Il est absolument impossible de comparer les performances
des coureurs professionnels à celles des cyclotouristes pour la raison bien
simple que le mot cyclotouriste ne veut rien dire et qu'on range dans cette
catégorie aussi bien un homme comme Chétiveaux, abattant son Paris-Brest et
retour en deux jours et deux nuits, qu'un brave et courageux vétéran qui en met
quatre ou davantage, ce qui, déjà, n'est pas donné à tout le monde, car bien
d'autres « cyclotouristes » ont la sagesse de ne pas même tenter pareille
épreuve.
Les écarts de temps entre les professionnels, voire entre
les gars de village qui s'empoignent sur 100 kilomètres qu'ils couvrent à 35 de
moyenne, sont extrêmement faibles.
Les écarts qui séparent les cyclotouristes sur les quatre
cols pyrénéens ou les deux cols alpins, bien plus durs, se chiffrent par
plusieurs heures.
Dans la simple grimpée de l'Aubisque, il y a ceux qui
veulent en découdre et qui mettent cinquante minutes à escalader les 12
kilomètres à 8 p. 100 (je doute que les professionnels puissent mieux
faire) ; il y a les « chevronnés » qui mettent une heure ;
il y a les courageux qui mettent une heure quinze, une heure vingt, et enfin
les traînards, les essoufflés, ou les sages, qui arrivent une bonne demi-heure
plus tard et qui ont grimpé à 7 kilomètres à l'heure.
Tous s'intitulent cyclotouristes et n'ont qu'un trait
commun, c'est qu'ils ne gagnent pas un sou. Ajoutons qu'ils roulent avec
bagages (de 2 à 7 kilos !) et, naturellement, se sont (ou non) entraînés
sans méthode, sans direction, parfois viennent de descendre leur vélo du
grenier pour se lancer dans de longues et dures étapes.
J'admets toutefois, le cas est extrêmement rare, que le jour
où l'un de nos as (ce fut le cas de Billet qui, en 1946, avait couvert
Luchon-Pau à 25 de moyenne et battu le record de Vietto dans l'ascension du
Ventoux) s'avise de « tourner pro », il se noie dans la masse
et ne s'impose pas à l'attention des foules.
Il est tellement vrai que la désignation de cyclotouriste ne
veut rien dire que quelques sociétés, presque toutes parisiennes, ont créé une
section de cyclo-sportifs. Voilà un mot qui dit ce qu'il veut dire. Il ne
s'agit plus du tout de tourisme mais de sport, de temps chronométrés, allant
des distances moyennes aux longues distances et même aux vingt-quatre heures
sur piste sans entraîneur ! (Voir Raffaitin et son record sur la piste de
la Croix de Berny.)
Dans ce cas, les cyclo-sportifs subissent de véhéments
rappels à l'ordre, mais ne paraissent pas, jusqu'à présent, fléchir sous le
poids de l'anathème lancé par la F. F. C. T.
Pour moi, sans applaudir à un record contre la montre sur
vingt-quatre heures, pas plus qu'à l'empoignade de la journée Velocio,
d'ailleurs, et ne m'étant jamais dérangé pour aller applaudir nos « vrais »
cyclo-sportifs à Chanteloup, j'ai toujours dit que le cyclotourisme mourrait de
sa belle mort, et plus vite qu'on ne le croit, s'il redevenait conforme à son
étymologie et ne se recrutait que parmi les « amis de la nature »
décidés à ne pas se fatiguer, en donnant leur « amour du paysage »
comme excuse ou prétexte à leur allure de tortue.
Entre eux et les cyclo-sportifs se placent les grands
randonneurs et diagonalistes qui joignent Brest à Menton ou Dunkerque à Hendaye
en un temps remarquable sans que la moyenne horaire, calculée du départ à
l'arrivée, soit très élevée.
Certain sexagénaire niçois n'a-t-il même déjà lancé la mode
de diagonales successives aboutissant à une sorte de triangulation de la France
en trois étapes !
On le voit, la F. F. C. T. possède une telle
gamme de pédaleurs qui revendiquent le titre de cyclotouristes, qu'on s'y perd
et qu'aucune comparaison n'est possible ni entre les uns et les autres, ni
entre eux tous et les coureurs professionnels.
Primitivement, il ne s'agissait que de concentration, et le
temps « ne faisait rien à l'affaire » comme dit Alceste au poétaillon
qui lui présente un méchant sonnet. Certes, la performance était déjà dans
l'air, mais le chronomètre ne jouait aucun rôle dans nos réunions. Il n'en est
plus de même, et, loin de le déplorer, je m'en réjouis pour cette raison, je le
répète, que c'est le seul moyen d'attirer et de retenir les jeunes que de faire
appel à leur besoin inné, naturel, d'en découdre de temps en temps ; mais
ceux-là n'ont de cyclotouriste que le nom bien que se prévalant non d'un titre
qui n'en est pas un, mais de la catégorie.
J'attends le jour où un véritable coureur professionnel (non
de toute première classe évidemment) s'alignera avec nos as du cyclotourisme
pour la grimpée du Puy de Dôme ou du Ventoux ou pour le brevet des Alpes. Je ne
serais pas du tout surpris qu'il se fasse « coiffer » par
quelques-uns de nos cyclo-champions, mais par un sur cent, ce qui me permet de
conclure : la comparaison est impossible en bloc, mais elle comporte,
comme toutes lois, de très surprenantes exceptions.
Henry DE LA TOMBELLE.
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