les cris des deux ouvriers qui l'invectivaient à qui mieux mieux.

J'essayai bien de la retrouver après avoir pris mon fusil, mais ce fut en pure perte, les herbes étaient trop hautes, on ne devait les faucher qu'à l'approche de la saison sèche, afin d'éviter la propagation des feux de brousse très fréquents dans la région.

Un soir, je regagnais mon poste ; je me hâtais, la nuit tombe vite, là-bas.

J'étais porteur de mon calibre 12 chargé de plomb n°3 — j'espérais tirer de gros canards dont le passage était chose normale à ces heures.

Un bruit d'herbes froissées sur ma droite attira mon attention ; presque aussitôt, un grand animal traversa d'un seul bond la piste que je suivais, me présentant son flanc gauche ; je lançai mon coup de feu un peu comme en France je tirais un lapin au déboulé.

Touchée, la bête se reçut sur le sol, sans un cri, mais, en se débattant, elle brisait les branches autour d'elle.

Rechargeant mon arme avec des chevrotines, j'attendis sans bouger ; quelques instants passèrent ; n'entendant plus rien, j'avançai, je pus distinguer ma victime allongée : c'était une panthère de taille moyenne.

Je partis alerter quelques hommes pour revenir avec des lanternes et ramasser mon gibier.

Transportée au poste, la panthère fut dépouillée, ma charge de gros plombs entrée du côté gauche du thorax avait perforé le poumon, et un groupe de plombs agglomérés faisant balle avait crevé la base du cœur, provoquant une mort presque immédiate.

Dans cette même région, une panthère enlevait, de temps en temps, une chèvre du petit troupeau appartenant aux indigènes. Ceux-ci me demandèrent de les débarrasser.

Je fis préparer un affût en face du soutou (1) d'où sortait la panthère chaque fois qu'elle préparait un mauvais coup — ses traces étaient très nettes.

Des broussailles épineuses placées sur une légère élévation de terrain de nature latéritique permettaient de surveiller la forêt sans être vu, et leur entassement voulu formait à la fois un abri et un retranchement pour le guetteur.

Sur ces entrefaites, l'administrateur adjoint de la circonscription vint me voir ; je lui fis part de mon projet et, comme il était chasseur lui aussi, il me demanda de l'attendre, il serait de retour dans quarante-huit heures.

Je l'attendis ; il fut exact.

Le soir venu, nous nous installâmes dans notre cachette ; mon compagnon avait une carabine automatique Winchester 401 ; j'étais la réserve, avec mon 12 à chevrotines.

Une chevrette avait été attachée à 50 mètres de l'entrée du soutou et à 15 ou 20 pas de notre affût.

Comme toujours, en pareil cas, l'attente fut longue et fastidieuse ; la lune éclairait suffisamment et le vent nous servait.

La chevrette qui bêlait à fendre l'âme s'étant tue soudain, nous vîmes une masse sombre qui rampait sur le sol. Un coup de feu claqua, c'était la Winchester qui avait parlé ; une panthère durement touchée se débattait, les reins brisés.

Malgré cette terrible blessure, le fauve esquissa un mouvement d'attaque vers nous : il avait perçu le bruit qu'avait fait en tombant et en rebondissant sur les cailloux la douille éjectée violemment par l'arme automatique.

Mon coup de 12 mit fin à l'agonie de la bête.

Une autre fois encore, un commerçant, très proche voisin, dont le petit bétail était trop souvent mis à mal par des panthères et des hyènes, avait fait l'achat de pièges à fauves.

Je lui avais demandé que, lors d'une de ses premières prises, il veuille bien me prévenir.

Je désirais me rendre compte in anima vili de l'effet d'une balle de revolver puissant dans le crâne d'une panthère.

Un matin, bien avant le lever du soleil, un noir me réveilla, il était porteur d'un billet :

« Panthère prise. Vous attends. »

Sans tarder, je me rendis sur les lieux ; retenue par le piège, une panthère excessivement maigre, à peu près debout sur trois pattes, feulait dès qu'on faisait mine d'approcher.

Elle fut tuée net d'un coup de revolver Colt 44-40 tiré dans la tête à bout portant.

Mon voisin le commerçant, quelques indigènes et moi étions restés assez près du fauve avant de l'occire.

Quand les mâchoires du piège furent ouvertes, nous nous rendîmes compte quelle imprudence avait été la nôtre.

En effet, l'animal n'était retenu que par trois doigts du membre postérieur gauche ; il devait ressentir une violente douleur à chacun de ses mouvements, mais une détente brusque de sa part lui aurait permis de se libérer, de fuir ou, plus encore, de sauter sur l'un de nous.

Chez le même commerçant, la plus belle panthère que j'ai jamais vue avait trouvé le moyen d'arracher la chaîne qui retenait le piège et de s'enfuir, traînant derrière elle toute cette ferraille : piège, chaîne d'attache et piquet de retenue.

Elle fut transformée en écumoire par les projectiles que lui lancèrent les indigènes courant à ses trousses.

Les noirs perdus dans la brousse utilisent un grand nombre de pièges primitifs pour s'emparer des animaux qui leur causent des ennuis ou dont les dépouilles se vendent bien ; mais que de patience il leur faut et quels déboires leur sont le plus souvent réservés !

Pour l'Européen, l'affût est un des meilleurs moyens de tirer les panthères.

Les peaux que j'ai rapportées d'A. O. F. proviennent de ce mode de chasse.

Dans certains cas, le chasseur à l'affût est assailli par des nuées de moustiques, au point d'être obligé de battre en retraite.

Cela m'étant arrivé, j'avais par la suite confectionné une sorte de moustiquaire de tête très semblable au voile des apiculteurs ; en outre, je portais des gants de peau ; culottes et molletières protégeaient cuisses, jambes et chevilles.

Le short n'était pas encore à la mode.

Et, à ce propos, j'ajouterai ici que, pour les chasseurs coloniaux, le quasi-nudisme, avec ou sans short, est un non-sens.

Si les piqûres de moustiques et autres bestioles sont moins à craindre depuis que la découverte de certains vaccins met à l'abri de maladies jadis redoutées, comme le typhus amaryl ou fièvre jaune, pour n'en citer qu'une, d'autres accidents guettent le broussard.

Les pommades, embrocations et liquides antiparasites, même à base de D. D. T., ne sont pas des panacées, et les éraflures, écorchures et piqûres d'épineux, les coupures de certaines grandes herbes avec leurs conséquences possibles : tétanos, ulcères phagédéniques, sont toujours à craindre, sans omettre les morsures de serpents.

Toutes choses à peu près négligeables grâce au port de vêtements appropriés.

MENGARDE.

(1) Soutou : nom donné par les indigènes à une partie de forêt particulièrement épaisse.

Le Chasseur Français N°664 Juin 1952 Page 373