Accueil  > Années 1952  > N°667 Septembre 1952  > Page 531 Tous droits réservés

Le chien d'aveugle

Depuis quelque temps, en France, nous commençons à nous intéresser au dressage du chien pour la conduite des aveugles. Nous sommes débutants en cette matière à côté d'autres pays, car les Américains et les Allemands, pour ne citer que ceux-ci, sont bien en avance sur nous.

Ce dressage est évidemment délicat, et il demande à être parfait, puisqu'un individu qui ne voit rien de ce qui l'entoure se trouve livré au bon sens d'un chien et à son initiative.

Cette entreprise, cette œuvre peut-on dire, est magnifique en elle-même ; si l'expérience qui est tentée réussissait et se vulgarisait, elle doterait l'aveugle d’yeux qui voient pour lui avec une constance illimitée, et il se déplacerait sans risques avec une certaine indépendance.

À condition, bien entendu, d'aimer le chien et de le comprendre, en dehors d'un guide, l'aveugle devrait trouver dans la présence de ce compagnon un grand réconfort, il ne se sentirait plus tributaire de quelqu'un. « Lui et son chien » ne feraient qu'un, et, malgré que ce soit le chien qui possède la vue, celui-ci restera toujours soumis à son maître, qui, tout en étant protégé, aurait l'impression d'être plus fort, plus libre. Ce côté moral n'est pas négligeable.

Les aveugles sont rarement moroses, c'est un fait ; ils font un effort incessant, pour s'intéresser à des choses qui leur sont étrangères ; souvent nous avons l'occasion de constater combien il leur faut de courage pour se lancer dans l'obscurité et garder une attitude optimiste en trébuchant.

Pour eux, le chien peut être un précieux auxiliaire, et ses ressources sont loin d'être épuisées.

En dehors des qualités de dévouement, de fidélité, d'affectueuse sollicitude dont nous parons généralement le chien, il a en plus des sens qui nous échappent, parce que nous ne les possédons pas ou que, si nous les avons, ce n'est pas au même degré que lui. Tout le monde sait que le chien est doué du sens de l'orientation et qu'il a, dans certains cas, une intuition extraordinaire qui parfois nous étonne. Il a un odorat très développé, l'ouïe très fine, et bien des effluves et des sons qui ne nous sont pas perceptibles sont analysés par lui ; mais nous ne savons pas encore dans quelles proportions exactement et jusqu'à quelles limites.

Le chien a beaucoup de mémoire, c'est d'ailleurs ce qui permet le dressage, et, quand il vit en relation incessante avec son maître, elle se développe encore et s'augmente du sens de l'observation.

Les races bergères ont au maximum le sens de la propriété et le sens des responsabilités, elles sont fréquemment employées en ce moment pour la conduite des aveugles.

Il faut, avant tout, porter son choix sur des sujets équilibrés, intelligents et sociables avec les hommes et les autres animaux.

Les qualités morales passent avant les qualités physiques, toutes les races bergères plus ou moins pures, ayant le sens inné de la protection, peuvent donner de bons résultats.

Les Airedales peuvent aussi être dressés, ainsi que les caniches et les barbets, à condition, toutefois, qu'ils atteignent une taille suffisante pour être employés utilement. Il ne faut pas non plus que le chien soit trop lourd, ni trop vif ni trop brutal.

Actuellement les préférences vont au type Berger Allemand, qui est facile à entretenir, remarquablement intelligent et de bonne taille. Les méthodes modernes de dressage exigent un chien de 55 à 60 centimètres ou légèrement au-dessus.

J'ai eu l'occasion de voir, cet hiver, un film documentaire américain sur le dressage du chien d'aveugle qui était remarquablement intéressant ; il avait été obligeamment prêté par l'ambassade des États-Unis au Comité national du chien d'aveugle.

Le film qui nous était présenté sur les dernières méthodes de dressage américaines était très bien réalisé. On nous montrait, au début, l'École de dressage comprenant de vastes jardins et des bâtiments modernes destinés à loger les aveugles qui y prennent pension.

Dans des chenils bien compris, les chiens vivaient en groupe, assez nombreux, afin d'éprouver tout d'abord leur degré de sociabilité, puis, à partir de l'âge de quinze à dix-huit mois, on commençait à les dresser. Ce dressage spécial est fait par un homme du chenil, a qui il est facile de se rendre compte assez rapidement de la souplesse de caractère du sujet et de son intelligence ; petit à petit on lui laisse prendre les initiatives nécessaires, et obligatoirement ce dressage dure quelques mois.

Quand le chien est prêt, c'est l'aveugle qu'il faut soumettre à un entraînement particulier. L'École comprend des chambres pratiques pour ses élèves, et l'aveugle doit rester dans cet établissement pendant quelque temps.

Dès son arrivée, on lui choisit un chien qui ne le quitte plus et qui partage sa chambre, le fait dormir au pied de son lit, ne sort pas sans lui, lui donne à manger, lui parle et le caresse ; ainsi, après quelques jours de vie commune, ils deviennent de grands amis, et les sorties éducatrices commencent.

Dans le film, le chien portait un harnais qui lui enserrait les côtes ; ce harnais était surmonté d'une longue poignée rigide en forme d'anse, suffisamment haute pour que l'aveugle puisse la saisir commodément d'une main, afin qu'il sente toutes les impulsions données par le corps du chien quand celui-ci s'arrête, ralentit, tourne ou change totalement de direction.

Quand le chien est bien mécanisé, et que l'homme a acquis suffisamment de sensibilité, il doit réaliser immédiatement la direction qu'il doit suivre d'après les mouvements du chien. On nous montrait qu'accompagné par un moniteur l'aveugle partait avec son chien, le tenant par la poignée, et il lui faisait faire ses exercices habituels, simples au début et progressivement plus difficiles, allant jusqu'à la traversée d'une ville à circulation intense et au milieu d'obstacles les plus divers.

À mesure que le contact s'établissait entre l'homme et le chien, la surveillance se relâchait et, après trois mois environ d'exercices quotidiens, l'aveugle partait seul guidé par son chien, il n'avait plus besoin d'être accompagné par un être humain.

Je crois avoir répondu à la demande de quelques lecteurs de cette revue en leur disant ce que je sais sur ce dressage particulier. En Allemagne, où tous les dressages sont très poussés, il doit y avoir également des enseignements intéressants à connaître.

Un bon sujet peut être extrêmement utile à un aveugle, car, fidèle et dévoué, le chien ne se lassera pas de son rôle ; il ne s'impatientera jamais contre celui qu'il a pour maître ; bien au contraire, c'est avec joie qu'il se rangera à ses côtés pour se faire mettre son harnais; le chien subira perpétuellement sa domination, surtout s'il a su s'en faire aimer.

Nous devons préconiser et multiplier les centres de dressage, car, à part quelques tentatives individuelles, nous n'avons en France qu'un centre national de dressage, à Metz, dirigé par M. Fuchs. En Amérique, toutes les grandes villes possèdent des écoles de chiens d'aveugle.

A. PERRON.

Le Chasseur Français N°667 Septembre 1952 Page 531