Depuis vingt ans, on est frappé et un peu « vexé »
de constater que les athlètes de l'Amérique du Nord remportent, à eux seuls,
les trois quarts des premières places et des accessits.
Certes, il y a à cette écrasante supériorité une raison qui
constitue pour nous une excuse valable. En effet, les États-Unis d'Amérique,
soit la moitié d'un continent, sont réunis sous les mêmes couleurs nationales,
sous le même drapeau. Ils sélectionnent leur équipe olympique dans une
population de plus de 100 millions d'habitants. Alors que les équipes de
France, de Suède ou de Finlande n'ont pour recrutement possible que la limite
de leurs frontières et de leur population. Si les quatre ou cinq grandes
nations sportives d'Europe occidentale ou orientale ne constituaient qu'une
seule équipe, comme le font les quarante-huit États de l'Amérique du Nord, la
balance serait mieux équilibrée le jour de la « distribution des prix »,
et la disproportion moins flagrante.
Mais, même si cette égalité au départ était réalisée, les
États-Unis se classeraient quand même largement les premiers, ce qui prouve
qu'il existe, à leur supériorité (tout au moins en athlétisme pur), d'autres
raisons, dont la principale est dans leur organisation.
Non seulement l'Amérique du Nord est une race « jeune »,
mais elle est une race forte et dynamique du fait des croisements et des
métissages qui sont à son origine et d'une immigration constante, mais
sélectionnée avec sévérité.
Et, surtout, la place donnée à l'éducation physique est
beaucoup plus considérable que chez nous, parce qu'elle s'adresse à tous les
milieux. On peut même penser que, dans l'Université et à tous les échelons de
la scolarité, même (et surtout) dans l'enseignement supérieur et les grandes
Écoles, elle occupe dans l'emploi du temps et dans les préoccupations de la
jeunesse américaine une place qui nous semblerait exagérée si les faits ne nous
démontraient que cette jeunesse trouve quand même le temps de poursuivre des
études efficaces, puisque l'industrie et la technique, outre-Atlantique, sont
aussi florissantes que les stades et que les découvertes scientifiques nous
arrivent de là-bas aussi nombreuses et aussi impressionnantes que les records
du monde d'athlétisme.
Ce qui tend à démontrer que, même si elle choque parfois nos
vieilles conceptions, la méthode n'est pas si mauvaise, en cette ère nouvelle
où seuls comptent les résultats pratiques dans l'échelle des valeurs.
Or les principales conditions de cette organisation sont les
suivantes :
À côté des clubs et des ligues régionales qui ressemblent
aux nôtres, avec cette différence que le grand public s'intéresse à leurs
manifestations dans une proportion et avec un enthousiasme extraordinaires, il
existe dans chaque établissement scolaire et à tous les degrés une organisation
où rien n'est négligé, qui s'adresse à la fois au développement physique et à
la formation du caractère. Il existe un aspect du tempérament américain assez
peu connu au dehors : l'empressement à coopérer, à travailler ensemble
dans un but déterminé, aspect dû en grande partie à l'amour des sports. En tant
qu'éducateur, on peut même estimer que le temps consacré aux sports dans
beaucoup d'universités américaines est exagéré : deux à trois heures par
jour, et que, dans ces conditions, la formation intellectuelle et spirituelle
des élèves ne tient pas la première place dans leur vie, et il arrive souvent
que la réputation d'une école soit due davantage à ses réussites sportives qu'à
la qualité de son standing intellectuel. En outre, la nécessité d'avoir des
équipes victorieuses entraîne, dès l'âge scolaire, certaines pratiques fort
voisines du professionnalisme, par exemple sous forme de bourses d'études, ou
encore de primes importantes, en espèces, offertes par des groupes d'anciens
élèves agissant envers l'équipe de leur école absolument comme le font les
supporters d'un club professionnel chez nous. Si bien que la définition
d'« amateur », base de l'olympisme, n'a plus guère de sens. On s'en
doutait un peu depuis quelque temps déjà !
Il est évident que, dans ces conditions, une nation déjà
avantagée par la masse de recrutement a toute facilité pour présenter dans les
compétitions internationales des sélections de premier ordre. Et, d'ailleurs,
nos amis américains, loin de s'émouvoir des objections ci-dessus, estiment que
ce système permet à beaucoup de jeunes gens de pouvoir faire des études qu'ils
n'auraient pu faire sans ces bourses ou autres avantages et que, si cette
conception entraîne dans certains cas des risques, ils valent la peine d'être
courus !
Nous persistons à penser, nous qui, depuis trente ans, avons
combattu pour faire aimer et adopter le sport par l'Université, que cet amour
doit avoir des limites, qui se fixent exactement au moment où l'activité
sportive du scolaire ou de l'étudiant prendrait la priorité sur ses études
intellectuelles ou spirituelles.
Mais il est évident que, sur le plan très particulier de la
préparation olympique, cette situation privilégiée explique la suprématie
manifeste des athlètes américains sur ceux de nos chers vieux pays latins, où
notre amour du sport ne se croit pas déshonoré s'il se contente, dans les
programmes universitaires et dans la formation de la jeunesse, de la seconde
place.
Dr Robert JEUDON.
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