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La forêt française

Le mélèze

Le mélèze d'Europe (Larix europea D. C.) est une de nos plus belles essences forestières tant par le site dans lequel il vit, sur les versants ensoleillés des hautes montagnes, que par son port très ornemental.

Son aire, assez fragmentée, car cette essence n'est spontanée qu'au-dessus d'une certaine altitude, s'étend sur les montagnes de l'Europe centrale, depuis les Alpes françaises jusqu'aux Carpathes. Dans cette aire, on peut distinguer différentes races d'exigences sensiblement différentes. Cette distinction présente un certain intérêt pour les questions de reboisement. En particulier, les mélèzes du Vorarlberg, du Tyrol et des Sudètes, qui descendent à une altitude plus basse que ceux de France, semblent convenir mieux pour les plantations en plaine.

Le mélèze croît, dans les Alpes françaises, au-dessus du niveau des forêts feuillues et des brouillards, surtout sur les versants ensoleillés. Il se mélange, à la partie supérieure, au pin à crochets (Pinus uncinata Ramond) et au pin Cembro (Pinus Cambra L.) et il se dissémine dans les pâturages alpestres.

Le mélèze possède les caractères suivants :

Feuilles tendres d'un vert clair, caduques, groupées en rosette, sur les rameaux courts, ou solitaires, sur les rameaux longs, chatons mâles et femelles portés par de courts rameaux latéraux, petits cônes dressés, à écailles minces mais ligneuses, échancrées au sommet, petites graines d'un gris jaunâtre clair, luisantes sur une face, mates sur l’autre, portant des ailes roussâtres. Les fûts possèdent une écorce crevassée comme celle des pins, quelquefois très épaisse au pied des vieux arbres, extérieurement d'un gris violacé, mais d'un brun-lilas clair intérieurement, apparaissant quand on fait sauter quelques écailles. Les rameaux sont de deux sortes, les uns effilés, portant des feuilles isolées, les autres courts, portant des feuilles en rosette et des fleurs. L'écorce des jeunes rameaux du mélèze d'Europe est glabre et d'un gris jaunâtre clair (ce qui permet de reconnaître cette espèce du mélèze du Japon, Larix leptolepis Gord., dont les rameaux sont glauques et d'un brun rougeâtre). Le bois du mélèze est caractérisé par la présence d'un aubier blanc jaunâtre, toujours très apparent et d'un cœur brun rougeâtre, où les accroissements annuels, toujours très fins, sont moins gros et moins nombreux que ceux des pins. Les canaux résinifères se présentent (en sections radiales et tangentielles) sous forme de petites stries blanchâtres, ce qui permet de distinguer le bois du mélèze de celui de certains pins (pin cembro, pin sylvestre de haute altitude ou pin sylvestre de Haguenau) qui lui ressemblent par la couleur, mais qui possèdent, eux, des canaux résinifères brunâtres.

Le mélèze est un bois excellent quand il provient de montagne. Outre ses qualités ornementales, il possède de précieuses caractéristiques : durabilité, usinage facile, à la raboteuse ou à la toupie, retrait moyen, qui en font un remarquable matériau pour la fabrication de menuiseries extérieures (portes, fenêtres et balcons), de parquets, de lambris, etc. ... On l'utilisait beaucoup autrefois pour la fabrication de bois d'eau (canalisations, abreuvoirs) et de bardeaux pour les toitures. Les bardeaux étaient obtenus par fente radiale au moyen d'un contre analogue à celui des merrandiers. Nous avons vu, dans le Queyras, des toitures de bardeaux, posées depuis cinquante ans, dans lesquelles on n'avait jamais changé aucune pièce, mais seulement remis en place celles que le vent avait déplacées. Dans certaines toitures, on trouve des bardeaux de plus de cent ans. La tôle ondulée galvanisée, outre ses défauts d'esthétique et de confort, a une durée incomparablement plus faible.

Beaucoup de charpentes, dans les Hautes-Alpes, sont faites en mélèze, mais il a l'inconvénient d'être plus lourd que d'autres bois, comme le sapin et l'épicéa et, en outre, il est plus nerveux. Il vaut mieux faire avec le mélèze des parquets, même avec des nœuds (ceux-ci étant généralement adhérents, d'aspect non inesthétique et de dureté peu différente de celle du bois normal), que des charpentes. Certains marchands de bois vont jusqu'à récupérer de vieilles poutres pour en tirer des bois de menuiserie.

On sait aussi que les mélèzes de moins de 30 centimètres de diamètre peuvent donner d'excellents poteaux de ligne quand ils ont une rectitude suffisante. Ils ont une bonne conservation, absorbent peu de créosote (c'est surtout l'aubier qui s'imprègne, mais le cœur est imputrescible).

Le mélèze donne des perches d'industrie, des échalas et, éventuellement, des bois de mine. Ceux-ci ont de bonnes résistances mécaniques et sont, en outre, moins raides que les autres résineux. Soumis à une charge, ils fléchissent, donc avertissent « à vue », avant de se rompre.

Rien n'empêche d'utiliser le mélèze en cartonnerie ou en papeterie au même titre que les pins. C'est un bon chauffage. Il brûle en dégageant beaucoup de chaleur, mais aussi beaucoup d'étincelles.

Le mélèze d'Europe a été planté en plaine dans certaines régions. Il y est moins longévif qu'en montagne, ses accroissements sont plus larges, son bois moins dur et moins coloré, les nœuds sont souvent moins foncés, non adhérents, et nettement plus durs que le reste du bois. Les qualités mécaniques et d'usinage sont moins bonnes. En plaine, à basse altitude, ses produits sont quand même supérieurs à ceux que peut donner l'épicéa dans les mêmes conditions.

Au point de vue sylvicole, nous distinguerons donc le cas du mélèze cultivé en haute montagne, et celui du mélèze planté en plaine.

En montagne, la culture du mélèze présente certaines difficultés : la régénération naturelle est difficile. Ses graines semblent ne s'installer convenablement que dans les endroits ou le sol s'est trouvé corrodé par des causes diverses : abus de pâturage, avalanches, couloirs de lançage, etc. …

Certains forestiers, considérant le mélèze comme une essence nomade, recherchant les sols neufs ou ayant été brutalement déforestés. Cette essence s'accommode mieux du traitement en peuplements clairières, soumis à des coupes de jardinage et à un pâturage modéré, que du traitement en peuplement pleins et denses. Il semble que la régénération du mélèze ne puisse se réaliser qu'au moyen de coupes brutales accompagnées d'un crochetage énergique du sol.

Pour que les mélèzes atteignent de gros diamètres, c'est-à-dire un prix élevé au mètre cube, il faut d'ailleurs que les jeunes peuplements soient bien éclaircis, afin que les cimes puissent s'étaler et bien nourrir les fûts. On adoptera ensuite des révolutions longues. Nous avons vu des mélèzes qui dépassaient un mètre de diamètre et étaient âgés de 300 à 400 ans, mais ceci est évidemment un cas extrême.

Pendant leur vie, les mélèzes peuvent souffrir des attaques d'un chancre Dasycipha Willkommii, surtout quand ils sont plantés en dehors de leur station, dans des climats humides. Il peut en résulter de graves dommages pour les jeunes tiges. Le mélèze du Japon, au contraire, n'y est pas sensible.

On a effectué beaucoup de plantations de ces deux essences dans le Massif Central et le Nord-Est de la France. Les cônes sont cueillis à l'automne, avant qu'ils ne s'ouvrent. On les fait sécher avec un chauffage modéré pour en faire sortir les graines. Il y a 175.000 graines de mélèze d'Europe au kilo et 250.000 graines de mélèze du Japon. La faculté germinative est faible (35 à 40 p. 100). La conservation à la température ambiante est médiocre. Au moment de les semer, on active la reprise en les faisant tremper pendant quarante-huit heures. On sème en ligne (4 kilogrammes à l'are) sous ombrage léger, car les semis craignent le soleil trop fort. On repique, au printemps, les semis d'un an, en pépinière, et on plante à deux ou trois ans. Le mélèze du Japon convient mieux pour les régions océaniques humides. Il croît très vite jusqu'à l'âge de quarante ou cinquante ans, mais sa croissance devient ensuite assez faible.

Les mélèzes sont des espèces capables de donner soit une forte production, en plaine, en culture à courte révolution, soit des bois de haute qualité, en montagne, en culture à longue révolution. Ce sont, en outre, des espèces très ornementales. Au printemps, s'épanouissent les jeunes feuilles d'un vert tendre, puis les fleurs colorées donnent naissance aux cônes élégants qui demeurent longtemps sur les rameaux. Sous le peuplement de mélèze (mélézein) croît habituellement un tapis de graminées formant « un admirable gazon, frais, moelleux et reposant », comme dit un auteur. Les mélèzes abritent souvent aussi des framboisiers, des groseilliers, des rosiers, des cotonéasters, des daphnés, etc. ... et une véritable mosaïque de plants alpestres aux vives couleurs.

LE FORESTIER.

Le Chasseur Français N°666 Août 1952 Page 487