Depuis quelque temps, en France, nous commençons à nous
intéresser au dressage du chien pour la conduite des aveugles. Nous sommes
débutants en cette matière à côté d'autres pays, car les Américains et les
Allemands, pour ne citer que ceux-ci, sont bien en avance sur nous.
Ce dressage est évidemment délicat, et il demande à être
parfait, puisqu'un individu qui ne voit rien de ce qui l'entoure se trouve
livré au bon sens d'un chien et à son initiative.
Cette entreprise, cette œuvre peut-on dire, est magnifique
en elle-même ; si l'expérience qui est tentée réussissait et se
vulgarisait, elle doterait l'aveugle d’yeux qui voient pour lui avec une
constance illimitée, et il se déplacerait sans risques avec une certaine
indépendance.
À condition, bien entendu, d'aimer le chien et de le
comprendre, en dehors d'un guide, l'aveugle devrait trouver dans la présence de
ce compagnon un grand réconfort, il ne se sentirait plus tributaire de
quelqu'un. « Lui et son chien » ne feraient qu'un, et, malgré que ce
soit le chien qui possède la vue, celui-ci restera toujours soumis à son
maître, qui, tout en étant protégé, aurait l'impression d'être plus fort, plus
libre. Ce côté moral n'est pas négligeable.
Les aveugles sont rarement moroses, c'est un fait ; ils
font un effort incessant, pour s'intéresser à des choses qui leur sont
étrangères ; souvent nous avons l'occasion de constater combien il leur
faut de courage pour se lancer dans l'obscurité et garder une attitude
optimiste en trébuchant.
Pour eux, le chien peut être un précieux auxiliaire, et ses
ressources sont loin d'être épuisées.
En dehors des qualités de dévouement, de fidélité,
d'affectueuse sollicitude dont nous parons généralement le chien, il a en plus
des sens qui nous échappent, parce que nous ne les possédons pas ou que, si
nous les avons, ce n'est pas au même degré que lui. Tout le monde sait que le
chien est doué du sens de l'orientation et qu'il a, dans certains cas, une
intuition extraordinaire qui parfois nous étonne. Il a un odorat très
développé, l'ouïe très fine, et bien des effluves et des sons qui ne nous sont
pas perceptibles sont analysés par lui ; mais nous ne savons pas encore
dans quelles proportions exactement et jusqu'à quelles limites.
Le chien a beaucoup de mémoire, c'est d'ailleurs ce qui permet
le dressage, et, quand il vit en relation incessante avec son maître, elle se
développe encore et s'augmente du sens de l'observation.
Les races bergères ont au maximum le sens de la
propriété et le sens des responsabilités, elles sont fréquemment employées en
ce moment pour la conduite des aveugles.
Il faut, avant tout, porter son choix sur des sujets
équilibrés, intelligents et sociables avec les hommes et les autres animaux.
Les qualités morales passent avant les qualités physiques,
toutes les races bergères plus ou moins pures, ayant le sens inné de la
protection, peuvent donner de bons résultats.
Les Airedales peuvent aussi être dressés, ainsi que les
caniches et les barbets, à condition, toutefois, qu'ils atteignent une taille
suffisante pour être employés utilement. Il ne faut pas non plus que le chien
soit trop lourd, ni trop vif ni trop brutal.
Actuellement les préférences vont au type Berger Allemand,
qui est facile à entretenir, remarquablement intelligent et de bonne taille.
Les méthodes modernes de dressage exigent un chien de 55 à 60 centimètres ou
légèrement au-dessus.
J'ai eu l'occasion de voir, cet hiver, un film documentaire
américain sur le dressage du chien d'aveugle qui était remarquablement
intéressant ; il avait été obligeamment prêté par l'ambassade des
États-Unis au Comité national du chien d'aveugle.
Le film qui nous était présenté sur les dernières méthodes
de dressage américaines était très bien réalisé. On nous montrait, au début,
l'École de dressage comprenant de vastes jardins et des bâtiments modernes
destinés à loger les aveugles qui y prennent pension.
Dans des chenils bien compris, les chiens vivaient en
groupe, assez nombreux, afin d'éprouver tout d'abord leur degré de sociabilité,
puis, à partir de l'âge de quinze à dix-huit mois, on commençait à les dresser.
Ce dressage spécial est fait par un homme du chenil, a qui il est facile de se
rendre compte assez rapidement de la souplesse de caractère du sujet et de son
intelligence ; petit à petit on lui laisse prendre les initiatives
nécessaires, et obligatoirement ce dressage dure quelques mois.
Quand le chien est prêt, c'est l'aveugle qu'il faut
soumettre à un entraînement particulier. L'École comprend des chambres
pratiques pour ses élèves, et l'aveugle doit rester dans cet établissement
pendant quelque temps.
Dès son arrivée, on lui choisit un chien qui ne le quitte
plus et qui partage sa chambre, le fait dormir au pied de son lit, ne sort pas
sans lui, lui donne à manger, lui parle et le caresse ; ainsi, après
quelques jours de vie commune, ils deviennent de grands amis, et les sorties
éducatrices commencent.
Dans le film, le chien portait un harnais qui lui enserrait
les côtes ; ce harnais était surmonté d'une longue poignée rigide en forme
d'anse, suffisamment haute pour que l'aveugle puisse la saisir commodément
d'une main, afin qu'il sente toutes les impulsions données par le corps du
chien quand celui-ci s'arrête, ralentit, tourne ou change totalement de
direction.
Quand le chien est bien mécanisé, et que l'homme a acquis
suffisamment de sensibilité, il doit réaliser immédiatement la direction qu'il
doit suivre d'après les mouvements du chien. On nous montrait qu'accompagné par
un moniteur l'aveugle partait avec son chien, le tenant par la poignée, et il
lui faisait faire ses exercices habituels, simples au début et progressivement
plus difficiles, allant jusqu'à la traversée d'une ville à circulation intense
et au milieu d'obstacles les plus divers.
À mesure que le contact s'établissait entre l'homme et le
chien, la surveillance se relâchait et, après trois mois environ d'exercices
quotidiens, l'aveugle partait seul guidé par son chien, il n'avait plus besoin
d'être accompagné par un être humain.
Je crois avoir répondu à la demande de quelques lecteurs de
cette revue en leur disant ce que je sais sur ce dressage particulier. En
Allemagne, où tous les dressages sont très poussés, il doit y avoir également
des enseignements intéressants à connaître.
Un bon sujet peut être extrêmement utile à un aveugle, car,
fidèle et dévoué, le chien ne se lassera pas de son rôle ; il ne
s'impatientera jamais contre celui qu'il a pour maître ; bien au
contraire, c'est avec joie qu'il se rangera à ses côtés pour se faire mettre
son harnais; le chien subira perpétuellement sa domination, surtout s'il a su
s'en faire aimer.
Nous devons préconiser et multiplier les centres de
dressage, car, à part quelques tentatives individuelles, nous n'avons en France
qu'un centre national de dressage, à Metz, dirigé par M. Fuchs. En
Amérique, toutes les grandes villes possèdent des écoles de chiens d'aveugle.
A. PERRON.
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