Accueil  > Années 1952  > N°667 Septembre 1952  > Page 540 Tous droits réservés

Comparaison impossible

Il est absolument impossible de comparer les performances des coureurs professionnels à celles des cyclotouristes pour la raison bien simple que le mot cyclotouriste ne veut rien dire et qu'on range dans cette catégorie aussi bien un homme comme Chétiveaux, abattant son Paris-Brest et retour en deux jours et deux nuits, qu'un brave et courageux vétéran qui en met quatre ou davantage, ce qui, déjà, n'est pas donné à tout le monde, car bien d'autres « cyclotouristes » ont la sagesse de ne pas même tenter pareille épreuve.

Les écarts de temps entre les professionnels, voire entre les gars de village qui s'empoignent sur 100 kilomètres qu'ils couvrent à 35 de moyenne, sont extrêmement faibles.

Les écarts qui séparent les cyclotouristes sur les quatre cols pyrénéens ou les deux cols alpins, bien plus durs, se chiffrent par plusieurs heures.

Dans la simple grimpée de l'Aubisque, il y a ceux qui veulent en découdre et qui mettent cinquante minutes à escalader les 12 kilomètres à 8 p. 100 (je doute que les professionnels puissent mieux faire) ; il y a les « chevronnés » qui mettent une heure ; il y a les courageux qui mettent une heure quinze, une heure vingt, et enfin les traînards, les essoufflés, ou les sages, qui arrivent une bonne demi-heure plus tard et qui ont grimpé à 7 kilomètres à l'heure.

Tous s'intitulent cyclotouristes et n'ont qu'un trait commun, c'est qu'ils ne gagnent pas un sou. Ajoutons qu'ils roulent avec bagages (de 2 à 7 kilos !) et, naturellement, se sont (ou non) entraînés sans méthode, sans direction, parfois viennent de descendre leur vélo du grenier pour se lancer dans de longues et dures étapes.

J'admets toutefois, le cas est extrêmement rare, que le jour où l'un de nos as (ce fut le cas de Billet qui, en 1946, avait couvert Luchon-Pau à 25 de moyenne et battu le record de Vietto dans l'ascension du Ventoux) s'avise de « tourner pro », il se noie dans la masse et ne s'impose pas à l'attention des foules.

Il est tellement vrai que la désignation de cyclotouriste ne veut rien dire que quelques sociétés, presque toutes parisiennes, ont créé une section de cyclo-sportifs. Voilà un mot qui dit ce qu'il veut dire. Il ne s'agit plus du tout de tourisme mais de sport, de temps chronométrés, allant des distances moyennes aux longues distances et même aux vingt-quatre heures sur piste sans entraîneur ! (Voir Raffaitin et son record sur la piste de la Croix de Berny.)

Dans ce cas, les cyclo-sportifs subissent de véhéments rappels à l'ordre, mais ne paraissent pas, jusqu'à présent, fléchir sous le poids de l'anathème lancé par la F. F. C. T.

Pour moi, sans applaudir à un record contre la montre sur vingt-quatre heures, pas plus qu'à l'empoignade de la journée Velocio, d'ailleurs, et ne m'étant jamais dérangé pour aller applaudir nos « vrais » cyclo-sportifs à Chanteloup, j'ai toujours dit que le cyclotourisme mourrait de sa belle mort, et plus vite qu'on ne le croit, s'il redevenait conforme à son étymologie et ne se recrutait que parmi les « amis de la nature » décidés à ne pas se fatiguer, en donnant leur « amour du paysage » comme excuse ou prétexte à leur allure de tortue.

Entre eux et les cyclo-sportifs se placent les grands randonneurs et diagonalistes qui joignent Brest à Menton ou Dunkerque à Hendaye en un temps remarquable sans que la moyenne horaire, calculée du départ à l'arrivée, soit très élevée.

Certain sexagénaire niçois n'a-t-il même déjà lancé la mode de diagonales successives aboutissant à une sorte de triangulation de la France en trois étapes !

On le voit, la F. F. C. T. possède une telle gamme de pédaleurs qui revendiquent le titre de cyclotouristes, qu'on s'y perd et qu'aucune comparaison n'est possible ni entre les uns et les autres, ni entre eux tous et les coureurs professionnels.

Primitivement, il ne s'agissait que de concentration, et le temps « ne faisait rien à l'affaire » comme dit Alceste au poétaillon qui lui présente un méchant sonnet. Certes, la performance était déjà dans l'air, mais le chronomètre ne jouait aucun rôle dans nos réunions. Il n'en est plus de même, et, loin de le déplorer, je m'en réjouis pour cette raison, je le répète, que c'est le seul moyen d'attirer et de retenir les jeunes que de faire appel à leur besoin inné, naturel, d'en découdre de temps en temps ; mais ceux-là n'ont de cyclotouriste que le nom bien que se prévalant non d'un titre qui n'en est pas un, mais de la catégorie.

J'attends le jour où un véritable coureur professionnel (non de toute première classe évidemment) s'alignera avec nos as du cyclotourisme pour la grimpée du Puy de Dôme ou du Ventoux ou pour le brevet des Alpes. Je ne serais pas du tout surpris qu'il se fasse « coiffer » par quelques-uns de nos cyclo-champions, mais par un sur cent, ce qui me permet de conclure : la comparaison est impossible en bloc, mais elle comporte, comme toutes lois, de très surprenantes exceptions.

Henry DE LA TOMBELLE.

Le Chasseur Français N°667 Septembre 1952 Page 540