Il se devait d'être charmant comme elles, et il a bien
rempli son devoir. Les graves savants qui président à la classification des
oiseaux se sont eux-mêmes laissé séduire par sa grâce pimpante et l'ont dénommé
« chardonneret élégant ».
C'est en effet l'un de nos plus jolis passereaux et l'un
aussi des plus communs, des plus connus. Tout le monde a pu admirer sa
gracieuse tête tricolore, rouge, blanche et noire, son bec conique couleur
d'ivoire, son ventre et sa poitrine blanchâtres, son dos et ses flancs brun
clair, ses ailes et sa queue noires, barrées de jaune d'or.
Joignez-y une humeur charmante. Quelqu'un a prétendu (c'est Toussenel,
je crois) qu'on ne devrait pas dire « gai comme un pinson », mais « gai
comme un chardonneret ». Et c'est l'exacte vérité. Le pinson se fait
entendre continuellement, mais ses roulades sonores et bien ordonnées sont
reprises avec dignité, comme s'il s'écoutait et surtout comptait bien qu'on
l'écoute. C'est un individualiste qui connaît sa valeur, et même, peut-être, la
surfait. Le chardonneret lance, lui, ses gazouillements au petit bonheur, les
interrompt à peine commencés, les reprend pour les interrompre encore, s'unit à
ses semblables dans un chœur d'une jubilation triomphale, puis s'enfuit sans le
terminer, en secouant dans l'air les perles de gaîté de son concert inachevé.
Aux jours les plus chauds de l'année, son allégresse ne
faiblit pas. Elle babille jusque dans les friches brûlées par le soleil d'août,
où il se régale des graines mûres des divers chardons, dont il tire son nom. « Aucune
journée du plein été ne peut être absolument pesante », écrit Lord Grey,
l'ancien Premier Ministre anglais, dans son délicieux petit livre Le Charme
des oiseaux, « s'il y a des chardonnerets dans le jardin et des frênes
dans les champs, au-delà ».
Le frêne, l'arbre aux feuilles découpées et légères qui
remuent à la moindre brise, et le coquet oiseau au caractère insouciant, dont
la gaîté s'accommode de tout, même des sombres jours d'hiver où deux ou trois
d'entre eux passent parfois à tire-d'aile, avec des tituli, tituli
si légers qu'ils éveillent comme une promesse le souvenir des étés disparus ;
ils acceptent même facilement la captivité, sans perdre pour cela le boire et
le manger, le besoin de chanter et de se reproduire, et s'accoutument à la
compagnie de nos canaris domestiques avec lesquels ils s'unissent parfois pour
donner les hybrides, dont le plumage rappelle celui des deux espèces.
« Des chardonnerets dans le jardin ... »,
vient de nous dire Lord Grey. C'est bien là certainement leur domaine de
prédilection. Ils ne craignent nullement la proximité de l'homme et semblent
presque la rechercher. Les marronniers et les tilleuls de nos terrasses, les
poiriers en fuseau de nos potagers et de nos vergers ont toutes leurs faveurs. Tout
à l'extrémité des longues branches des grands arbres — hélas ! quelle
hécatombe, après les tempêtes ! — ils placent leur merveilleux petit
nid, si chaud, si douillet, matelassé de laine, de crins, de mousse, de plumes
et de duvet de chardon, qui ne le cède guère en élégance et en confort à celui
du pinson, ou bien à la cime extrême des beaux poiriers bien taillés. Mais ils
recherchent beaucoup aussi les buissons de lilas ainsi que les arceaux et les
pergolas de rosiers. C'est un spectacle ravissant de voir les jolis oiseaux
aller et venir entre les bouquets de roses aux teintes variées, ou s'y percher
coquettement pour y lancer leurs notes joyeuses. Mais leur goût pour les fleurs
ne se borne pas là. Ils fréquentent au printemps les corbeilles de myosotis,
dont ils emploient les petites tiges à crochets pour augmenter la solidité de
leur nid. Pendant la guerre, une amie m'écrivait : « Nous avons dû
renoncer, cette année, à nos corbeilles de fleurs et nous nous demandions ce
que les chardonnerets allaient faire. Le croiriez-vous ? Ils se sont
hasardés jusque sur une fenêtre où, dans une jardinière, fleurissaient quelques
pieds de myosotis. On voyait battre d'émoi leur petit cœur. Mais ils ont quand
même eu le courage de venir chercher, brin à brin, toute leur provision. »
En mai, ils visitent les bordures de bleuets vivaces (Centaurea
montana), dont ils apprécient les graines, et pour la même raison, en fin
d'été, les plantations de Cosmos (Cosmea bipinnata) aux jolies fleurs
blanches et roses, parmi lesquelles il est charmant de les voir voltiger. Ils
ont pour les graines de ces plantes une passion telle qu'il m'a fallu, certaine
année où je désirais les récolter, lutter de ruse avec eux. J'avais beau me
lever plus tôt, toujours, quand j'arrivais, les graines mûres avaient disparu,
et les chardonnerets, perchés sur les poiriers tout proches, semblaient
gentiment me narguer. Il me fallut descendre dès l'aurore pour obtenir mes
graines, encore humides de rosée.
Malgré sa légèreté apparente, le chardonneret est un époux
très affectueux. Il a, comme le gobe-mouches gris, cette jolie habitude de se
poser à chaque instant au bord du nid, pour témoigner à sa femelle, toute à son
devoir de couveuse, la part qu'il prend à son immobilité, à ses peines, et pour
lui apporter aussi sa nourriture, car elle quitte bien rarement ses œufs. Afin
de la distraire, il se perche, très en vue, à la cime de l'arbre et l'égaye de
ses vocalises. Ce faisant, naturellement, il découvre aussi à l'observateur
l'emplacement du nid, qu'il ne se soucie d'ailleurs pas de cacher. Mais cet
oiseau, si confiant, devient d'humeur farouche si l'on s'avise de toucher à ses
petits œufs bleuâtres tachés de pourpre, ou simplement de les regarder. On
trouve, le lendemain, le nid défait et les œufs à terre, brisés.
Comme le bouvreuil, et sans doute pour les mêmes raisons — époque
de maturité des graines nécessaires à l'élevage de la nichée — le
chardonneret est un nicheur tardif. Il ne construit guère son nid avant le mois
de mai, et j'en ai vu plusieurs fois se livrer avec zèle à cette occupation
vers la fin de juillet, la première couvée ayant sans doute péri. Il aime les
graines de chou et de laitues — ainsi que leurs feuilles vertes, — de
chicorée d'œillette, de bouleau et de chardon, qu'il mange principalement sur
les végétaux et non à terre. Mais sa nourriture de prédilection est le chènevis
et l'on a fort à faire dans les régions où l'on cultive le chanvre pour le
protéger contre ces gracieux pillards. Serait-ce la raison pour laquelle on les
voit d'année en année disparaître ? Avant la guerre, le Bulletin de la
Ligue pour la protection des oiseaux avait à plusieurs reprises constaté avec
regret la diminution progressive des chardonnerets. Je l'ai moi-même constatée :
les poiriers de mon potager ne voient plus se percher à leur cime le mâle
veillant sur sa femelle et sur son nid avec son chant joyeux. Grâce pour cet
aimable chanteur et pour ce ravissant petit oiseau !
Pierrette MAGNE.
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