En quelques jours, j'ai pris part à une course cycliste,
à une incursion dans les neiges, à des randonnées pédalantes aux Savoies et à
une sérieuse grimpée pédestre.
Si j'ajoute que le temps fut, durant la période qui
enveloppa le tout, insolemment beau, j'aurai fourni une image du bonheur
ici-bas.
C'est entre Paris et Annecy (et plus particulièrement le
petit village de Menthon-Saint-Bernard, ce paradis du lac) que j'ai usé jusqu'à
la corde cette première partie de vacances difficilement prenables en été.
Las !
Qu'est-ce qu'un été lorsque le printemps ouvre tôt, et
largement, ses volets sur le renouveau ? Un plat qu'on a trop laissé au
four. On ne le trouve vraiment bon que si avril n'est pas venu à son heure avec
ses fleurs, ses herbes, ses bourgeons, ses senteurs, ses promesses, ses
embrasements. Cette année, nous fûmes servis en princes ...
Je constatai, au cours de mon périple, combien le cyclisme
passionne les foules non pas seulement parce qu'un maître d'hôtel, qui m'avait
repéré, s'enflamma un jour auprès de moi, à propos de l'incident mécanique de
Bobet dans le tour des Flandres, mais parce que sa ferveur s'ajoutait à celle
d'autres, à celle de toutes les autres personnes rencontrées au hasard de la
route, des chemins ou des sentiers.
Les palmarès ne sont pas seulement dans la tête des
journalistes ou des dirigeants ... ou des coureurs.
Si, un jour, on réussissait à faire du cyclisme ce qu'est le
football, c'est-à-dire à constituer des équipes de villes, de villages ou de
clubs qui en porteraient le nom ... si un jour on réussissait à lui rendre
sur piste sa vraie tonicité ... si un jour un inventeur découvrait le
boyau absolument antidérapant qui permettrait de rouler sans risque sur une
piste mouillée (donc de jouer par tous les temps) ... si la foi s'emparait
des mécènes ... si ... si ..., il y aurait de belles journées
pour la Petite Reine dont le triple usage : route, piste, cyclocross,
permettrait les plus merveilleux championnats, les plus passionnantes coupes de
France et du Monde.
Mais il faudrait que ledit cyclisme devienne uniquement
sport d'équipe.
Ce n'est point de tout cela dont je voulais vous entretenir ...
Mais de mon expérience involontaire.
La course citée plus haut réunissait, sous l'appellation de
gentlemen, une quantité de messieurs, dont le signataire, qui se font un
devoir, une fierté — sinon une religion — de pratiquer encore,
périodiquement, dans la tenue du coureur.
Pour corser le fait, nous courions par équipes de deux, le
second étant un champion encore en exercice, capable d'assurer le train.
Ce fut une belle explication sur 26 kilomètres, avec départ
toutes les minutes.
Paris, après Marseille et Cannes, réalisait une organisation
— contrôlée par la F. F. C. — qui aura des lendemains, n'en
doutons pas.
Le matériel était de choix, les voitures suiveuses ne
manquaient pas, les supporters moins encore, lorsque nous nous réunîmes, après
course, en un banquet joyeux. Le vainqueur, Sausin (cinquante ans), gagna à
plus de 39 kilomètres de moyenne, temps pris, n'en doutez pas, par le gratin
des chronométreurs, qu'accompagnaient des commissaires du Tour de France ...
Ah ! nudité du vestiaire et de la douche ... où
l'on échange la savonnette aussi facilement qu'on se « frotte »
mutuellement le dos ... Ah ! propos de jeunesse ... Ah ! illusions ...
Satisfactions (aussi) de présenter des extérieurs sans bavures.
Mon ami de toujours, Robert Oubron, m'assure que nous ferons
ensemble une seconde carrière dans cette chevalerie vraiment moderne.
— Et puis, tu sais, mon vieux ... en en suant une
de temps en temps, nous trouverons plus de goût à la promenade ...
m'a-t-il affirmé.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Quarante-huit heures après, je baguenaudais, mains en haut
du guidon, en bordure du lac d'Annecy. Je n'avais fait qu'un saut !
Décrire, évidemment, la différence qu'il y a entre le
pédalage forcené et la randonnée sans horaire n'entre pas dans mes intentions.
Toutefois j'insisterai sur la facilité physique qui se dégage lorsque après
s'être bien entraîné, pour un rendement, on se trouve n'avoir plus qu'à laisser
aller le vélo et cueillir la poésie au passage.
Le cyclo touriste aurait tort de ne point se préparer avant
d'attaquer ses randonnées, car la bicyclette n'est vraiment agréable que si
toute fatigue anormale est exclue.
Il y a lieu de noter, aussi, qu'à l'issue d'efforts qui
n'ont pas été disproportionnés on se sent des ailes, on voudrait continuer une
action quelconque.
C'est bien pourquoi durant deux jours je parcourus les
neiges et que, pour faire la nique à ceux qui utilisent le téléphérique, je
partis par le sentier des chèvres qui mène à un sommet, sac au dos. Le lac me
parut alors très éloigné et le mont Blanc fort rapproché.
Mon petit village de prédilection, plein d'histoire et de
légendes, avait disparu, mais je distinguais la pointe de son débarcadère.
Prenez une carte et contrôlez : Menthon-Saint-Bernard
baigne dans la félicité d'un merveilleux petit port estival, de prés
magnifiques, de pentes accueillantes.
J'y redescendis affamé, enregistrant une fois de plus que la
marche et ses assimilés sont presque des délassements physiques au cyclisme, ce
grand sport respiratoire qui prépare à tout. Ainsi donc, les muscles pédaleurs
et les muscles marcheurs sont non pas antagonistes, mais complémentaires ou
alternatifs ... à moins, encore, que les uns ne servent à décontracter les
autres, à condition évidemment qu'il ne s'agisse pas de ces championnats qui
sollicitent la décharge totale des forces sur un seul point.
Championnats !
L'un d'eux aura lieu, le mois prochain, sur le merveilleux
Circuit de Gueux, domaine de l'A. C. de Champagne, orgueil de Reims.
De mon petit village paradisiaque de Menthon-Saint-Bernard,
protégé par la Tournette, encore enneigée malgré qu'elle ait les pieds dans les
arbres en fleurs, je ne pouvais épiloguer, avant la lettre, sur le championnat
de France sur route, sans avoir repris le collier à Paris.
Ce sera pour bientôt.
René CHESAL.
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