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Le vitrail

Dès les plus hautes époques de l'architecture religieuse, les bâtisseurs de cathédrales ont montré, en France, un penchant extrêmement accentué pour parer leurs constructions d'éléments translucides servant à la fois à l'éclairage et à la décoration.

C'est de là que naquit et se développa l'art du vitrail.

Malheureusement pour l'art, l'archéologie et l'histoire, pillages, guerres civiles et étrangères, révolutions, maladresses et vandalismes des hommes ont parachevé la morsure destructrice du temps, et il ne reste relativement que fort peu de ces merveilles du verre coloré.

Un vitrail est constitué par deux éléments indissolublement liés et restant cependant indépendants : d'abord le dessin d'ensemble, généralement en grisaille et aux formes vagues, ensuite un agrégat de verres aux coloris aussi brillants que puissants, harmonieusement sertis dans un lacis de plomb transformant le vague du dessin en une image d'un dynamisme expressif par son sens généralement apologétique.

Les vitraux anciens sont actuellement revêtus par une patine que l'on pense généralement et à tort due à une modification chimique du verre, alors qu'il s'agit d'un dépôt fixé par ionisation naturelle des multiples poussières corrosives en suspension dans l'atmosphère, surtout pour l'extérieur, tandis que le côté intérieur se trouve chargé d'une sorte de vernis quelque peu opaque provenant des suies des encens et des cierges.

Historiquement, on distingue surtout deux grandes catégories de vitraux : les œuvres puissantes et hiératiques empreintes du principe éducateur par l'image pieuse d'un fait d'Histoire sainte entre le XIIe et le XVe siècle.

Du XVe au XVIIIe siècle, les compositions sont moins inspirées des directives des corporations et du clergé et les figurations sont beaucoup plus humaines et réalistes, faisant appel à la nature et décelant fort souvent la puissante personnalité de leurs auteurs qui alors ne sont plus parfois anonymes.

Dans la première période, on trouve une grande uniformité des techniques et peu de variété de matériaux. La simplicité est de règle. Les verres sont épais et inégaux, coupés et taillés en petits éléments, et les plombs de montage sont robustement traités au rabot.

À la seconde période, tout au contraire, la découverte de la filière mécanique pour le plomb fait disparaître cette caractéristique de robustesse. Les plombs étant amenuisés, les verres sont plus minces et moins colorés. La technique est plus savante, mais moins puissante.

Cette décrépitude des plombs s'avère surtout brusquement au XVIe siècle non par suite des intempéries, mais à cause des micro-organismes végétaux : des lichens même tapissent le verre et leurs racines s'y incrustent. Les plombs tombent alors en poudre noirâtre et les verres colorés s'en trouvent ravinés.

Cependant ce XVIe siècle voit l'apogée artistique du vitrail, bien que les verriers aient su échapper au danger de choir dans la mièvrerie en conservant la tradition des techniques anciennes.

Il n'en est plus de même au XVIIe siècle, qui dévoya totalement l'art du vitrail. Celui-ci tomba en agonie au XVIIIe, car la figuration des vitraux n'est plus alors qu'une transposition des thèmes de la peinture d'abord de fresque, puis de tableaux.

En France, on estime que le vitrail fut déjà utilisé au XIe siècle et peut-être au Xe, car les réalisations connues du XIIe impliquent par leurs perfections une longue maîtrise et une grande pratique.

Au XIIe siècle, le tracé est très hiératique et en quelque sorte de structure byzantine avec des personnages petits, mais extrêmement expressifs d'attitudes. Ils sont parfois nus ou alors vêtus de draperies accusant une grande fermeté. Les fragments de verre sont épais aux coloris puissants, mais non violents. Les lacis de plomb fort épais accusent les silhouettes. L'iconographie puise ses thèmes dans la Bible et les Évangiles et plus particulièrement dans la vie de Jésus, de la Vierge et des Saints.

Le plus ancien vitrail marquant de cette époque est dû à Suger et provient de Saint-Denis. Cette époque s'exprime à Angers, Chartres, Lyon, Strasbourg, etc.

Le début du XIIIe siècle marque peu de modifications, car plus que l'embellissement les artistes recherchent comme but non pas l'aspect uniquement esthétique, mais avant tout l'éducation religieuse du fidèle — alors totalement illettré — par la vue instructive d'une scène religieuse.

La générosité des fidèles autorise alors des réalisations abondantes. De leur côté, les artistes imaginent une perspective spéciale avec les petites figurations en bas et les grands personnages en haut, de manière à correspondre à la « lecture visuelle » des yeux des assistants. Les ferrures sont prévues pour résister à la rouille et sont non pas scellées à la chaux, mais dans un coulis de plomb avec des calfeutrements d'argile étanche à l'eau, mais facile à dégager pour les réparations.

Les imagiers de l'époque font merveille et réalisent un art populaire propre à être compris des âmes les plus simples. Toutefois, il y a une modification importante provenant de l'augmentation des surfaces des vitraux et de leurs nombres. Les personnages s'en trouvent isolés et de grandes dimensions avec quelques ornements d'architecture pour les hautes baies, tandis que les ouvertures basses ou proches du sol reçoivent les groupes multiples. Les formes des vitraux s'en trouvent plus variées avec des tracés plus élégants et d'une plus puissante richesse décorative.

Iconographiquement, aux thèmes antérieurs on ajoute des jeux de fonds géométriques ou héraldiques. À l'énergie de la figuration se substitue une expression atténuée avec des détails très travaillés. Monuments et sites ou paysages se trouvent stylisés, mais traduits fort conventionnellement, tandis que les pièces d'arts décoratifs, meubles, tapisseries ou vêtement y sont fidèlement reproduits.

Si les rosaces amples paraissent, on voit aussi s'étendre les simples grisailles, par économie de construction dans l'aménagement de l'architecture d'ensemble. Cependant on trouve des expressions héraldiques d'écus et de blasons pour complaire et encourager les donateurs et même fréquemment ils sont représentés dans les personnages figurés. Toutes les grandes cathédrales conservent encore des vitraux de cette période.

L'état d'inquiétude qui sévit au XIVe siècle avec les guerres, épidémies, famines, exaspère la foi et donne un essor nouveau aux bâtisseurs de cathédrales, mais la pauvreté amenuise les décorations somptuaires. On va simplifier le vitrail et la facture sera moins soignée avec des réalisations plus économiques. La typologie des scènes est empruntée aux enluminures des manuscrits et livres d'heures. Les sujets deviennent plus symboliques que mystiques avec surtout l'expression de vices et vertus et des œuvres de charité. Les personnages varient de formes représentatives et de taille dans le même vitrail. Enfin la décoration d'une baie commence à faire partie d'un thème général divisé dans les diverses parties de l'ensemble architectural. On voit encore paraître une nouveauté ; celle de personnages laïques bien que nobles. Les ornements architectoniques sont cependant exagérés et écrasent parfois les personnages. Enfin les « damas » commencent à paraître, débutant par des formes simples en losange et carrés. La couleur « jaune d'argent » pour décorer par cémentation des verres incolores commence à sévir après 1350. Les bordures se réduisent et se simplifient, mais les inscriptions jouent un grand rôle.

Le XVe siècle marque un tournant capital et même crucial, car les artistes traduisent plus de personnalité et moins de discipline conformiste. Les vitraux commencent à porter des signatures, des monogrammes et des dates de facture, L'usage du placage facilite la production, mais entraîne moins de puissance de couleur. Les verrières vont être franchement historiées et rarement narratives. Les scènes ou groupes se construisent autour d'un personnage principal très grand. Les arbres généalogiques sont très en faveur avec des figurations de donateurs surtout, agenouillés. Enfin on adopte, puis on abuse du décor sylvestre, ainsi que des nuages assemblés très conventionnellement.

Avec le XVIe siècle éclate une véritable révolution artistique, car, avec les nouvelles techniques, une frénésie de renouveau se manifeste. Maîtres d'œuvres et clergé perdent l'autorité disciplinaire et l'artiste tombe dans l'individualisme d'expression. Tous les arrangements traditionnels sont abandonnés et la facilité des voyages entraîne des apports étrangers et des influences de pays lointains. Les thèmes deviennent parfois trop intellectuels, pendant que l'influence de la Réforme se fait sentir par des manifestations dogmatiques et apologétiques exprimant parfois les luttes religieuses. En contrepartie, on voit fleurir des scènes laïques de chasses ou de batailles et des épisodes de chevalerie ainsi que des songes. Il y a encore une immense diversité dans la division des scènes avec des conceptions d'ensemble religieuses ou mystiques. L'anonymat du facteur disparaît totalement. Enfin on tombe dans le véritable « tour de force » de figuration et le vitrail y perd toute force et puissance pieuse et le caractère monumental disparaît.

Au XVIIe siècle commence la décadence du vitrail par abus de l'émail, défectuosité de l'ordonnancement et trop de décoloration. Les bordures surabondent et le vitrail va poursuivre son agonie en ne devenant plus qu'une transposition de la peinture de chevalet.

Des vitraux de hautes époques, il ne reste pas grand-chose au moins en France, car, la Révolution ayant démembré les cathédrales, ces magnifiques œuvres de l'art du verre furent vendues à l'encan et furent acquises surtout par des étrangers. C'est ce qui explique leurs présences dans les châteaux d'Angleterre où, s'ils sont conservés avec soin en général, ils ne correspondent plus au sens essentiellement religieux qui les avait fait concevoir.

Janine CACCIAGUERRA,

de l'École des Chartes.

Le Chasseur Français N°666 Août 1952 Page 504