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Grande culture

Suites de moissons

Le déchaumage constitue un trait caractéristique de l'agriculture progressive, il s'inscrit au programme normal des exploitations qui mettent au premier plan de leurs opérations le travail de la terre. S'il y a quelques exceptions à cette règle, on peut leur trouver une explication locale, le fait général doit nous suffire. Déchaumer, c'est démolir les chaumes, les éteules, qui restent après la coupe des céréales ; apparemment, c'est détruire les vestiges d'une moisson enlevée, tirer un trait et s'apprêter ainsi à recommencer un autre cycle.

Obstacles au déchaumage : tout naturellement la verdure préparée pour l'année suivante, jeunes légumineuses de trèfle, de sainfoin, de luzerne, quelquefois un mélange plus ou moins compliqué qui porte le nom de prairies temporaires. On a voulu créer cet obstacle au travail pour des profits plus lointains. Un aspect d'un autre genre, c'est la végétation spontanée qui s'empare du terrain dès que les gerbes sont parties, mauvaises herbes qui ne veulent pas accepter ce vocable et s'offrent à la dent du mouton ; celui-ci fait son profit des épis tombés et, en contrepartie, dépose ses excréments, qui fertiliseront la terre. Systématiquement, le mouton enfermé dans un parc, soit aux heures chaudes de la journée, soit pour la nuit, procure une fertilisation plus intensive. Ainsi, pour fixer les idées, rappelons qu'un mouton de poids moyen disposant au parc d'une étendue de 1 mètre carré, y séjournant pendant douze heures sur vingt-quatre, abandonne, doses rapportées à l'hectare, 80 kilogrammes d'azote, 35 kilogrammes d'acide phosphorique, 110 kilogrammes de potasse. Cette fumure peut encore être caractérisée par un azote très actif par rapport à celui du fumier de ferme, une insuffisance d'acide phosphorique, une large teneur en potasse. Conséquences : se méfier de l'action rapide de l'azote du parcage, mais fournir un supplément d'acide phosphorique.

Le parcage reste un procédé intéressant de fumure des terres, mais ne joue un rôle appréciable que dans les fermes disposant d'un grand parcours et d'une troupe suffisante pour qu'une fertilisation systématique puisse être envisagée.

Un autre obstacle que l'on peut placer devant le déchaumage, c'est l'engrais vert qui a été ensemencé dans la céréale ; cette pratique n'est peut-être pas assez employée, on craint de ne pas réussir l'ensemencement à l'abri de la céréale, et c'est une perte assez importante ; à l'inverse, en année humide, le trèfle ou la minette se développe fortement, constitue une gêne pour la moisson dont le pied sèche mal ; finalement les exemples d'engrais verts ainsi établis sont rares et, si l'on veut constituer une fumure verte après la moisson, il convient, au contraire, d'activer le déchaumage, de préparer la terre et d'ensemencer quelque chose.

Disons simplement que l'engrais vert le moins coûteux est la moutarde blanche à développement rapide ; quelques agriculteurs s'orienteraient vers le navet, qui offre une petite ressource fourragère ; en milieu meilleur, avec suffisamment de pluie, on a le droit de semer des vesces ; enfin, signalons seulement le rôle plus tardif du trèfle incarnat, du colza et de la navette.

Si l'on n'a pas en vue la formation d'un engrais vert, pourquoi déchaumer ? Les chaumes sont bousculés, les plantes adventices sont arrachées, meurtries ; on peut poursuivre la destruction des graminées vivaces, chiendents divers, par la mise en route d'un programme d'extraction des rhizomes ; alors, ce n'est pas une façon, mais deux ou trois qu'il faut combiner, en veillant à la profondeur de pénétration des pièces travaillantes, à leur forme, lames larges, étroites, pénétrantes, coupantes suivant le genre de plantes, la nature du sol, etc. ; évidemment, se méfier des pièces tranchantes qui feraient du bouturage, user au contraire des socs larges, soulevant, déracinant, exposant au soleil les rhizomes extirpés.

On ne doit pas oublier que cet émiettement de la couche superficielle va tout d'abord se prêter à la facilité de pénétration des pluies, bienfait à retardement, constitution de réserves, reprise d'activité des différentes couches du sol, des approches du sous-sol. Toutefois, si le terrain est en pente, si la profondeur n'est pas grande, si la pluviosité devient intense, la terre se refusera à absorber l’eau, le ruissellement apparaîtra, avec toutes ses conséquences fâcheuses. Au lieu de travailler suivant la pente, on opérera perpendiculairement, suivant les courbes de niveau ; les petits sillons tracés, dont l'accentuation pourra être obtenue par des pièces travaillantes appropriées, constitueront de légers obstacles, mais obstacles tout de même, qui empêcheront le ruissellement. Enfin, si les craintes sont plus sérieuses, il faut essayer de combiner la destruction des herbes, soulèvement des chaumes, sans pousser trop loin l'émiettement de la couche superficielle ; on bénéficiera des avantages essentiels sans risquer l'érosion ; quelquefois, on est conduit à ne rien faire de sérieux : faciliter la pénétration de l'eau sans arracher les plantes.

Toutes ces observations montrent avec quel discernement il convient de raisonner des pratiques agricoles ; au début de cette note, nous avons dit que le déchaumage s'inscrit au programme normal des exploitations à allure progressive, mais n'est-ce pas un progrès essentiel que de comprendre ce que l'on veut faire, et de ne pas se baser sur quelques slogans lancés hors de propos ?

Suites de moissons, c'est déjà l'entrée en scène de la campagne suivante par les premiers ensemencements de plantes qui passeront l'hiver en terre. Des plantes fourragères ! il a été fait allusion par exemple au trèfle incarnat, considéré comme engrais vert, mais on consacre de grandes surfaces à ce trèfle à consommer en mai-juin ; c'est long, et au cours des mois qui vont s'écouler le cultivateur craindra la sécheresse ou les limaces, suivant l'état d'humidité ; plus tard, ce sera le froid ; les campagnols auront pu passer ; enfin, brusquement, au printemps, les tiges se dégageront, les belles hampes florales s'élanceront et un éclatant spectacle apparaîtra. Excellent fourrage qu'il faut savoir faire consommer pour en tirer le maximum de profits ; c'est là qu'apparaît un souci d'échelonner la récolte, de la prolonger en ayant recours aux deux ou trois types de hâtiveté différente ; on les sème tous le même jour, en se gardant bien d'ameublir la terre. Le trèfle incarnat, sous ce rapport, s'apparente à la mâche, à la doucette, la « salade de blé », dont le semis au jardin se fait avec aussi peu de soin et avec autant de risques.

L. BRÉTIGNIÈRE,

Ingénieur agricole.

Le Chasseur Français N°666 Août 1952 Page 484