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Causerie juridique

La chasse à la poule faisane

L'interdiction d'une telle chasse est-elle actuellement légale ou non ? Dans des départements, et ce n'est pas sans créer de bien curieuses situations dans leurs régions frontières, la chasse à la poule faisane est interdite totalement et absolument ; l'interdiction est faite par arrêtés émanant du ministre de l'Agriculture et il convient de se demander si de tels arrêtés sont légalement pris. La question des arrêtés illégaux en matière de chasse a été excellemment posée, dans son dernier article du Chasseur Français, par Me Paul Colin ; il concluait très justement que les tribunaux se refusaient à bon droit à sanctionner les infractions à tous arrêtés pris en dehors des cas expressément prévus par la loi.

Une nouvelle décision, pleine d'intérêt, vient d'intervenir, faisant application de principes qui sont maintenant généralement admis et qui sont conformes à la jurisprudence même de la Cour de cassation.

Il s'agit d'une décision du tribunal de Châteauroux du 16 janvier 1952 et dont voici l'espèce :

Un sieur S ... était prévenu d'avoir chassé la poule faisane alors que la chasse de ce gibier était prohibée par un arrêté ministériel du 15 août 1951, prévoyant, en son article 6 : « La chasse à la poule faisane est interdite toute l'année » ; l'arrêté du 15 août 1951 étant lui-même pris en vertu de l'article 7 de l'arrêté du 7 mai 1951, disposant que « les dates d'ouverture pourront être retardées dans tout ou partie d'un département ; ces décisions, ainsi que les dispositions relatives à la destruction des animaux nuisibles et à la protection du gibier, seront prises par arrêtés ministériels spéciaux sur la proposition du préfet ... »

Le tribunal correctionnel de Châteauroux a, de manière fort juridique, prononcé la relaxe du prévenu. Les attendus du jugement sont les suivants :

« Attendu que le ministre de l'Agriculture (autrefois la préfet avant la loi du 28 juin 1941, art. 7) tient de la loi du 3 mai 1844 le pouvoir de prendre des arrêtés sur certaines questions limitativement énumérées : ouverture et clôture de la chasse en général (art. 3, § 1), ouverture retardée et fermeture avancée pour certains gibiers (art. 3, § 2), ouverture retardée dans certains bois (art. 3, § 3), l'époque de la chasse des oiseaux de passage (art. 9, § 3, 1°), le temps de chasse au gibier d'eau (art. 9, § 3, 2°), les espèces d'animaux nuisibles (art. 9, § 3, 3°), les mesures de prévention de la destruction des oiseaux ou pour favoriser leur repeuplement (art. 9, § 4, 1°), l'emploi de chiens lévriers pour les animaux nuisibles (art. 9, § 4, 2°), l'interdiction de chasse en temps de neige (art. 9, § 3, 3°) ;

» Attendu qu'aucun texte compris dans la loi du 3 mai 1844 ne prévoit la possibilité de prendre des arrêtés pour la protection du gibier ; que, dès lors, les infractions à un arrêté pris dans ce but ne sauraient tomber sous les préventions réprimées par ladite loi (art. 11 et 12) ; qu'il convient donc de rechercher si l'art. 7 de l'arrêté du 7 mai 1951 (en ce que ce dernier texte prévoit la protection du gibier) est légalement pris (Cass. crimin., 5 août 1887, S. 1891.2.157) ;

 » Attendu qu'en dehors des pouvoirs spéciaux à lui conférés par la loi du 3 mai 1844 le préfet ne pourrait prendre des dispositions intéressant la chasse que dans la mesure où serait intéressé en même temps le maintien de la sûreté publique ; que l'arrêté doit indiquer alors qu'il est pris en vertu des pouvoirs généraux de police en matière de sécurité publique (Cass. crimin., 16 mars 1872, D. 72.1.148) et que l'infraction à un tel arrêté est réprimée par l'art. 471, § 15, du Code pénal ; qu'un arrêté sortant de ce cadre est illégal, aucun pouvoir général de police en matière de chasse n'existant en faveur du préfet et depuis la loi du 28 juin 1941, art. 7, du ministre de l'Agriculture (Grenoble, 16 novembre 1900, D. 1901.2.135) ;

» Attendu, en ce qui concerne l'arrêté du 15 août 1951, art. 6, qu'on ne saurait assimiler ce texte à un arrêté d'ouverture retardée ou de fermeture avancée ; que les textes en matière pénale ou de restriction aux libertés publiques doivent s'interpréter restrictivement ; que l'assimilation est écartée dans l'esprit même de la réglementation dudit arrêté, qui aurait pu prévoir une fermeture quelques jours aussitôt après l'ouverture ;

» Attendu que ce même texte ne saurait être considéré comme pris en vue de prévenir la destruction ou de favoriser le repeuplement ; que ce texte réalise une simple limitation du droit de chasse, laquelle est un procédé légal de destruction ... »

Le tribunal de Châteauroux a très justement appliqué le principe selon lequel les dispositions de la loi du 3 mai 1844, portant toujours Statut de la chasse en France, doivent être interprétées strictement, notamment pour ce qui est des pouvoirs accordés par elle aux préfets et, maintenant, au ministre de l'Agriculture.

Le tribunal des Sables-d'Olonne, et c'était l'espèce rapportée par P. Colin dans son article du Chasseur Français du mois d'avril, avait constaté qu'aucune disposition légale n'autorisait préfets ou ministre à restreindre le droit de chasse à certaines parties du sol et il avait décidé qu'un arrêté ministériel interdisant la chasse au canard colvert, dans un département, sur certains étangs, ne remplissant pas certaines conditions, était illégal.

Il est certain que, lorsqu'un arrêté restreint ainsi, en dehors des cas prévus et que rapporte le tribunal de Châteauroux, l'exercice du droit de chasse, qu'il s'agisse de parties du territoire ou de certaines espèces de gibier, il y a lieu d'en constater l'illégalité et de ne donner aucune suite aux procès-verbaux pris en vertu de telles dispositions.

C'est l'application du même principe qui conduisait le tribunal d'Épernay, le 15 mars 1949, à déclarer illégal un arrêté ministériel interdisant la chasse à la chevrette ; et c'est l'application du même principe qui fait considérer comme illégaux les arrêtés interdisant la chasse dans les vignes (Le Chasseur Français de janvier 1952).

Mais, puisque les principes sont certains, que la jurisprudence semble bien établie, il conviendrait que des arrêtés ne continuent pas à être pris avec autant de légèreté ; si les textes légaux qui existent sont insuffisants, il appartient au législateur de les modifier, mais, tels qu'ils sont, ils s'imposent à tous. Il est certain qu'il y aurait intérêt pour tous à ce que la réglementation ne soit pas à ce point désordonnée, et, pour les chasseurs en particulier, qui dans leur masse ne sont ni des chicaneaux ni des braconniers, que leurs droits et leurs devoirs soient clairement fixés.

Jacques GUILBAUD,

Docteur en droit.

Le Chasseur Français N°665 Juillet 1952 Page 386