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La chasse au chien courant

Rapprocher et forlonger

À la suite de ce que j'écrivais dernièrement dans Le Chasseur Français, en une causerie intitulée « Finesse de nez », j'ai reçu un assez copieux courrier de chasseurs au chien courant me posant différentes questions ayant trait au rapprocher et au forlonger. C'est par notre journal que je leur répondrai.

On peut considérer la voie, nous le savons tous, de trois façons différentes selon son état de fraîcheur, c'est-à-dire plus ou moins récente, plus ou moins haute, dirait-on mieux.

D'abord, pour suivre l'ordre chronologique d'un laisser-courre, voici la voie de la nuit que l'on rencontre dans le rapprocher ; puis la voie du debout, ou lancer, qui, comme son nom l'indique, commence lorsque l'animal bondit devant les chiens ou quitte sa reposée et normalement continue jusqu'à la prise ou la mort ; une troisième forme peut exister dans le forlonger, ou voie de l'animal qui a pris de l'avance.

« Rapprocher, c'est lancer un animal passé de hautes erres et dont les chiens ont suivi longtemps la voie. » Cette définition, empruntée au comte Le Coulteux de Canteleu, indique bien ce que doit être un rapprocher bien mené : rapprocher, c'est lancer ... En effet, le ou les chiens qui crieraient sur une voie trop froide ou sur des bribes de voies sans parvenir à mettre debout l'animal dont ils ont connaissance ne sont pas des rapprocheurs : ce sont des bavards trop peu fins de nez ou pas assez intelligents pour débrouiller l'écheveau qui les conduirait à attaquer ; ils sont semblables dans leur médiocrité aux mauvais chiens d'arrêt qui sans cesse bandent des faux arrêts et sont incapables de distinguer la présence réelle du gibier de vagues émanations.

Pour rapprocher correctement, il faut des chiens fins de nez, entreprenants et adroits. La bonne voie du rapprocher est une voie du matin, car après midi il ne faut pas compter, à moins de très bonne terre, essayer de lancer lièvre et chevreuil de cette façon-là. Voie froide d'elle-même et qui à cause de cela est d'autant plus sensible aux influences de la température ; les grosses pluies, le soleil chaud et brûlant, le dégel « mangent la voie », comme disent les piqueux.

Il peut apparaître des anomalies qui semblent inexplicables et il n'y a parfois aucune concordance de qualité entre la voie du rapprocher et celle du debout ; des jours existent où il est presque impossible de rapprocher et où les chiens chassent fort bien ; le contraire est beaucoup plus rare, du moins avec cette netteté.

Certains diront que l'animal partant de sa reposée pour faire sa nuit s'en va doucement ; son pied s'échauffe légèrement et, comme il marche d'assurance, reste plus longuement à terre et y laisse plus de sentiment que s'il passe aux grandes allures, où le contact avec le sol est beaucoup plus court. La voie du rapprocher devrait donc être, en principe, meilleure que celle du debout ; ce serait vrai si, à l'odeur laissée par le pied de l'animal poursuivi, ne venait s'ajouter celle de sa respiration, de sa sueur qui forme une nappe odorante, se déposant sur les portées en formant un couloir d'effluves beaucoup plus fortes en somme que celles laissées par le pied.

De même, la nature du sol et la composition du terrain influent sur la qualité de la voie, sur un terrain sec, rocailleux ; dans des endroits dénudés et battus par les vents, elle durera moins longtemps que là où elle est mieux protégée ou recueillie. C'est encore un de ces phénomènes que nous constatons sans pouvoir l'expliquer.

La voie du debout se modifie et devient voie de forlonger, l'animal chassé ayant pris beaucoup d'avance.

Que se passe-t-il exactement dans un forlonger ? L'animal ayant pris beaucoup d'avance; la voie devient-elle mauvaise à cause du temps écoulé ? Ou bien, la voie devenant mauvaise par suite des circonstances atmosphériques, les chiens ont plus de peine à enlever la voie, chassent plus lentement et l'animal en profite pour gagner au pied ? Eh bien ! je crois que les deux cas peuvent se rencontrer : un grand défaut, un incident quelconque peuvent donner du répit à l'animal, qui saisira l'occasion pour prendre de l'avance. Dans ce cas, si le temps est bon, les chiens emmèneront facilement la voie qui ira en se réchauffant et aboutira le plus souvent à un relancer. Autrement, la voie se refroidira graduellement, l'animal prendra de plus en plus d'avance, et les chiens, comme s'ils se rendaient compte de leur infériorité passagère due à la mauvaise terre, iront de plus en plus lentement pour bientôt mettre bas. L'animal sur ses fins et qui a perdu de son odeur peut occasionner le même forlonger pour peu qu'il ait distancé la meute. Aussi dans ces moments faut-il laisser toute initiative aux chiens et se bien garder de les enlever pour les porter en avant ; en leur faisant quitter une voie si légère on risquerait presque sûrement de les faire perdre et qu'ils ne puissent même plus chasser cette voie si plus tard on la leur redonnait.

Cela tout naturellement nous amène à parler de la persistance de la voie. On peut dire avec certitude que cette persistance n'est pas proportionnelle à la qualité ; en effet, une voie légère peut être tenace, tandis qu'une très bonne voie peut s'évaporer rapidement. Là aussi, les circonstances atmosphériques ont le grand rôle avec la configuration du terrain. Il est des jours où la voie tient, d'autres où elle est fugitive. Il est des phénomènes plus déroutants encore : dès le passage de l'animal, la voie semble s'évaporer rapidement pour apparaître de nouveau un moment après, et bien meilleure, au point que les chiens qui n'en avaient plus connaissance, ramenés sur la piste un quart d'heure après, en refont et l'emmènent de nouveau. J'ai surtout constaté cette anomalie en chassant des renards ; après que l'animal eut battu l'eau dans des fossés ou quelque queue d'étang, la voie disparaissait brusquement, et les chiens tombaient en défaut. Retrouvant la voie grâce aux volce-l'est, les chiens n'en refaisaient pas davantage et puis, dix minutes après, cette voie diabolique revenait et la chasse continuait en un forlonger qui allait en s'améliorant.

Dans ces forlongers, il faut laisser faire les chiens et ne pas se décourager ; souvent lorsque la terre est bonne, ils sont funestes à l'animal de chasse ; après s'être tiré des grègues, n'entendant plus cette meute qu'il croit avoir distancée, il se rassure et, comme il est fatigué, il se remet en quelque fort. Mais la course qu'il vient de fournir l'a échauffé, il se refroidit d'autant plus vite, s'engourdit et, si les chiens viennent le relancer, ses pattes raidies ne le porteront plus qu'avec peine ; pour peu qu'il soit alors poussé vivement, il tombera bientôt hallali devant la meute.

Il est très curieux et intéressant de comparer les différentes manières dont se comportent les chiens lorsque la voie est légère, car il est rare de trouver un sujet qui brille également dans tous les cas rencontrés. Comme nous l'avons déjà dit, ces trois spécialités du rapprocher, de la route et du forlonger sont le produit d'aptitudes particulières développées chez le chien courant par l'âge et l'expérience. Trouve-t-on un bon rapprocheur, un bon chien de chemin avant qu'il ait atteint quatre ou cinq ans ? Pas souvent, je le crois. J'ai vu aussi des chiens qui ne rapprochaient pas et qui, un bon rapprocheur leur étant adjoint, se mettaient à crier sur des voies de la nuit : voici donc la preuve que c'est une qualité que certains chiens peuvent acquérir.

Si un forlonger de lièvre ou de chevreuil est ravissant à voir, un rapprocher est une des plus jolies phases de la chasse ; rien n'est amusant comme de défaire la nuit d'un lièvre, d'un chevreuil, d'un sanglier. C'est un plaisir dont un veneur ne se lasse guère, le prélude en quelque sorte de tout beau laisser-courre.

Guy HUBLOT.

Le Chasseur Français N°665 Juillet 1952 Page 387