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Chiens de lièvre

Les spécialistes

Les chiens de centre avancé (1).

— Quelques auteurs et quelques veneurs épris d'une très grande précision placent, entre le chien de tête et les chiens de centre avancé, ceux qu'ils dénomment les « chiens seconds », c'est-à-dire ceux dont la façon de chasser se rapproche beaucoup de celle des chiens de tête.

Mais c'est là une distinction toute théorique, car elle dépend de la plus ou moins grande aptitude à chasser en avant. En réalité, c'est une question de plus ou moins d'entreprise, qu'il est bien difficile d'apprécier d'une façon absolue.

Pour ne pas compliquer les choses par de simples suppositions ou par des appréciations plus ou moins exactes, on peut bien s'en tenir à une seule catégorie de ces chiens, moins entreprenants que les chiens de tête, mais plus entreprenants que les chiens de centre pur.

En réalité, si l'on n'a pas un vrai bon chien de tête, ou si l'on n'admet pas la nécessité du chien de tête, les chiens de centre avancé sont ceux qui contribuent le plus à une menée sûre et de bon train. On chasserait certainement mieux avec des chiens de cette catégorie, sans chien de tête, qu'on ne chasserait avec un chien de tête, mais sans eux. Pour être vraiment bien monté, ce sont ces chiens-là qui doivent constituer le gros de la meute. Sur ce point, je crois que tout le monde est d'accord.

Ce sont des chiens très ajustés et sages, qui mènent donc correctement, sans ambition, sans emballages, sans commettre d'imprudences. Pour être sages et bien ajustés, ils n'en sont pas moins débrouillards. Ils ne se décident pas aussi promptement à faire des cercles autour du défaut. Ils les entreprennent moins grands. Mais, au lieu; de faire du sur place absolument inopérant, dès qu'ils constatent que leurs recherches sûr les lieux mêmes de la difficulté restent vaines, ils se décident à aller de l'avant.

Les Chiens de centre pur.

— Puisqu'on chasse fort bien avec un bon lot de chien de centre avancé, à quoi peuvent bien servir ceux de centre pur ?

Oh ! évidemment, ils ne font pas d'étincelles ... Mais on s'aperçoit quelquefois, lorsque disparaît un chien de centre pur que l'on n'estime point à sa véritable valeur, que la chasse va moins bien que lorsqu'il jouait son rôle obscur.

Ces chiens-là, qui ne se fient qu'à leur seul odorat sont généralement des chiens très fins de nez. D'autre, part, ils sont tenaces et s'acharnent sur les lieux mêmes du défaut.

Eh bien ! ne serait-ce que pour le chasseur, ces chiens-là sont très utiles. Grâce à eux et grâce à leur ténacité, le chasseur, lorsqu'il rejoint sa meute dans le défaut, sait exactement où s'est produit la difficulté, il peut en déduire des impressions heureuses pour faire manœuvrer les chiens, si ces derniers se montrent incapables de vaincre la difficulté par eux-mêmes. Sans ces chiens, qui souvent donnent de la voix longtemps sur place, le chasseur ne sait pas ou s'est produit le défaut.

Et quelquefois, il y a intérêt à persévérer à l'endroit même du défaut et à ne pas trop se porter en avant, pour ne plus y revenir.

Le lièvre peut s'être tapi tout près et ne pas se décider à partir. Il peut avoir fait sa double ...

Si l'on n'a que des chiens très en avant, on peut perdre définitivement le contact avec l'endroit du défaut.

Si, au contraire, vous en avez quelques-uns qui s'y maintiennent, vos autres chiens, au lieu de partir à l'aventure, reviennent les voir ! Tout le monde s'acharne à travailler plus prudemment ; et le succès vient parfois couronner le modeste travail des chiens de centre pur.

Ainsi que je l'ai dit tout au début, un bon ensemble, agréable et efficace, est fait d'individualités aux qualités très distinctes et très dissemblables.

Le marquis de Mauléon, dans son excellent petit opuscule intitulé : Du choix des chiens dans la formation d'un équipage, écrivait : « Douze chiens pour prendre un lièvre est un nombre plus que suffisant si les chiens vont bien ensemble et ont chacun leur spécialité. Un chien de tête, deux chiens seconds, trois chiens de chemin, ne pensant qu'aux chemins, et six autres chiens bien en meute pour rattraper les crochets, les indiquant bien jusqu'à ce que la tête ait repris sa place. »

À propos de la chasse du chevreuil, il écrivait : « À mon avis, le chiffre de vingt-quatre chiens est celui qui doit le mieux convenir, mais, pour être bien armé, tous les chiens ne doivent pas avoir la même manière ; je voudrais en avoir huit droits comme des chiens d'ordre, huit requérants comme des briquets et huit finissants comme des bâtards. »

Il y a encore deux ou trois spécialistes dont la présence n'est pas indispensable, mais fort utile.

Le chien qui a tendance à relever les défauts en arrière est très précieux en cas de hourvari. Mais il faut que ce soit un chien absolument sûr et dans lequel on puisse avoir une confiance absolue. Car, s'il n'est pas absolument sûr, cela pourrait bien être un chien qui a tendance à chasser le contre ... ce qui est une tare impardonnable.

Le chien qui — sur une voie double — a conscience de cette double voie et coupe directement le crochet du retour, ça c'est un as. Il avance diablement les affaires. Quelquefois, sans avoir immédiatement la notion qu'il y a double voie, il va plus loin ... parfois jusqu'au bout, et il reprend la double en retour. On croit qu'il fait le contre. Il faut bien se garder de l'arrêter, si on a confiance en lui, car c'est lui qui est dans le vrai. J'ai eu une petite beagle harrier très intelligente, qui était parfaite en cas de double voie ...

Enfin, en cas de chasse à courre, il y a des chiens qui sont presque toujours les premiers à happer l'animal sur ses fins.

Le chien de chemin.

— Voilà au moins un spécialiste dont personne ne met en doute l'utilité essentielle dans une meute de lièvre.

Sans lui, lorsqu'on arrive à un chemin ou à une route, tout le monde est désemparé ... L'animal a-t-il pris à droite ou à gauche ? Grande perplexité ! On cherche à l'aventure, souvent du mauvais côté. On perd ainsi un temps précieux. On n'ose pas revenir trop tôt vers le défaut pour chercher dans le sens opposé, car on songe : « Ce maudit, lièvre à peut-être suivi la route très longtemps. »

Le chien de chemin, ne fût-il que médiocre et ne fît-il que marquer la direction prise par l'animal, c'est déjà une indication très intéressante.

De nos jours, je crois qu'il est complètement impossibles de trouver un vrai chien de chemin, tout au moins sur des routes macadamisées, goudronnées et empuanties des odeurs d'essence et d'huile. Le meilleur chien de chemin y est tout à fait impuissant.

Mais, heureusement, il n'y a pas que des routes dans ce genre, et, heureusement aussi, sur ces routes, la circulation est trop intense pour que le lièvre la suive très longtemps.

Étant donné que sur les chemins la voie est tout particulièrement légère, on serait tenté de penser que ce sont les chiens les plus fins de nez qui sont les plus brillants sur le chemin. Il n'en est rien. Vous avez une très grande majorité de chien, très fins de nez qui n'ont pas l'idée de s'appliquer à chercher la voie sur un chemin. Au contraire, d'autres chiens notoirement moins fins de nez, comme poussés par un instinct particulier ou par une aptitude spéciale, se collent le nez sur la route, y découvrent la voie et la suivent, avec une apparente facilité. J'ai eu des chiens très fins de nez, très intelligents, excellents meneurs, qui ne s'intéressaient nullement aux chemins. J'ai essayé maintes et maintes fois de les faire sentir sur les chemins. Peine perdue. Ils refusaient des s'appliquer.

Il y a vraiment quelque chose de très curieux dans cette spécialité ... que certaines circonstances peuvent contrarier sans qu'on s'explique pourquoi.

J'ai eu une briquette à poils durs, excellente à tous points, de vue et meneuse incomparable, parfaite sur le chemin. Eh bien ! si elle n'était pas en tête au moment ou se produisait le défaut, elle se désintéressait complètement de la recherche de la voie sur le chemin.

J'ai connu, avant la guerre de 1914, deux briquettes appartenant à un boucher de campagne, excellentes meneuses et très vites, et qui, abandonnées à elles-mêmes, ont forcé de nombreux lièvres pendant la guerre. Aucune d'elles ne faisait le chemin, mais elles avaient imaginé un truc pour retrouver la voie. Elles suivaient, chacune d'un côté, les champs en bordure de la route. Si cela ne réussissait pas dans un sens, elles recommençaient dans le sens opposé. Aujourd'hui, je le répète, sur les routes goudronnées, on ne peut guère relever les défauts qu'en adoptant le système des deux briquettes. Mais cela n'empêche pas que, si vous ayez un bon chien de chemin, vous devez vous estimer heureux, vous devez le garder précieusement, et, si vous en connaissez un vrai de vrai à vendre, achetez-le bien vite ! S'il est du même train que les vôtres ... et même si vous en possédez déjà un !

Paul DAUBIGNÉ.

(1) Voir Le Chasseur Français de mai et juin 1952.

Le Chasseur Français N°665 Juillet 1952 Page 402