Un abonné du Lot, président d'une société de pêche, m'ayant
récemment posé une question au sujet d'une affaire de servitude de halage en
bordure d'un cours d'eau, il m'a paru utile, pour les lecteurs de notre revue,
de rappeler, en une courte chronique, les règles qui régissent les droits de
chasse et de pêche le long des fleuves et des rivières.
On sait que les cours d'eau naturels (je ne parle donc pas
des canaux, qui sont des cours d'eau artificiels) font partie ou non du domaine
public suivant qu'ils ont été classés comme tels. Et l'article 538 du Code
civil classe dans le domaine public « les fleuves et rivières navigables
et flottables ». Il en résulte que ceux-ci appartiennent à l'État pris en
tant que personnification juridique de la Nation ou, du moins, sont administrés
et gérés par lui pour le compte de la collectivité au service de laquelle ils
sont mis. Par contre, les autres, c'est-à-dire les cours d'eau non navigables
ni flottables, ne font pas partie, sauf classement spécial, du domaine public,
et leur lit appartient aux riverains, qui ont le droit de clore leurs
propriétés jusqu'à la rive et à qui appartient, en outre, le droit de chasse et
de pêche. La chasse et la pêche sur les cours d'eau dépendant du domaine public
de l'État sont donc réglementées et susceptibles de faire l'objet d'amodiation,
soit par adjudication, soit à l'amiable.
La chasse, lorsque l'adjudication ne paraît pas possible ou
opportune, ou a été infructueuse, est, en général, concédée, en vertu d'un
arrêté ministériel du 26 mai 1924, au moyen de licences individuelles
délivrées soit par le service des Ponts et Chaussées pour les rivières
canalisées qui dépendent de son administration et de sa surveillance, soit par
le service des Eaux et Forêts pour les rivières non canalisées. Bien entendu,
il ne peut s'agir là, en principe, que de la chasse au gibier d'eau, puisqu'on
ne peut habituellement chasser autre chose sur les cours d'eau. Cependant, on a
vu des lièvres, même non poussés, traverser l'eau à la nage, et les perdreaux passent
couramment les rivières au vol. Dans ce cas, un chasseur muni d'une de ces
licences qui, soit en bateau, soit à pied si la faible profondeur de l'eau lui
permet de chasser avec des bottes, tirerait, dans ces conditions, un de ces
gibiers, ne pourrait, à mon avis, être déclaré en contravention puisque
chassant en un lieu où il a le droit de chasse. Il semble bien, en effet, que
ce n'est pas parce que la licence est dite « au gibier d'eau » que
les droits qu'elle donne au titulaire soient restreints à cette seule catégorie
de gibier. Toutefois, je n'ai jamais vu de cas de cette espèce soumis à
l'appréciation des tribunaux ; et si, cependant, quelque décision de
justice était intervenue à ce sujet, je serais reconnaissant au lecteur qui en
aurait connaissance de vouloir bien me la signaler (1).
Je parie, bien entendu, en période d'ouverture générale. Et,
ici, il faut bien s'entendre et dissiper une erreur d'interprétation d'un grand
nombre de chasseurs qui croient que les licences de chasse au gibier d'eau ne
sont obligatoires que lorsque cette chasse seule est ouverte et qu'en temps
d'ouverture générale on peut chasser le gibier d'eau librement. Les licences,
en effet, valables pour l'année civile (1er janvier au 31 décembre),
sont obligatoires en tout temps en ce qui concerne les cours d'eau où la chasse
est réglementée. Ceci concerne seulement la chasse en bateau, à la botte ou
même de la rive, puisque, ainsi que je l'ai déjà exposé dans ces colonnes (voir
n° de juin 1951), il n'y a pas d'interdiction légale de suivre la rive à
pied sec en temps de fermeture générale pour chasser le gibier d'eau et que les
arrêtés préfectoraux qui pourraient la mentionner seraient illégaux tant
qu'elle n'aura pas été édictée par une loi modifiant la loi de 1844 sur l'exercice
de la chasse.
En ce qui concerne les autres rivières, c'est-à-dire celles
qui ne sont pas classées dans le domaine public, et en particulier la plupart
des rivières non navigables ni flottables, la chasse au gibier d'eau y est
soumise aux mêmes conditions que la chasse ordinaire et nul ne peut y chasser
le gibier d'eau, en quelque époque que ce soit, sans être titulaire du droit de
chasse soit comme propriétaire, soit comme membre d'une société, à moins, bien
entendu, que la chasse n'y soit banale et libre.
Je fais remarquer que j'ai écrit ci-dessus « la plupart »
des rivières non navigables ni flottables. Car il existe des cours d'eau qui,
bien que n'étant pas classés navigables et flottables, et qui devraient donc,
en principe, appartenir aux riverains, font cependant partie du domaine public
en vertu de décrets spéciaux qui les y ont classés ou maintenus. Par un arrêt
du Conseil d'État, en effet, en date du 8 décembre 1922, il a été précisé
qu'en vertu de l'article 128 de la loi du 8 avril 1910 tous les cours
d'eau figurant au tableau annexé à l'ordonnance du 10 juillet 1835 rendue
pour l'application de la loi du 15 avril 1829 sur la pêche, en tenant
compte des modifications résultant de décrets ultérieurs, doivent être
considérés comme dépendant du domaine public, sans avoir égard à leur
navigabilité, et qu'ils ne peuvent être distraits de ce domaine que par une
loi.
Et c'est ici que j'arrive à la question qui m'a été posée, à
savoir : un cours d'eau rayé de la liste des rivières navigables et
flottables par un décret-loi qui l'a maintenu, tout de même, dans le domaine
public conserve-t-il, à l’encontre des propriétés riveraines qui l'avaient
jusqu'alors supportée, la servitude de halage et de marchepied prévue par
l'article 46 de la loi du 8 avril 1898 sur le régime des eaux et l'article
650 du Code civil ? Cette question a une grande importance, non seulement
pour les propriétaires riverains au sujet du droit de se clore, mais aussi pour
les chasseurs et pêcheurs. Et c'est à ce dernier point de vue que la question
m'a été posée.
Il semblerait logique que, puisque la servitude de halage a
été créée uniquement dans l'intérêt de la navigation, cette servitude
disparaisse dès que le cours d'eau a été reconnu non navigable. Mais un
décret-loi du 28 décembre 1926, qui a rayé de la nomenclature des rivières
navigables et flottables un certain nombre de cours d'eau précédemment classés
comme tels, a précisé que, malgré ce déclassement, ils étaient maintenus dans
le domaine public. Ce maintien est donc une exception à la règle générale
résultant des articles 34 et 35 de la loi du 8 avril 1898 et a donné lieu
à un certain nombre de différends qui ont dû être soumis à l'appréciation du
Conseil d'État.
Dans un arrêt du 28 janvier 1920, cette juridiction a
rejeté la requête d'un propriétaire qui avait été condamné à arracher les
plantations qu'il avait faites sur l'emplacement du chemin de halage passant
sur sa propriété, bien que la navigation ait été depuis longtemps abandonnée
sur la rivière en cause, pour le motif que celle-ci n'avait pas été déclassée
et faisait toujours partie du domaine public.
Un deuxième cas — identique à celui qui a motivé la
lettre de mon correspondant — a été tranché par une autre décision du
Conseil d'État du 23 février 1948 (réponse du ministre des Travaux publics
du 14 Juin 1928 à une question écrite). Le Traité du Domaine de l'État
(Dementhon, 3e édition, n°47, p.32) rapporte cette décision en ces
termes : « Un décret-loi du 28 décembre 1926 (J. O.
du 1er janvier 1927) a rayé certains cours d'eau de la liste
des voies navigables, tout en les maintenant dans le domaine public. Ces voies
n'ont donc pas été réellement déclassées et, en particulier, la servitude de
halage n'a pas disparu à l'égard des cours d'eau naturels compris dans ce
décret. » Voilà donc mon correspondant renseigné sur la question qui le
préoccupait en tant que pêcheur. Et je pense que cette chronique, qui a été
abrégée le plus possible, pourra éclairer chasseurs et pêcheurs sur leurs
droits et leurs obligations en cette matière un peu « flottante »,
avouons-le, c'est bien le cas de le dire.
FRIMAIRE.
(1) En dernière minute, je reçois, de l'Administration des
Eaux et Forêts consultée, confirmation de l'opinion ci-dessus, à savoir que
tout porteur de licence peut, en temps d'ouverture générale, tirer toute espèce
de gibier dans les limites du lot du domaine public où il a le droit de chasse.
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