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Doit-on interdire la boxe ?

Un député belge a déposé une proposition de loi visant à faire interdire la boxe et le catch, considérés comme des activités dangereuses pour ceux qui s'y livrent. Le catch, sport dangereux ! L'honorable parlementaire ignorerait-il que les torsions, écartèlements et autres gentillesses pratiqués par les lutteurs sont sans conséquence et que les seuls personnages en péril sont les spectateurs placés au premier rang du ring, menacés de recevoir des mastodontes projetés par-dessus les cordes ? Les catcheurs sont des acrobates, des mimes étonnants, mais ils veillent à ne se faire aucun mal. Largement quadragénaires pour la plupart, ils se portent à merveille. Les prises qu'ils se prodiguent ne sont pas absolument indolores, sans doute, mais elles ne sauraient éveiller la sollicitude des âmes sensibles.

Le cas de la boxe est différent. Pendant et après les combats, des accidents sérieux peuvent se produire. Il s'agit d'un sport et non d'un spectacle. Les adversaires ne se ménagent pas et ils frappent de toute la vigueur de leurs muscles en s'efforçant d'atteindre les points les plus sensibles : pointe du menton, cœur, foie, plexus solaire.

Indiquons tout de suite que les blessures, impressionnantes pour la masse du public, sont sans gravité. Le sang coule, certes, mais il s'agit de coupures superficielles aux lèvres, aux arcades sourcilières, d'hémorragies nasales arrêtées rapidement. Les visions offertes par des faces barbouillées de rouge peuvent émouvoir, écœurer. Mais la santé des pugilistes n'est pas compromise. Quelques jours de soins et de repos, et ils croisent à nouveau les gants après avoir tout oublié de leur aventure. Les véritables accidents, sont de tout autre sorte.

Il en est de mortels. Heureusement fort rares. Deux ou trois fois par an en moyenne, peut-être, sur tous les rings du monde. Parfois, par une fantaisie macabre du sport, ces dénouements se produisent en série. Ils frappent légitimement, alors, l'opinion et inspirent des commentaires indignés. Le triste scénario est presque toujours identique : un coup violent et trop bien placé provoque une hémorragie cérébrale ou une syncope cardiaque. L'homme abattu pour plus que les dix secondes fatidiques n'est pas ranimé ou, s'il reprend ses sens, il ne peut être sauvé.

Une autre issue, non fatale celle-là, mais cependant tragique, menace les boxeurs : la cécité consécutive à un décollement de la rétine. Ainsi s'est tristement achevée la carrière de champions français : Francis Charles, Pladner, pour ne citer que deux noms naguère notoires. Plusieurs de leurs camarades, plus heureux et plus sages, ont su se retirer à temps, dès que l'intégrité de leur vision a été menacée.

Tels sont, pour se borner à l'essentiel, les dangers que présente le métier assez particulier de boxeur professionnel. Nous négligeons le préjudice esthétique : nez écrasés et cassés, oreilles « en chou-fleur » sont considérés comme des ennuis mineurs. Les gars qui dispensent « crochets » et « directs » ne prétendent pas rivaliser avec les jeunes premiers de cinéma.

Pour examiner équitablement le problème, il faut remarquer tout de suite que les champions qui ont quitté le ring avec la plénitude de leurs facultés physiques et intellectuelles sont nombreux. Comme exemples, nous devons puiser dans une génération déjà ancienne. Carpentier et son rival Dempsey ont une allure plus juvénile que la plupart des quinquagénaires. Leur successeur, Gene Tunney, écrit des traités de philosophie. Criqui, Routis, Ledoux demeurent robustes et alertes. Pourtant, à l'époque où leur vaillance électrisait les foules, les combats se livraient couramment en quinze ou vingt reprises, avec des gants de quatre onces, plus efficaces que ceux imposés aujourd'hui.

Première conclusion : les dangers existent, mais ils sont limités. Bien entendu, si l'on ne se résout pas à interdire la boxe, on doit s'efforcer à les réduire encore. Comment ? D'abord en rappelant aux pratiquants, aux managers, aux organisateurs et au public que la boxe est essentiellement une escrime des poings et que la défense y joue un rôle plus grand encore que l'attaque. M. de La Palice — génie méconnu — proclamerait que la règle du jeu consiste à recevoir le moins de coups possible. Malheureusement, la masse préfère assister à une bagarre brutale plutôt qu'à un jeu subtil de bloquages, d'esquives, de feintes. Elle montre une sympathie mal placée aux « cherreurs » qui, mal gardés, se ruent sur leurs adversaires sans se soucier des horions qu'ils encaissent. Ces piètres boxeurs font recette et sont plus recherchés que les escrimeurs élégants dont les déplacements rapides et légers s'apparentent à une danse. Le direct du gauche qui tient, grâce à des touches précises, l'antagoniste à distance, est jugé trop peu viril. On réclame de la bataille. Le style américain, brutal et fruste, s'est substitué à l'école anglaise classique. La boxe n'est plus le « noble art » d'antan. Plus apte sans doute à réveiller les instincts primitifs qui sommeillent dans l'homme, elle invite ceux qui s'y livrent à faire fi des coups et de leurs suites.

Il est sans doute impossible de remonter le courant. Si l'on veut défendre les boxeurs actuels et leurs mentors contre leur propre imprudence, on doit donc se résoudre à les protéger malgré eux. Le seul moyen efficace est d'instituer un contrôle médical très strict. C'est ce qu'a compris la Fédération française, qui, alertée par le mouvement né en Belgique, vient d'édicter de nouvelles règles.

Ces règles, nous ne les détaillerons pas ici. Qu'il nous suffise de préciser que le droit de boxer en public, reconnu aux seuls possesseurs d'une licence, peut être retiré temporairement ou à vie. Des visites médicales approfondies seront rendues obligatoires avant l'octroi de toute licence et avant toute rencontre. Et, innovation capitale, tout pugiliste battu par knock-out sera astreint à un repos prolongé et il ne lui sera permis de reprendre son activité que quand un docteur, choisi par la Fédération, aura vérifié que le choc n'a laissé aucune trace dans l'organisme. Enfin, des hommes à tout jamais diminués par les corrections reçues seront invités à choisir un autre métier. Parmi eux, on cite un poids moyen exagérément courageux qui, il y a peu de temps, se parait du titre de champion de France.

Ce sont, en vérité, les boxeurs sur le déclin qui ne savent pas résister à l'appât d'une bourse élevée — un million et plus, au tarif du jour — qui sont les victimes désignées des accidents. Leur résistance, peu à peu, est sapée, puis elle s'effondre. Une image vulgaire, mais significative du jargon de la boxe, dit qu'un homme est « saoulé de coups ». Physiologiquement, elle se révèle exacte. Tel l'alcoolique sursaturé que rend malade une dose infime de son poison, un boxeur qui a trop « encaissé » finit par ne plus supporter une chiquenaude.

Nous pensons que l'action tutélaire de la Fédération suffira à calmer les scrupules de ceux qui, sportifs ou non, s'inquiètent de la rudesse d'un exercice viril. Comme la langue d'Ésope, la boxe peut être la meilleure et la pire des choses. Nous avons assisté à des combats magnifiques, à des spectacles beaux et exaltants qui avaient un ring pour théâtre, et aussi, nous le reconnaissons, à des bagarres affreuses. Les premiers nous font oublier les secondes. Ils ne sauraient être interdits sans injustice. Malgré des hécatombes dont, avec des pilotes, des spectateurs ont été les victimes, les courses d'auto subsistent. Des accidents, il y en aura toujours. Abaissons leur nombre dans la mesure de nos moyens et de notre prévoyance. Quant au reste, admirons ceux qui acceptent de vivre dangereusement, nous qui restons assis dans un fauteuil ou debout au bord de la route.

Jean BUZANÇAIS.

Le Chasseur Français N°666 Août 1952 Page 477