Il faut rendre justice aux éleveurs de chiens courants,
des courants de vénerie particulièrement, qu'ils ont tiré le meilleur parti
d'un cheptel fortement éprouvé par les événements depuis la fin du XVIIIe
siècle. Au cours du siècle suivant, ils ont su se servir avec habileté de
l'alliance avec le fox-hound, imposée du fait de la consanguinité, conséquence
de la réduction des effectifs, sans compromettre les qualités précieuses de
races françaises, nez et gorge en particulier. Peut-être même ont-ils obtenu un
plus grand nombre de chiens de change sans tomber dans le chien assagi à
l'excès, lorsqu'ils ont su doser les courants de sang. En somme, on ne saurait
reprocher aux veneurs de n'avoir pas osé et doit-on leur rendre justice en
disant que le succès a couronné leur initiative.
Des amateurs du chien d'arrêt, il faut avouer qu'ils ont mis
une fantaisie excessive dans le gouvernement de leurs favoris, pratiquant
surtout la sélection utilitaire, sans prêter attention à la sélection
esthétique, croisant braques, griffons et épagneuls entre eux, intéressés par
la seule valeur des conjoints sur le terrain. Cette façon sommaire de procéder
aboutit au chaos d'où devait nous sortir le sauveur des races françaises
d'arrêt, James de Coninck, il n'y a pas encore tant et tant de lustres. Les
responsables de ce désordre se sont défendus in fine en rejetant la
cause sur le peu de valeur vénale de leurs chiens à l'époque. La défaite est
mauvaise, car n'est-il pas plus juste d'attribuer la médiocre valeur pécuniaire
de leurs toutous aux pitoyables procédés d'élevage qu'étaient les leurs ?
En effet, au même temps les races anglaises étaient déjà réputées et l'objet
d'un trafic intéressant tant à l'intérieur qu'en dehors de leur pays. Le vrai
est que la France, pays de veneurs et de chasseurs au courant, s'est toujours
montrée disposée à considérer le chien d'arrêt en parent pauvre.
C'est grand miracle qu'on ait enfin sorti quelques races
dignes d'intérêt de tant de périls conjugués et vu à peu près clair dans
l'avenir de celles auxquelles il y en a un d'assuré. On a perdu du temps avec
l'une ou l'autre, manifestement issue d'un croisement avec le chien courant, et
le plus classique des pisteurs par surcroît ; c'est-à-dire celui au crâne
en dôme, à l'oreille longue et roulée et du modèle le plus lourd. On a mis
longtemps à se rendre compte de l'erreur, parce qu'on s'imaginait
particulièrement apte au métier de retriever, le chien présentant telle
physionomie. Ne pas se dissimuler que plusieurs de nos braques, et sans doute
ceux présentant le plus grand intérêt, ont eu à souffrir de la diffusion de
cette idée sans fondement. Sans fondement, en effet, lorsqu'on voit combien les
braques légers des pays centraux, réputés pour leur virtuosité comme
retrievers, se sont éloignés du chien lourd à faciès de pisteur sans que leurs
talents en aient été en rien compromis.
Pour le moment, nous ne semblons pas avoir beaucoup compris
ce que comporte comme enseignement une réforme dont la portée est considérable,
ne se serait-elle fait remarquer que par le courant d'exportation mondiale qui
l'a suivi. Le Nouveau-Monde en particulier, auquel on doit reconnaître le sens
des réalités, s'est immédiatement intéressé aux produits de la formule
nouvelle, à l'exclusion de tous les braques présentant les caractères de
l'ancienne. Celle-ci, essentiellement figurée par le chien lourd, chargé dans
l'avant-main et toujours un peu trop oreille, de l'oreille qui est le quid proprium
du chien pisteur et du plus collé à la voie des chiens courants.
Disons que nous ne sommes pas convaincus de l'opportunité de
la réforme réalisée en dehors de nos frontières. Il y a encore des braques chez
nous, indiscutablement lourds, quoique enfin décorniaudés, mais cependant
lourds dans l'avant-main en particulier, pourvus d'oreilles dont on conviendra
qu'elles sont moins celles d'un chercheur d'émanation directe que du suiveur de
pistes. À cet égard, le néobraque de l'Est présente un extérieur plus adapté
aux goûts du jour et aussi plus classique en tant que chien d'arrêt dont le rôle
consiste, il faut en convenir, à déceler sur émanation haute la présence du
gibier, non à le découvrir en en suivant la trace, le nez en rase-mottes.
Notons que chez nous cela a été compris par certains plus
soucieux de réussites que de respecter ce qu'il faut bien appeler du nom de
routine. Je reste toujours sous l'excellente impression que j'ai ressentie à
l'examen d'un lot important de braques français légers et de taille moyenne,
baptisés du nom de chiens de Mirepoix, obtenus par sélection, sans introduction
de sang anglais. On peut s'étonner que tant de braques, allégés et mis aux
besoins de l'heure, ayant fait preuve de grandes qualités et de caractère très
souple, en outre, n'aient pas provoqué une réforme telle que celle réalisée sur
nos frontières de l'Est. Elle eût été suivie avec intérêt par les amateurs
d'Amérique, importateurs du néo-braque allemand, ne serait-ce que parce que
notre braque français jouit d'un aimable caractère et que son dressage est des
plus aisés, alors qu'il faut convenir du caractère entier et assez raide de
l'autre. La réforme ne s'est pas imposée parce que nous vivons sous la crainte
de voir qualifié de pointérisé tout ce qui n'est pas pourvu des particularités
du braque lourd et qu'en fait désire l'amateur se piquant de classicisme. Or
cette « tradition classique » date tout au plus du siècle dernier,
car les chiens d'arrêt français, peints par Desportes et Oudry aux deux siècles
précédents, tant braques qu'épagneuls, sont les uns et les autres élégants, de
poids et de taille moyens. C'est le mauvais coup du chien corniaudé qui, en
sous-main, continue à troubler les esprits. À tel point qu'en présenter
quelques traces n'est que faute vénielle alors que tout soupçon de parenté avec
le pointer (dont les pays étrangers ont utilisé au mieux les éminentes vertus
de régénérateur) est qualifié péché mortel. Comprenne qui pourra. Mais à ce
propos on peut toujours dire que la logique ne gouverne pas partout le monde,
en dépit de l'adage. De peur de ressemblance avec le pointer, on tient donc en
suspicion des chiens dans la formule la meilleure, obtenus pourtant par seule
sélection, tant et si bien qu'ils sont assez inconnus. J'ai tenté d'affirmer
leur existence aux étrangers en en vantant l'aménité de caractère et ai le
sentiment de n'avoir pas été compris. C'est grand dommage. Nous aurions dans
une clientèle étrangère des débouchés que de faibles apparitions aux trials
sont impuissantes à nous assurer. Et, en notre temps, qui ne s'assure pas des
forces de la publicité est condamné à végéter.
Est-on d'ailleurs certain que les trop volumineux
personnages qui existent un peu partout soient pourvus du nécessaire pour
figurer aux épreuves entre chiens continentaux ? Je parle des seules
épreuves en terrains variés, images exactes de la chasse. Je n'en suis pas très
certain. Je mets bien entendu hors de cause celles que l'on donne sur les
plaines étendues, théâtres des exploits des chiens anglais. En tout cas, dans
le milieu convenant à l'exercice de la chasse pratique, ce ne furent pas les
chiens lourds les plus heureux. N'a-t-on même pas vu triompher en montagne des
pointers qui n'y avaient jamais mis les pieds, battant des continentaux
indigènes ?
Certes, puisque nous avons pu réaliser des chiens adaptés
par sélection, il n'est nullement besoin de recourir au sang de l'étranger. De
là à le rejeter dans les ténèbres extérieures, il y a cependant un pas qui,
assez ridiculement, a été franchi, puisqu'au simple soupçon de sa présence le
porteur, ou soi-disant tel, a été condamné. Cet ostracisme ne se conçoit
raisonnablement pas, étant donné les qualités que peut apporter le sang
anglais, j'ai reçu dernièrement les confidences d'un ancien veneur, demeuré
fidèle, par respect de la tradition me dit-il, au chien d'arrêt de sa province,
qui lui souhaiterait volontiers une évolution dans le même sens que celui dont
est sorti le néo-braque. Il faut évoluer avec son temps et radouber ce qui a
besoin de l'être ; aucune obstination ne saurait prévaloir là contre.
Puis il faut savoir se méfier des marottes, en tenant compte
avant tout de réussites indiscutables. Les condamnations fulminées par quelques
« braquemen » à l'égard du pointer sont, à cet égard, du domaine des
marottes. On ne peut lui reprocher d'influence fâcheuse ni sur le nez, ni sur
la fermeté d'arrêt. Ce n'est pas un retriever pour « runners », voilà
qui est entendu ; mais les races ayant reçu de son sang, tel le kurzhaar,
demeurent parmi les mieux douées pour le rapport. Alors on ne comprend plus,
sinon que beaucoup de gens parlant pointer en ignorent tout, y compris ceci qui
est important : qu'étant race de culture il comprend des familles
désignées pour les alliances continentales, d'autres nullement. Il y a parenté
initiale entre l'Ibérique dont sort le pointer et le braque continental aux nombreuses
variétés. Une alliance entre lointains cousins élevés dans les mêmes buts
pratiques vaut toujours mieux que celles entreprises pour conserver les
caractéristiques du chien dit « bien braque », soit la conjonction
avec le courant a chef de Normand. Cela est liquidé, je le sais, mais on ferait
bien de ne pas tant tenir à telle ou telle particularité dont l'origine peut
être réputée suspecte, ne serait-ce que parce que rejetée par les pays où la
silhouette du braque léger a prévalu et connaît une faveur qu'aucune de nos
races n'a acquise chez nous.
R. DE KERMADEC.
|