Quand j'ai intitulé ma première causerie sur le martinet :
« Un oiseau extraordinaire », je ne savais pas, en réalité, ce que
j'écrivais en employant ce qualificatif et je n'avais jamais soupçonné le degré
de passion que sait inspirer ce noir chasseur aérien. Cependant, comme il a, de
tout temps, sérieusement accaparé les investigations des ornithologues, j'avais
cru bon de rouvrir mes bouquins — ceux du moins que j'avais sous la main
et que j'ai cités dans mon deuxième article, — afin de me mettre à l'abri
de toute critique grave.
Ah ! bien oui ! Si j'avais dit que le rouge-gorge
a le ventre bleu ou la fauvette à tête noire une calotte jaune, je n'aurais pas
provoqué une levée de boucliers semblable à celle que j'ai suscitée en
maintenant mon affirmation que notre martinet commun a la gorge blanche. Bien
que M. Frionnet, auteur des Oiseaux de la Haute-Marne, le comte Delamarre
de Monchaux (on me conteste d'ailleurs l'autorité de ces deux auteurs) et Brehm
— à qui du moins on la reconnaît — aient employé le même
qualificatif, les protestations me sont tombées dessus comme grêle.
À la suite de M. D ... de Clermont-Ferrand, mon
premier contradicteur qui assure n'avoir jamais vu que des martinets
entièrement noirs et supposait que j'avais pris pour notre martinet noir le
martinet murin, espèce méridionale, voici M. B ..., d'Aubervilliers,
qui, il y a huit ans, a tenu dans sa main un martinet et l'a minutieusement
examiné, sans lui trouver aucune plume blanche : « il était du plus
beau noir bleu de la pointe du bec au bout de la queue » ; voici M. X ...,
de Chambéry — je m'excuse de n'avoir pas su déchiffrer sa signature, — qui,
ayant nourri chez lui, au foie de veau, pendant une quinzaine de jours, huit
martinets tombés d'une vieille tour en réfection, « a eu », comme il
le dit, « le temps de la voir », et affirme qu'aucun d'entre eux
n'avait la gorge blanche ; voici M. N ..., du Gard, qui a eu à
maintes reprises l'occasion de tenir en main des martinets et qui assure que
tous ceux qui nichent dans le toit du bâtiment qu'il habite « sont
absolument noirs et complètement noirs » ; pour lui, c'est M. D ...
qui a raison et moi qui suis dans l'erreur ; comme aussi pour M. E ...,
de Nîmes, tandis que M. L. C ..., de la Rode, leur concède une
gorge brun roussâtre. Et j'en oublie peut-être !
Que j'aie pu me tromper n'aurait rien de bien étonnant et ne
serait pas, en fait, de grande importance. Mais Brehm et les autres
ornithologues, qui ont consacré leur vie à l'étude des oiseaux et qui ont
décrit le martinet de la façon que j'ai rapportée ? D'ailleurs, ceux qui
m'ont approuvé ne manquent pas non plus. Voici un abonné de la Corrèze qui
raille agréablement ceux qui ne savent pas voir la gorge blanche du martinet ;
voici M. H ..., de Pézenas, qui, relevant une erreur que j'ai commise
en réduisant à deux le nombre de nos martinets indigènes — je la
rectifierai plus loin, — écrit : « les trois espèces ont la
gorge blanche » ; M. R ..., de Limoges, qui avoue n'avoir
jamais fait attention à ce détail de leur plumage, a eu la bonne idée
d'examiner un des martinets qui nichent sous son toit et m'écrit avoir constaté
la présence, sous le bec, d'une tache blanchâtre triangulaire. Enfin M. Delapchier,
attaché au laboratoire d'ornithologie du Muséum, l'auteur des Petits Atlas
des Oiseaux qu'avait cité M. D ..., a bien voulu m'écrire et je
reproduis, avec son autorisation, ce passage de sa lettre qui mettra fin,
j'espère, à cette trop longue controverse : « Le martinet n'est
jamais « noir de suie » ni « noir à reflets verdâtres ». Il
est d'un brun plus ou moins noirâtre, et sa gorge n'est pas blanche,
mais d'une teinte blanchâtre plus ou moins étendue. Tous les Apus apus
de la collection du laboratoire du Muséum national en font foi. »
Alors ? Alors ?
Alors, rassurons-nous. Tout le monde a raison. Au royaume
charmant des oiseaux, il ne peut rien arriver de tragique. La branche d'olivier
nous est tendue, comme il convient, par une main féminine. Mlle Cirlot,
de Saint-Raphaël, dont la connaissance des martinets et sa familiarité avec eux
dépassent tout ce que j'aurais imaginé, m'écrit les lignes suivantes que je
reproduis, comme j'ai cité son nom, avec sa pleine autorisation :
« Vous avez raison d'affirmer que le martinet a la
gorge blanche ; cependant, celle-ci n'est pas très marquée, surtout chez
les femelles et les vieux oiseaux ; le plumage des jeunes est même
grisâtre sur la tête et les rémiges finement lisérées de blanc. »
Et M. Delapchier d'ajouter, plus récemment :
« J'ai profité de notre réunion mensuelle pour revoir
les spécimens d'Apus apus des collections du laboratoire et spécialement
ceux collectés en Europe. Tous ont un plumage plus ou moins noirâtre ou enfumé,
parfois clair. La gorge est parfois seulement plus claire que la teinte
générale, parfois blanchâtre et d'une étendue plus ou moins grande, je n'ai
trouvé que deux exemplaires ayant la gorge blanche, un collecté en Espagne et
l'autre à Ouessant. »
Voilà donc la question résolue. Mais il est un autre point
sur lequel on m'a cherché chicane avec plus de raison. Je savais qu'en plus de
notre martinet commun, Apus apus, nous possédions en France le martinet
alpin, Apus melba, à gorge et à ventre blancs, séparés par un collier
gris brun, habitant des montagnes rocheuses. Je n'ignorais pas non plus qu'il
existait, dans le Midi, un martinet tout à fait proche de notre espèce commune,
si proche que certains ornithologues se refusaient à l'en distinguer et le
regardaient, tout au plus, comme une sous-espèce régionale. Mais la science,
qui n'est la science qu'à condition de rester dynamique, en a finalement décidé
autrement et en a fait une espèce distincte sous le nom de martinet murin ou
martinet pâle, Apus pallidus. Son plumage est un peu plus clair que
celui du martinet noir, sa taille un peu plus petite et sa gorge d'un blanc
plus pur.
Au sortir de cette atmosphère belliqueuse, on trouvera, je
pense, à la fois réconfortant et merveilleux d'apprendre à quel degré de
familiarité on peut arriver avec ces oiseaux, en les entourant, comme l'a fait
maintes fois Mlle Cirlot, de soins et d'affection. Puisqu'elle m'y a
autorisée, je ne saurais mieux faire que de la laisser s'expliquer elle-même :
« Au printemps dernier, pendant une quinzaine de jours,
j'ai gardé vingt-neuf martinets, recueillis à demi morts de faim et de froid.
Je n'ai pu ranimer aucun murin : ou ils avaient déjà péri ou ils n'ont pu
surmonter leur misérable état.
» Si vous trouvez des martinets victimes d'un coup de
froid, même si ces oiseaux présentent déjà l'aspect d'un petit cadavre,
tirez-leur les pattes ; au plus léger réflexe, chauffez-les bien vite et
vous aurez la joie de les voir revenir à la vie ; dès qu'un peu de vigueur
se manifeste, faites-leur boire de l'eau et du vin sucré, trois à quatre
gouttes, un verre de vin pour deux oiseaux, si le vin n'est pas très fort, puis
donnez-leur de la viande finement râpée (bœuf ou cheval) en introduisant dans
le bec, assez profondément, de petites boulettes, soit mouillées, soit enrobées
avec du beurre ; lorsqu'il se sent nourri, l'oiseau accepte bien ce qu'on
lui donne ; à défaut de viande et en attendant celle-ci, de la biscotte
bien ramollie dans du lait ou du jaune d'œuf, malaxée avec beurre ou graisse
animale, peut le soutenir ; la meilleure nourriture est les vers de farine
dont on écrase la tête ; à mesure que la vie s'installe dans le malade et
que toutes les fonctions reprennent normalement, on doit augmenter les rations,
avec matières grasses, huile, etc., sauf végétaline, margarine ou tout autre
produit de ce genre ; les martinets sont très sujets aux inflammations
intestinales ; les faire boire aussi pour qu'ils reprennent leur belle
puissance de vol ; il faut de quarante à cinquante vers de farine par jour ;
aussi de la viande moulue avec jus de salade ou de carotte. Ce régime ne doit
pas être continué si l'oiseau est destiné à rester sa vie à l'hôpital, car
alors il faut varier sa nourriture, sous peine de le perdre misérablement. Le
martinet, sauf de rares exceptions, ne prend jamais de nourriture dans un
récipient, il faut la lui présenter aux doigts et un peu haut.
» Les martinets sont des oiseaux très attachants,
intelligents et pleins d'une affection passionnée pour celui qui leur donne des
soins ; ceux que j'ai remis en liberté ont toujours pris l'espace comme à
regret, se tournant vers l'intérieur de la maison, avant l'envol, se refusant
même parfois à quitter leur lieu de refuge.
» Dans ce cas, ceux qui restent tiennent entre eux de
véritables conversations ... Lorsqu'ils sont nombreux, ils se tiennent en
grappe, accrochés les uns aux autres, tel un essaim d'abeilles ... Ces
oiseaux adorent se faire gratter sous le bec ; ils connaissent très bien
leur nom et viennent à l'appel. »
J'ajouterai qu'en reconnaissance d'un tel dévouement aux
oiseaux Mlle Cirlot, qui prodigue d'ailleurs ses soins à beaucoup
d'autres espèces et qui écrit dans la Revue ornithologique de France des
articles sur les martinets, s'est vu décerner une médaille de bronze par la
Ligue française pour la Protection des Oiseaux.
Antérieurement déjà, à la suite de mon premier article sur
le martinet paru en novembre 1951, un abonné que j'ai cité plus haut, M. R ...,
de Limoges, m'avait appris que, dans la maison qu'il habite depuis de longues
années et dans les maisons avoisinantes, on a installé sous le toit des nichoirs
à martinets, auxquels ceux-ci reviennent fidèlement chaque année.
Je prie, en terminant, mes nombreux correspondants de
m'excuser si je ne puis répondre à tous directement. Cette controverse aura eu
du moins le résultat heureux de nous faire mieux connaître cet « oiseau,
extraordinaire » et de nous montrer quel rôle bienfaisant l'homme peut
jouer auprès de ces utiles et intéressantes petites créatures.
Pierrette MAGNE.
|