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Les migrations des cailles

Si la nationalité s'acquiert par le lieu de naissance, beaucoup de cailles sont françaises ; mais il ne faut pas croire que toutes les tribus de cailles viennent se reproduire en France ; notre pays n'en héberge jamais qu'un faible contingent eu égard à la quantité de l'espèce.

Par l'étendue de ses migrations, autant que par sa nature, la caille a toujours intrigué les ornithologistes et les chasseurs. De la famille des Perdicinés, avec ses ailes courtes aux battements rapides et son corps relativement lourd, si différente des oiseaux grands voiliers, auprès desquels, comparés à un bon bateau, elle ressemble à une chaloupe, elle paraît peu destinée à affronter les mers et les déserts, et pourtant elle les traverse. L'aire de sa dispersion couvre les cinq parties du monde ; mais cela ne signifie pas que cet oiseau fasse chaque année le tour du globe, et les sujets que nous voyons ici n'ont sans doute jamais vu l'Asie. Toutefois ce gibier est partout migrateur, nulle part il n'est sédentaire et, jusqu'ici, on n'est pas arrivé à fixer avec certitude l'origine des cailles qui nous viennent et la destination de celles qui s'en vont.

J'ai, sous les yeux, une « mappemonde ou carte générale du globe terrestre, sur laquelle ont été tracées les routes suivies par plusieurs espèces d'oiseaux et de poissons dans leurs migrations et leurs passages », par M. de Serres, professeur de sciences à Montpellier, en 1845. En suivant la route des cailles, j'y relève comme point de départ l'Égypte ; la ligne, par la gauche, me conduit en Afrique du Nord, en Espagne et au Portugal, en France, en Italie, en Angleterre et en Islande ; elle s'incurve vers les pays Scandinaves, traverse la Russie, fléchit vers le Tibet et y rejoint une autre ligne, partant également d'Égypte, passant par la Syrie, le Nord de l'Inde, la Birmanie, les îles de la Sonde, le Nord de l'Australie, suivant les sinuosités des archipels du Pacifique pour atteindre la Terre de Feu ..., tandis qu'une troisième route fait le tour de toute l'Afrique en épousant le littoral.

Il paraît évident que les mêmes oiseaux, quel que soit leur amour du voyage, ne suivent pas tous ce chemin ; d'autant plus que diverses variétés sont observées en plusieurs points du monde.

Leur assigner, comme point de départ commun, l'Égypte, semble assez hasardeux. Si ce pays fut de tout temps considéré comme berceau des cailles et s'il est vrai qu'elles y abondent en hiver et y nichent en certaines régions, rien ne permet de supposer qu'elles s'y donnent rendez-vous, toutes, comme en pèlerinage. L'histoire des Hébreux, qui se nourrirent de ces oiseaux pendant plusieurs semaines au cours de leur exode, a dû contribuer à accréditer la croyance. Mais, les Hébreux étaient dans le désert, lieu mal choisi pour nourrir des oiseaux, et non dans les plaines fertiles. Il s'agissait probablement d'un passage de cailles épuisées, tombées du ciel, comme parfois il s'en abat en certains lieux ou sur certaines villes ; ce fut le cas à Tarbes en 1951, en Roussillon en 1842. La vérité est que les cailles, en hiver, cherchent les climats chauds, les terres fraîches et fertiles, et, en été, les régions tempérées, leur offrant des cultures semblables. Si le Sud oriental du bassin méditerranéen, tant par sa position centrale que par son climat et la richesse de son sol, en attire une grande partie, d'autres régions voient aussi hiverner des cailles.

On sait, en effet, qu'à Dakar, et un peu plus au sud, on les voit arriver fin octobre ; on en voit à Gao en décembre, en même temps un peu partout dans le Sud algérien. En mars, elles repartent vers le Nord, en Algérie et au Maroc, où, sur le littoral et sur les hauts plateaux, elles arrivent en avril pour en repartir en septembre. Elles sont donc présentes en Afrique du Nord aux mêmes époques qu'en France.

Or cette migration africaine de la proximité de l'équateur à la pointe nord marocaine représente un cycle complet. Traversant le désert, ces cailles partagent leurs saisons entre le Centre-Ouest et le Nord-Ouest de l'Afrique.

Il est probable aussi que d'autres groupes, hivernant plus au sud, se dirigent sous l'équateur, allant chercher plus bas ce que les autres vont chercher plus haut, et regagnent ensuite un habitat d'hiver à proximité de la ligne.

En même temps, un autre mouvement, de directions semblables, est observé sur la partie est de l'Afrique. Des cailles partent du Soudan au début du printemps après y avoir passé l'hiver ; elles remontent en Égypte, où, grossies d'autres contingents, elles gagnent la Crète, Corfou, la Grèce et les Balkans ; peut-être aussi certaines vont plus loin. Elles regagnent à l'automne l'Égypte et le Soudan.

Si nous laissons de côté les mouvements de ces oiseaux qui intéressent l'Asie et sur lesquels nous ne possédons pas de renseignements très précis, nous pouvons donc considérer que les cailles d'Afrique comportent deux grands groupements, l'un à l'ouest, l'autre à l'est. Chacun d'eux exécute aux mêmes époques un mouvement sud-nord, puis un autre nord-sud revenant à leur point de départ. De quel groupe proviennent les cailles venant en Europe ? Car, s'il est évident qu'elles doivent venir d'Afrique, elles peuvent appartenir aussi bien au groupe de l'est qu'à celui de l’ouest. La solution qui les ferait venir toutes du Soudan et d'Égypte ne paraît pas plus étayée que celle qui les ferait venir des bords de l'équateur par l'Afrique du Nord. La controverse, née de ces opinions différentes, n'est pas encore tranchée. Pour la résoudre, il suffirait d'opérer des captures massives à l'aide de filets et de baguer tous ces oiseaux ; les essais faits ont été trop timides pour avoir éclairci la question.

Or, en jetant un coup d'œil sur la carte, il paraît évident que les cailles arrivant en Afrique du Nord, en Algérie et au Maroc, après avoir traversé le désert ou longé la côte atlantique, recherchant des régions tempérées, peuvent être tentées de pousser plus au nord. Une partie du contingent peut, en effet, sans rencontrer de grands obstacles, arriver en Espagne et en France. D'autres, ayant sauté le Sahara, peuvent fort bien aussi franchir la Méditerranée.

Celles qui montent du Soudan, qui suivent la vallée du Nil, parvenues sur les côtes d'Égypte, cherchent aussi à gagner des régions plus au nord ; mais elles ont le choix : vers l'est, la Syrie, la Russie ou l'Asie ; vers l'ouest, suivant la côte pour aller se joindre à leurs sœurs provenant de l'Afrique de l'ouest, et vers le nord, par-dessus la mer, pour arriver en Grèce, en Turquie et en Italie.

Il est donc logique d'admettre que les cailles venant chez nous arrivent, les unes d'Égypte et du Soudan, les autres de l'Afrique équatoriale, du Sénégal, par l'Algérie et le Maroc, aussi bien que par l'Italie. Le Chasseur Français du mois de mai 1952 nous apprend que plus de trente cailles, baguées en Italie au printemps 1951, ont été tuées en septembre dans le Sud-Est et le Midi de la France, ce qui ne laisse pas de doute sur l'axe de migration est-ouest qu'elles ont suivi pour venir chez nous. Mais un de ces oiseaux a été tué près d'Alger, le 17 septembre ; il avait été bagué près de Gênes, en même temps qu'un autre tué dans le Jura, presque le même jour. Cette constatation doit rendre une conclusion bien prudente : cette caille tuée à Alger, qui a pris une direction différente de ses congénères, et qui n'a pas dû la prendre seule, avait-elle effectué prématurément son voyage de retour ? Un autre oiseau, bagué dans la même région, en mai également, fut tué près de Constantine en novembre ; il serait hasardeux de dire qu'il avait passé l'été chez nous. La Corse et la Sardaigne sont à l'aplomb de Gênes et offrent un itinéraire facile pour regagner l'Afrique du Nord sans traverser un trop grand espace de mer ; mais, alors, ces oiseaux auraient cherché à regagner l'Ouest de l'Afrique en arrière-saison ? Faut-il en déduire qu'ils devaient passer l'hiver dans le Sud algérien ou en direction de Dakar, plutôt que vers l'Égypte et le Soudan ? Nous restons donc bien peu fixés sur l'origine exacte de nos cailles.

Outre ces mouvements, qui constituent les grandes migrations, les cailles effectuent d'autres déplacements, comme tous les oiseaux migrateurs. Ils sont occasionnés par le besoin de rechercher leur nourriture, un habitat qui leur convient et sans doute par d'autres causes dont nous n'avons pas percé le secret.

On observe d'abord non pas un seul, mais deux ou trois passages annuels, plus ou moins abondants, mais ayant lieu à des époques fixes : l'arrivée de printemps des oiseaux qui viennent nicher, puis l'arrivée d'un autre contingent au début de l'été et, enfin, un autre en septembre. Il y a tout lieu de croire que ces deux derniers passages sont le fait des oiseaux qui ont niché dans des régions trop chaudes d'Italie ou d'Afrique du Nord.

Mais, en dehors de ces arrivées périodiques, plus ou moins abondantes selon les années, il se produit, durant l'été et jusqu'au mois d'octobre, des déplacements régionaux. Les passages de fin de saison peuvent être attribués aux oiseaux retournant vers le sud, en provenance des pays nordiques où ils se sont aventurés. Les passages de plein été sont imputés au seul besoin de subsistance. La caille fuit la sécheresse ; ceci n'est pas controversé ; aussi n'en trouve-t-on presque jamais dans les garrigues ; mais cela s'explique surtout parce qu'il n'y a pas de graminées propices à leur nourriture. Pendant les années de sécheresse dont a souffert dernièrement le Midi de la France, les cailles y ont été assez rares, en général. L'excès d'humidité ne leur convient pas davantage. C'est ainsi que l'année 1951, marquée par un printemps très pluvieux, ne fut pas très propice à beaucoup de chasseurs de cailles. Mais ces principes généraux ne doivent pas être pris à la lettre ; ils sont parfois mis en échec sans qu'on s'explique bien pourquoi. Ce qui est certain, c'est que tout oiseau migrateur fait halte en des endroits où il trouve sa nourriture ; si celle-ci est rare partout, dans une région donnée, des voliers descendront néanmoins y trouvant toujours quelques subsistances ; les chasseurs qui les rencontreront proclameront qu'il y a eu beau passage. Si la bonne graine abonde partout, les oiseaux se disperseront ; chaque chasseur en verra quelques-uns sans beaucoup remplir son carnier, et l'on dira qu'il y a eu peu de cailles. Dans l'un et l'autre cas, à l'échelle de la planète, chacun jugeant d'après ce qu'il observe dans son coin, cela ne peut signifier grand'chose.

Mais pourquoi donc, depuis bientôt vingt ans, tous les chasseurs épris de cet intéressant gibier se plaignent-ils de ses caprices ? Cette période a pourtant comporté des saisons paraissant propices, et cependant les cailles ont boudé. C'est poser la question de savoir si l'espèce s'amenuise. Essayer d'y répondre est un autre sujet ; mais, s'il est d'actualité, il l'est depuis longtemps, car, dans l'antiquité, les Grecs et les Romains se lamentaient déjà sur la diminution des cailles. Et cela doit nous consoler.

GARRIGOU.

Le Chasseur Français N°667 Septembre 1952 Page 518