Dans une réunion de chasseurs, il est rare que l'on ne
saisisse pas au vol, avec parfois quelques variantes, les propos suivants :
— Je crois bien, décidément, que j'aurais avantage à
faire modifier ma crosse ...
— Moi, j'ai un fusil qui me va comme un gant.
Pourquoi y a-t-il des chasseurs satisfaits et d'autres qui
le sont moins ? Nous avons souvent, dans ces causeries, discouru à ce
sujet ; il nous semble toutefois que certaines particularités des armes
n'attirent pas suffisamment l'attention des chasseurs.
Toutes qualités égales par ailleurs, nous désirons
aujourd'hui insister sur l'influence du poids des armes et celle de leur
équilibre sur les facilités de mise en joue ; nous supposerons donc que le
chasseur sait ce qui lui convient ou est judicieusement conseillé en ce qui
concerne la couche et la longueur de crosse. Mais, quelle que soit l'expérience
du conseiller, il est deux choses qu'il lui est malaisé d'apprécier : ce
sont, d'une part, la résistance à la fatigue de l'acheteur, de l'autre, la
vivacité de ses réflexes.
En outre, il est bon que tout usager de l'arme de chasse
sache exactement ce que sont l'équilibre et le moment d'inertie de l'arme.
Résistance physique, réflexes, équilibre et moment d'inertie
sont, en effet, les quatre facteurs qui interviennent dans la rapidité et la
précision de l'épaulement ; les deux premiers par influence personnelle de
l'usager, les seconds par des effets mécaniques simples.
Examinons-les en détail.
En ce qui concerne la résistance à la fatigue, il convient
de se méfier de l'influence du moment. Telle arme paraît légère en magasin et
sera trouvée lourde après cinq ou six heures de chasse : « Connais-toi
toi-même », dit un sage précepte. Ceux qui ont quelque peu chassé savent
ce qui leur convient et, s'ils veulent bien ne pas être trop prétentieux, ils
feront bien de reconnaître parfois, surtout s'ils prennent de l'âge, que leur
calibre 12 est bien un peu lourd vers le soir ... Dans ce cas, qu'ils
n'hésitent pas à le remplacer par un calibre 16. Quant aux jeunes, il est
entendu que leurs muscles de sportifs sont capables de tous les records ;
leur poser la question du poids de l'arme et de la fatigue vespérale les ferait
sourire, sans doute.
Sur le terrain de chasse, il vaut mieux, le plus souvent,
tirer vite et juste 28 grammes de plomb que d'en envoyer 32 trop loin ou à côté
de la pièce.
En ce qui concerne le poids, défions-nous donc de la
première impression et consultons nos forces, mais en les appréciant à leur
valeur réelle.
La rapidité des réflexes est conditionnée par les
dispositions nerveuses personnelles, et aussi par l'âge du sujet ; c'est
dire que ce dernier ne peut guère y changer beaucoup de choses. Il se
souviendra toutefois qu'à dispositions égales l'exécution d'un mouvement est
d'autant plus rapide, toute question de fatigue écartée, que l'effort à faire
est moindre. En réalité, la mise en joue rapide d'une arme revient non
seulement à dépenser des kilogrammètres pour l'élever jusqu'à l'épaule, mais
encore à lui communiquer une accélération dont la valeur augmente, avec la
masse, d'une manière assez importante. Les muscles travaillent ici comme le
câble de l'ascenseur qui, au moment du démarrage, supporte un effort très
supérieur au poids de la cage. En conclusion, une économie de poids soulage les
muscles statiquement et dynamiquement.
Mais n'allons pas chercher la réduction du poids dans
l'emploi des armes trop légères et inconfortables à tirer ; nous n'y
trouverions ni agrément ni économie.
Tout ceci étant bien entendu, examinons ce qu'une
fabrication judicieuse peut nous apporter d'utile. Tous les chasseurs savent
qu'une arme est dite équilibrée lorsqu'elle peut prendre une position
horizontale, étant placée sur une arête quelconque au voisinage de l'axe de
bascule. Au cas contraire, elle est dite posséder une prépondérance de bouche
si elle penche du côté du canon et une prépondérance de crosse si cette
dernière entraîne l'arme.
La prépondérance de crosse n'est pas un grand défaut,
d'ailleurs : elle facilite le tir de la plume et soulage la main gauche.
Certains tireurs de pigeon, s'inquiétant peu du poids de l'arme en raison de
leur spécialisation, font même plomber leurs crosses pour obtenir la
prépondérance de crosse. Quant à la prépondérance de bouche, c'était le grand
défaut des armes à baguettes possédant de longs canons : l'invention des
armes à bascule nous a apporté, en supplément de la facilité de chargement, un
bien meilleur équilibre. Nous n'avons plus à craindre, de ce fait, un tir lent
et bas.
Mais l'équilibre n'est pas tout : nous avons déjà
exposé dans ces causeries ce qu'il convient d'entendre par moment d'inertie
d'un fusil, au sens mécanique de l'expression. Il ne faut pas voir dans cette
définition une allusion quelconque à un certain retard dans la mise en
mouvement de l'arme, mais bien une sorte de mesure de la concentration des
diverses masses composant l'arme. Si ces dernières sont aussi voisines que
possible du centre de gravité, l'arme sera très facile à manœuvrer et semblera
peser bien moins entre les mains du chasseur.
Toutes les armes dont les prototypes ont été sérieusement
étudiés à ce point de vue sont constituées de pièces dimensionnées en
conséquence. On saisira ainsi facilement pourquoi des armes montées avec des
pièces de qualité, mais n'ayant pas été prévues pour constituer un tout,
peuvent être parfois d'un très médiocre maniement.
Nos lecteurs comprendront maintenant pourquoi certains
fusils vont comme un gant et pourquoi d'autres donnent peu de satisfaction à
leur propriétaire. S'il convient de consulter son adresse en choisissant un
choke, il convient également de consulter ses forces en choisissant un calibre.
Si, de surcroît, on fait confiance à une fabrication sérieuse, on aura en même
temps un bon équilibre et un moment d'inertie convenable.
Nous donnerons encore un conseil : ne faites apporter à
votre arme de modification qu'après mûre réflexion. À faire penter ou redresser
une crosse avec plus ou moins de succès, on finit généralement par gâcher le
meilleur outil.
Il est, d'ailleurs, assez curieux de constater que les
dimensions réclamées par les chasseurs sont assez souvent fonction des régions
d'utilisation sans que la taille moyenne des habitants implique plutôt
certaines dimensions que d'autres. En outre, on voit assez souvent des
chasseurs de grande taille se servir de crosses courtes et inversement :
terminons, à ce sujet, par quelques mots d'histoire.
Le musée de Saint-Étienne possède, entre autres pièces
remarquables, un fusil à deux coups ayant appartenu à Napoléon 1er et
un fusil à un coup ayant longtemps servi à Louis XIV. Nos lecteurs admettront
que ces deux monarques avaient les moyens de choisir et d'employer, en se
livrant à l'exercice de la chasse, les armes qui leur convenaient le mieux.
Or nous avons eu la curiosité de faire relever les
dimensions de crosse des deux fusils, et voici ce que l'on peut constater.
Louis XIV, qui était de grande taille, utilisait un fusil de 34cm,2
de longueur de crosse, alors que le Petit Caporal avait une arme de 35cm,3.
La tradition assure, en outre, que Louis XIV tirait fort bien, mais que
Napoléon 1er tirait parfois sur les voisins. Ne l'imitons pas.
Sachons donc bien choisir un fusil adapté à nos facultés
physiques d'abord : résistance et adresse ; à notre constitution
ensuite, sans exagérer l'importance de certains détails. Nous aurons ainsi mis
de notre côté toutes les chances de succès dans l'exercice de notre sport
favori.
Un peu de persévérance nous permettra de le constater.
M. MARCHAND,
Ingénieur E. C. P.
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