Au moment où la belle saison va lancer sur la grande route
des dizaines de milliers de cyclistes amateurs, rappelons-leur quelques notions
trop oubliées et dont la connaissance leur rendra service.
Les cyclistes amateurs ont tort de vouloir toujours imiter
les champions professionnels, car les conditions sont très différentes dans
l'un et l'autre cas.
Pour l'amateur, pour le « cyclotouriste », il ne
s'agit pas de jouer à la grenouille qui veut se faire aussi grosse que le bœuf,
c'est-à-dire de viser à la performance, mais d'utiliser, avec « le
meilleur rendement pour un minimum de fatigue » (condition optimum de tout
travail physiologique), l'instrument merveilleux qu'est une bicyclette.
Le « développement » d'une bicyclette, c'est la
distance, en mètres, dont la machine avance par un tour complet du pédalier. Le
rapport de multiplication de la machine, c'est le rapport du nombre de dents
entre le pignon du pédalier et le pignon de la roue arrière. Si, par exemple,
il y a 22 dents au grand pignon et 8 au petit, la roue arrière, à chaque tour
du pédalier, fera un nombre de tours égal à 22 divisé par 8, soit 2,75 tours,
et la machine avancera d'une distance qu'on obtient en multipliant par 2,75 la
longueur de la circonférence de la roue arrière.
Celle-ci ayant, dans les modèles courants, un diamètre de 0m,70,
sa circonférence est en moyenne de 2m,20, ce qui correspond à un
développement de 2,75 x 2m,20 = 6m,05.
Ces notions générales, après de nombreuses expériences, ont
permis de conclure que :
Le meilleur développement pour un individu donné est celui
qui correspond au développement d'une roue ayant pour diamètre la taille du
cycliste. Donc pour un homme d'une taille de 1m,75, le développement
optimum serait de 1m,75 x 3,14 = 5m,50.
La meilleure longueur de manivelle est celle qui correspond
au dixième de la taille (donc 0m,17) pour notre sujet pris comme
type.
La meilleure cadence, c'est-à-dire celle du meilleur
rendement « touriste », est de 120 à la minute, soit un tour complet
de pédalier par seconde.
Telles sont les conclusions adoptées par des spécialistes
qualifiés tels que l'Américain Carpenter et des Français Amar et Charles Faroux,
et dont j'ai pu vérifier le bien-fondé dans plusieurs clubs d'amateurs ou
d'indépendants qui m'avaient confié le contrôle de leur entraînement.
Mais, comme toutes les formules, celles-ci comportent
quelques amendements. Car le travail à dépenser, par seconde, pour parcourir
une distance donnée à une vitesse donnée, est, en réalité, toujours le même ;
il ne dépend ni du développement ni de la longueur de la manivelle. Que la
machine développe 5 mètres ou qu'elle en développe 10 (20 tours de pédales pour
100 mètres dans le premier cas, 10 dans le second), il aura fallu, pour
parcourir ces 100 mètres, le même travail. C'est ce que vous dira, du moins, un
mathématicien.
Mais justement, ce qui différencie les deux thèses, c'est
que le polytechnicien roule sur son papier à dessin, alors que nous roulons sur
la route.
Supposons qu'il s'agisse de monter une côte. Dans les
conditions posées plus haut, notre cycliste de 1m,75, qui roule à 15
à l'heure avec son développement de 5m,50 et qui, en palier,
développe 5 kilogrammètres-seconde, devra augmenter sa puissance de 3 kilogrammètres-seconde
par centimètre d'élévation. Donc sur une rampe de 4 p. 100, il lui faudra
tripler son effort du palier : à cadence et à vitesse égales, et il n'aura
bientôt d'autre solution que d'adopter le style « en danseuse »,
soulevé de la selle et de rendement déplorable, ou de ralentir et de mettre
pied à terre.
C'est là que se révèle la nécessité inéluctable du
changement de vitesse, étant bien entendu que nous parlons ici du cycliste
amateur et ayant dépassé — ou n'ayant pas encore atteint — l'âge des
performances.
C'est la raison pour laquelle des recherches sérieusement
faites et que nous vous conseillons de considérer comme raisonnables indiquent
qu'il est utile de changer de vitesse à partir de chaque pourcentage de rampe
de 2 p. 100.
Et ces mêmes recherches montrent que, pour un vélo comme
pour une voiture, si trois changements de vitesse sont pratiquement suffisants
pour un pays moyennement accidenté, il est bon d'en avoir quatre en montagne.
Pour donner une idée de l'importance de l'utilité
changements de vitesse, voici un exemple cité par Ch. Faroux : le même
champion qui monte le Galibier à 9 kilomètres à l'heure de moyenne, à la
cadence de 55, avec un développement de 2m,50, monte cette même côte
à 10,6 de moyenne avec un développement de 2 mètres et gagne ainsi neuf minutes
sur le temps total de l'ascension, parce qu'il a pu maintenir sa cadence, tout
en diminuant sa fatigue de 20 p. 100.
Ce simple exemple montre qu'il ne faut pas hésiter — à
plus forte raison quand on n'est pas un champion entraîné — à posséder un
« dérailleur » à quatre vitesses et à s'en servir.
Dr Robert JEUDON.
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