C'est le dernier mois de la chasse, celui qui amène la
clôture complète. Ce n'est plus l'hiver et ce n'est pas encore le printemps.
« Marsejo », il fait le temps de mars, un coup de
vent froid, le ciel se couvre, il pleut ; puis vite le ciel devient bleu. Il
faut quitter la veste qu'une heure après on sera bien aise d'avoir à portée de
la main pour se couvrir à nouveau.
Le marais change d'aspect et des habitants y font leur
apparition. Le chien s'agite dans les joncs. Un râle noir sans doute. Voilà sous
vos pieds un oiseau qui court comme un rat. Hop ! il s'envole lourdement,
il affleure les pointes des joncs sa tête paraît grosse. Il faut le laisser
s'éloigner pour ne pas l'abîmer. C'est la première marouette qui va au carnier.
La marouette est la caille du marais. Il faut battre
soigneusement ses lieux de prédilection, car elle part difficilement ;
quelquefois même elle ne part pas. Blessée, si elle peut courir, elle est très
difficile à trouver. On la rencontre avec la bécassine ; mais elle ne
craint pas les joncs épais.
Voici qu'on entend, là-bas, venir des cris peu harmonieux
sans cesse répétés comme ceux de plusieurs poulies qui grincent. Ce sont des
échasses à manteau blanc, leurs longues pattes rouges tendues comme un mince
fuselage, qui ayant été dérangées effectuent un vol au-dessus de l'eau pour
revenir à leur point de départ.
Voici encore le vol mollement agité des vanneaux que nous
avons aperçus tout à l'heure picorant dans une luzerne. Tout cela, c'est le
gibier de prime que la belle saison amène des régions plus chaudes où il a
passé l'hiver.
Un oiseau vient de rayer l'air. On lève le fusil qu'on
abaisse aussitôt, car c'est la première hirondelle.
Parmi les canards, les colverts sont les plus agités, en
raison de la précocité de leurs amours. Les couples sont formés depuis quelque
temps déjà. Les canes cherchent le nid où elles iront pondre. Les coups de
fusil font lever des couples des roseaux. Ils tournent longuement avant de se
reposer. S'il y a un bois à proximité du marais, d'autres couples se déplacent
de l'étang au bois et du bois à l'étang. Ils vont manger des glands en plein
jour, ce qu'ils se gardent bien de faire en dehors de l'époque de la pariade.
J'ai souvent observé ce voyage : sur le coup de midi, une ombre fuyante
sur le sol fait lever la tête vers deux canards qui tombent au bois. Certains
prétendent qu'ils y nichent, loin de l'eau.
Le tir du colvert est interdit depuis la première quinzaine
de février. Il faudrait être bien naïf pour croire que les couples sont l'objet
du respect général. On les tire d'autant mieux que, durant tout l'hiver, ils
sont restés la plupart du temps hors de portée et que lorsqu'on décroche le
mâle sa volage épouse ne tarde pas à ramener un successeur dans les mêmes
parages. Ainsi vont les choses de la chasse.
Une autre espèce de canard vient de faire son apparition :
la sarcelle d'été qu'ici nous nommons « cachareù ». C'est un oiseau
dont la chasse dure peu, car la fermeture générale est proche tout de même.
Le mauvais temps en mars, le vent, la pluie sont des
facteurs de réussite.
À terre, toute ressource n'est pas épuisée. La passée du
soir à la bécasse est encore autorisée. J'ai vu dans la dernière quinzaine de
cette saison, sur une queue de marais, trois sarcelles se croiser avec deux
bécasses.
On peut encore chasser le long des cours d'eau, y
poursuivre, en outre, la grive qu'au bois on peut attendre à l'affût.
Puis il y a la destruction des nuisibles. Chaque lieutenant
de louveterie peut organiser un certain nombre de battues aux sangliers.
Tout le monde ne pense pas à détruire. Beaucoup pensent à
repeupler. C'est Me Jeannot qui fait l'objet des plus grands
déplacements de gibier vivant. Ceux qui en ont trop dans leurs chasses les
remettent à ceux qui en manquent. Les premiers ont une autorisation de
dépeuplement, les seconds une autorisation de transport, le tout combiné dans
des conditions déterminées. La destruction au fusil n'est donnée qu'en
désespoir de cause. Où le furetage est possible la reprise avec bourse est le
mode courant. Un procédé plus amusant est la reprise au bois avec filets et
chiens courants. Les filets sont tendus dans les chemins et allées, le plus
loin possible de la lisière pour que les lapins, en arrivant au découvert,
prennent leur élan et s'emboursent mieux. Les chiens sont lâchés dans les
carrés correspondants. La technique consiste évidemment, pour les rabatteurs, à
mener le plus grand bruit possible, pour ceux qui surveillent les panneaux à
demeurer silencieux et cachés. Dès qu'un lapin se prend il faut l'enlever au
plus vite. Parfois il s'échappe, et on voit son poursuivant exécuter sur lui un
plongeon comme un gardien de but au football.
Les animaux capturés sont ensuite emportés vers les lieux
que l'arrêté préfectoral leur a assignés. Là, que deviennent-ils ? Je ne
crois pas à la vertu du lâcher pur et simple du gibier. Bien que le lapin soit
celui qui accepte le transfert avec le plus de facilité, le dépaysement nuit à
ses facultés de reproduction. Il y a une période d'adaptation au nouvel habitat
qui doit être fatale à bien des reproducteurs, tous les agents naturels étant
ligués contre eux. La nature élimine les faibles. Pour être vraiment
profitable, les conditions du lâcher devraient être préparées à l'avance :
état physique du gibier, couvert, remise, nourriture, protection. Il serait
vraiment trop simple de repeupler les chasses s'il suffisait de lâcher du
gibier en l'abandonnant à lui-même. Que de problèmes dont nous cherchons la
solution seraient résolus ! Il ne faut pas, pour cela, renoncer au
repeuplement ; bien au contraire, il faut le perfectionner pour éviter les
déceptions.
Tout cela fait de mars un mois plein d'attrait cynégétique ;
gibier d'été arrivant au marais, gibier d'hiver retournant au septentrion. Puis
un soir ou flotte de la douceur dans l'air, tandis que les chauves-souris,
nouvellement sorties de leur trou, font esquisser le geste inutile de lever le
fusil, on tire le bateau à terre et on le remise jusqu'à l'août, tandis que le
fusil sera soigneusement rangé.
Jean GUIRAUD.
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