Si les mois les plus chauds de l'été demeurent propices à la
pêche des crustacés, septembre, que voici, commence à favoriser les amateurs de
poissons.
Il n'est pas encore question, sans doute, des cordes ou des
lignes dormantes, ces procédés ne donnant d'excellents résultats qu'à partir
des premières nuits froides et surtout des premières gelées blanches. Du moins
peut-on consacrer à la pêche aux poissons l'un de ces vieux systèmes primitifs
et spécifiquement aratoires, par paradoxe, qui s'échelonnent de la pelle au
râteau, en passant bien entendu par la charrue.
Qu'on ne vienne point se récrier devant l'énoncé de
semblables instruments agricoles ! Qu'on ne m'accuse pas non plus de
déplorable plaisanterie ! Les vieux bassiers savent depuis toujours, cela
remonte à la nuit des temps, que beaucoup de poissons côtiers, plats ou ronds,
se nichent au creux des sables, dès le reflux, ou s'y couvrent d'un tapis
limoneux, et que l'un des moyens les plus efficaces de les en déloger, c'est de
retourner leur gîte à coups de bêche, exactement comme l'on défouirait des vers
de terre et pour la même raison. Dès lors qu'il ne s'agit plus, en effet, de
capturer des poissons se déplaçant au sein des flots, auquel cas le filet reste
l'appareil idéal, qu'il soit question de chalut, de senne ou de dranet — l'appareil
idéal avec la ligne armée d'un hameçon bouetté, — dès lors que le poisson
se « terre » dans le sable, il semble des plus logiques d'aller l'y
chercher comme on le ferait d'une patate ou d'une quelconque racine, et précisément
avec les mêmes outils, fourche, pelle ou râteau.
L'emploi de ces instruments ruraux n'étonnera du reste que
des citadins. Tous les riverains des côtes de France, si « terriens »
qu'ils se trouvent, considèrent en quelque sorte les « découvertes » du
rivage comme un prolongement naturel de leurs champs, aussitôt que la mer s'en
est retirée, et ont coutume de venir continuer à y exercer leur activité agricole.
Ils s'y rendent en banneau à chevaux, pour extraire puis remonter ce si
précieux fumier que constituent les longues algues et tous les varechs odorants
de la sous-mer.
Ils vont, de même, pêcher la moule à pleines fourchées, sur
quelque plateau rocheux émergé.
Rien d'étonnant par conséquent à ce que nos paysans-marins
en soient tout naturellement amenés à transposer leurs outils agricoles et à
les accorder, pourrait-on dire, au mode neptunien.
On sait déjà que la longue perche souple à gauler les noix
ou les pommes s'ajuste avec profit au double fer de la fouëne et guide
utilement ses dents acérées jusqu'au fin fond des trous à homards et à congres.
On sait aussi que le cordeau de jardinage peut, à la
rigueur, servir à l'installation des lignes de sable, dites dormantes, en vue
d'y capturer les poissons montant avec le flot.
On n'ignore pas davantage que la fourche et la pelle, voire
le louchet, conviennent parfaitement au défouissage des lançons et des
équilles. Ces ammodytes venant frayer dans les sables à gros grain des
estuaires, notamment en septembre, il est rationnel que l'on tente de les en arracher
en travaillant les ridains à larges pelletées ou à petits coups, seul ou en
équipe. Ce procédé de pêche, auquel on substitue parfois le soc de charrue, aux
mêmes fins, donne des résultats surprenants qui se chiffrent souvent par des
dizaines de kilogrammes de poisson. Il a été longuement exposé ici, naguère; je
n'y reviendrai donc point.
Il n'est pas jusqu'au râteau dont l'emploi maritime ne
présente parfois un très vif intérêt. Et c'est sur ce peigne emmanché que
j'insisterai davantage aujourd'hui.
Il est certes naturel, d'abord, que l'on utilise la
ratissoire pour dépouiller les sables où se cachent les hénons et les coques,
mollusques de qualité. Tout aussi naturel que l'on use du même râteau, retourné
et tête en bas, pour s'en servir, comme d'une raclette de croupier, à entasser
les vanneaux ou flions, que l'on a préalablement fait jaillir du sable par un piétage
opportun, de manière à leur couper tout chemin de retraite vers les fonds
humides.
Mais on songerait moins aisément peut-être à utiliser le
râteau en guise d'appareil détecteur. C'est cependant le cas qui se produit
dans certaines régions côtières, singulièrement sur les côtes sableuses de très
faible dénivellation et de sable à grain fin.
Sur ces étendues plates et vastes, où l'eau s'endort par
fins de grandes marées, le poisson plat : sole, plie, carrelet ou picaud,
limande aussi parfois, se laisse facilement surprendre par un reflux souvent
rapide. Privé de tout étier naturel ou de fonds propices à sa fuite vers la
haute mer, coupé de cette route de salut par des bâches ou des diguettes
naturelles, le poisson plat prend alors le sage parti de s'« accroupir »,
comme disent certains bassiers, de s'appuyer de tout son long sur le sable
vaseux et de s'y laisser recouvrir de limon. L'animal favorise d'ailleurs ce
camouflage par certains battements ondulés de ses nageoires latérales, je l'ai
souvent constaté. Et, en très peu de temps, il parvient à faire littéralement
corps avec le sable, dont ne le distingue qu'une très légère renflure, souvent
imperceptible sur un sol sillonné de minuscules ridains.
On conçoit tout l'intérêt qu'offre alors une telle source de
pêche pour un bassier, car il lui est loisible ainsi de s'approvisionner à bon
compte de fort belles pièces, sans hameçon ni ligne, ni filet, et rien qu'en se
baissant, à condition seulement de savoir déterminer les points où se cache le
poisson plat.
C'est alors qu'intervient le providentiel râteau. On emploie
dans ce but le râteau de jardinage à long manche ou le râteau à faner, ou encore
un appareil de bois rappelant la forme essentielle du râteau et constitué d'un
large peigne, de quelque 30 à 50 centimètres de long, hérissé d'une dizaine de
pointes arrondies et d'égale hauteur. Il n'est pas nécessaire d'armer le peigne
d'un nombre excessif de dents, puisque celles-ci n'auront d'autre mission que
d'entrer en contact léger avec le poisson camouflé.
Le bassier pousse alors devant lui ce râteau, toujours
longuement emmanché, et s'en sert pour prospecter de larges zones de sable
humide, encore toutes ruisselantes du reflux. Dès que le poisson tapi subit le
désagréable picotement d'une des dents du peigne, il ne peut s'empêcher de
révéler sa présence par un réflexe de défense, en agitant ses nageoires
latérales. Ce battement suffit à causer sa perte. Et il ne reste plus au
pêcheur qu'à le capturer d'une main preste et à le jeter dans le panier
mannequin.
Il arrive pourtant que le poisson parvienne à s'enfuir, ou
tente de le faire, de quelques bonds désespérés. Mais, toute route barrée, il
s'épuise vite et échoue rapidement sur quelque butte vraiment au sec.
La pêche au râteau se pratique, dans le courant du mois qui
s'ouvre, sur de nombreux points du littoral occidental du Cotentin, et
peut-être aussi ailleurs. Rien n'empêche quiconque d'user efficacement de ce
procédé facile, dès qu'il s'agit d'une région sableuse émergée, plate, unie et
ruisselante, et d'un temps de nouvelle lune, lors d'une très forte marée
surtout ; les poissons se laissent ainsi plus couramment surprendre par la
rapide fuite des eaux. Les périodes chaudes ou à tendances orageuses, comme
cela semble être le cas cette année, se montrent en général très favorables à
ce mode de pêche. Mais ce n'est point là une loi absolue, le râteau pouvant
être utilement employé par n'importe quel temps, pourvu que le coefficient de
marée reste extrêmement élevé.
Maurice-Ch. RENARD.
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