Il nous fut demandé dernièrement si un chasseur risquait
toujours de pouvoir être rendu responsable par le juge de paix des dégâts
causés aux récoltes par le gibier, lorsque celui-ci provenait de bois dans
lesquels il avait chassé.
Ce à quoi nous répondons que la question est mal posée et
qu'il y a, pour établir la responsabilité des dégâts, deux choses tout à fait
différentes à examiner :
1° À quel titre chassait-on ?
2° Comment peut être établie la responsabilité du chasseur
pour les dégâts commis aux récoltes par des animaux nuisibles provenant d'un
bois voisin dont il a la chasse ?
1° À quel titre chassait-on ?
— Il est certain que c'est ce qu'il faut d'abord
examiner, car, disons-le tout de suite, il est des cas où l'on peut être rendu
responsable et d'autres où, légalement, on ne peut jamais l'être.
L'on peut avoir, en tout ou en partie, la responsabilité des
dégâts, si l'on chasse aux titres suivants : 1° propriétaire ; 2°
usufruitier ; 3° locataire ; 4° co-locataire ; 5° associé ;
6° sous-locataire ; 7° fermier-exploitant.
Par contre, l'on n'endosse aucune responsabilité si l'on
chasse avec l'une des qualités suivantes : 8° permissionnaire ; 9°
invité ; 10° porteur de licence (en forêt de l'État) ; 11° en chasse
banale.
Mais, dira-t-on, qui, alors, sera responsable des dommages
causés aux récoltes par ces quatre catégories de chasseurs?
Pour le permissionnaire et l'invité, ce sera le détenteur du
droit de chasse.
Pour les licences en forêt de l'État, c'est ce dernier qui
en garde la responsabilité.
Enfin, sur chasse banale, ce sera le détenteur légal du
droit de chasse, mais ordinairement, dans ce dernier cas, il n'y a pas de
dommages, parce qu'il n'y a plus de gibier ... ou si peu que les dommages
sont inexistants.
2° Établissement de la responsabilité.
— Le fait de dégâts sur une terre n'implique pas par
lui-même une responsabilité quelconque.
Il faut qu'il y ait faute de la part de celui que le
cultivateur veut rendre responsable, c'est-à-dire que ce dernier ait commis une
négligence ou une imprudence.
Voici du reste un rappel des principes de la jurisprudence
en la matière :
Beaucoup croient trop volontiers que réparation est due dès
qu'un dommage est causé par les lapins.
Le propriétaire ou le locataire de la chasse n'est
responsable que si les dommages causés dépassent les inconvénients normaux de
voisinage.
Le principe de la responsabilité se trouve dans l'article
1383 du Code civil aux termes duquel chacun est responsable du dommage causé
non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou son imprudence. Il
n'y a pas, en la matière, de législation d'exception, c'est le droit commun qui
doit trouver ici son application.
Pour que la responsabilité du propriétaire ou du locataire
de chasse soit envisagée, il faut :
1° Qu'un dommage ait été causé aux récoltes et que ce
dommage soit le fait d'animaux nuisibles ou de gibier venant de son fonds ;
2° Que les animaux nuisibles ou le gibier soient en nombre
excessif ;
3° Qu'une faute, une négligence ou une imprudence puisse
être relevée à la charge du propriétaire ou du locataire.
Il ne suffit pas au demandeur en dommages-intérêts (et nous
insistons sur ce point) de justifier que le dommage dont il se plaint est causé
par les animaux provenant de la chasse voisine.
Le seul fait de l'existence de ces animaux, la seule
constatation des dégâts ne suffisent pas en effet pour engager la
responsabilité du propriétaire ; il faut que le demandeur fasse la preuve
que le préjudice est hors de proportion avec celui qui doit résulter
normalement du voisinage d'une chasse.
Tant que les dommages ne sont que la conséquence de
l'existence même du gibier et de la situation des lieux, tant qu'ils ont un
caractère normal, les personnes lésées doivent les supporter.
Le seul fait que le propriétaire fait garder sa chasse ou
qu'il ne fait pas fureter et n'autorise pas les voisins à détruire les lapins
ne suffit pas pour engager sa responsabilité, si l'existence en quantité
anormale des lapins n'est pas établie.
Les lapins étant en quantité anormale, le propriétaire n'est
pas responsable s'il est établi qu'il a pris, pour empêcher la multiplication
des lapins, toutes les mesures possibles, battues, furetage, suivis du
défonçage et du bouchage des terriers.
Sont reconnus par la jurisprudence constituer à la charge du
propriétaire une faute susceptible de le rendre responsable des dégâts de
gibier : le fait de laisser les lapins se multiplier d'une façon excessive
en laissant dans ses bois des fourrés inextricables et en n'y furetant pas ;
le fait de laisser subsister de nombreux terriers, de procéder à des battues
tardives ; de prendre des mesures de destruction insuffisantes et
tardives, eu égard à la multiplication anormale des lapins.
La destruction des terriers peut être inefficace, surtout si
l'on se trouve dans un sol sablonneux. Il arrive en effet que le lapin se
déplace sans quitter le terrain définitivement. Il s'ensuit que l'existence de
nombreux terriers dans une propriété ne suffit pas pour rendre le propriétaire
responsable.
Qu'il n'y a de responsabilité que si les lapins existent en
quantité excessive et deviennent un véritable fléau pour les voisins.
On ne saurait du reste exiger du propriétaire qu'il détruise
tous les terriers qui se trouvent dans son fonds. Le moyen qui paraît le plus
employé et le plus efficace est l'organisation de battues, lesquelles doivent
être fréquentes et régulières. Il appartient au chasseur d'inviter par lettres
recommandées les riverains à venir effectuer des battues ou l'aider dans
l'exécution de celles-ci.
Si les voisins ne se rendent pas à l'invitation à eux
adressée, la responsabilité du propriétaire ou du locataire se trouvera très
atténuée.
Rappelons que le propriétaire échappe à toute responsabilité
à raison des dégâts imputés aux lapins, en faisant entourer sa propriété d'un grillage
surmonté d'un bavolet en fil de fer, élevé d'un mètre environ au-dessus du sol
et pénétrant en terre de plusieurs centimètres.
Cependant on ne saurait lui imposer l'obligation d'entourer
sa propriété d'un grillage.
Une telle mesure est parfois d'une réalisation pratiquement
impossible.
Seulement, en l'absence de ce grillage protecteur, la
responsabilité du propriétaire reste entière.
Tel est le droit commun conforme aux principes d'équité qui
régissent notre législation.
Ajoutons qu'on ne saurait oublier le principe général de la
personnalité des fautes, en matière de responsabilité pour dégâts de gibier.
Dans un arrêt du 21 novembre 1921, la Cour de cassation
a fait application de ce principe en décidant qu'un locataire de chasse ne
saurait être déclaré responsable du fait ou de la négligence de ses voisins
pour cette raison qu'il n'avait pas fait à ceux-ci sommation de détruire en
temps opportun et que, d'autre part, il ne les avait pas appelés en garantie
dans l'instance.
René DANNIN,
Expert en agriculture (chasse, gibier) près les tribunaux.
|