Un éditorial récent de la revue Plein air-Camping
a attiré mon attention. Dans cet article, M. Susse, directeur de la revue,
pose la question des « vacanciers ».
Mais, me direz-vous avant tout, que signifie ce néologisme
plus ou moins barbare ? Eh bien ! c'est le nom qu'ont donné les
campeurs confirmés à tous ceux qui depuis deux ou trois ans ont décidé de
s'adonner au camping pendant les vacances. Y a-t-il dans ce terme une nuance
quelconque de réprobation ? Reconnaissons avec franchise qu'il faut répondre
par l'affirmative dans le cas de certains campeurs exclusifs. Pour la majorité,
cependant, ce terme de « vacanciers » n'est qu'une expression
nécessaire pour faire une distinction entre le vrai campeur et le campeur de
vacances.
Pour le campeur, je l'ai dit ici maintes fois, le camping
est plus que le fait de coucher sous la tente. Pour lui, le camping est non
seulement un mode de vie en plein air, mais un état d'esprit assez complexe
pour le profane. Le campeur communie avec la nature : il aime les plantes,
les arbres, les bêtes ; il aime le soleil et la pluie, la solitude de la
forêt et la rudesse d'un site sauvage. Peu lui importe que certain confort lui
soit refusé. Il trouve même la joie dans l'effort à vaincre, dans les
intempéries à surmonter, dans la recherche de quelque chose de nouveau. La
découverte le passionne aussi, et il est bien rare qu'un campeur ne s'intéresse
pas à une science naturelle ou d'observation. Tel sera un mycologue averti, tel
un zoologue amateur, tandis qu'un autre profitera de ses sorties pour étudier
géographie, géologie, histoire, folklore, architecture. Ou bien, la joie de
l'effort l'emportant, il sera rochassier, randonneur, spéléologue. Le campeur,
même sauvage, pratiquera avec les autres campeurs un esprit de compréhension et
d'amitié mutuelle, tellement affirmé dans certains cas que deux vrais campeurs,
même de pays ou de milieux différents, se comprendront instantanément et seront
une paire d'amis en quelques minutes.
Car le campeur, s'il aime avant tout la nature, s'est forgé
un esprit large et altruiste. Il aime trop la liberté et le calme pour ne pas
respecter la liberté de son voisin et pour éviter de troubler le silence et le
repos de ses coéquipiers. Un camp d'un petit groupe de campeurs est un lieu de
repos où brille la flamme d'une pensée commune et d'une amitié affermie.
Peut-on dire la même chose en ce qui concerne l'endroit
préféré des vacanciers, c'est-à-dire les camps collectifs permanents et
organisés (!) qui ont poussé depuis deux ans comme champignons après l'orage.
En toute sincérité, non ...
Dans la plupart des cas, le vacancier couche sous la tente
pour réaliser une économie. C'est là, certes, un sentiment bien normal, et ce
n'est pas moi, qui ai tant fait pour amener la jeunesse vers le plein air, qui
doit m'en plaindre ; car, après tout, le vacancier vit au plein air.
Mais ce que le campeur lui reproche, c'est de n'avoir pas
compris que le camping était un tout, et qu'il ne suffisait pas de coucher
dehors pour se dire campeur. J'ai eu l'occasion de visiter certains camps de
vacances permanents, j'y ai rencontré, hélas ! tous les petits défauts de
la vie quotidienne : papotages, désir d'étonner son voisin, égoïsme
féroce, aucun respect pour le repos d'autrui. Rentrées ou départs bruyants du
camp à toutes heures du jour et même de la nuit, phonos claironnants, radios
déchaînées, etc., et, comme dans la vie de chaque jour, joie de ne pas suivre
un règlement de camp rédigé pourtant dans l'intérêt général. Et comme ces camps
sont souvent, hélas ! archi-bondés, les tentes accolées les unes aux
autres, les tendeurs enchevêtrés, on conçoit ce que peut être la promiscuité de
pareils entassements. Si l'on ajoute que bien des vacanciers, toujours dans le
même souci louable de faire des économies, ont dû réaliser ces dernières en
fabricant un matériel de fortune, en achetant un matériel non approprié au
camping, on conçoit que l'aspect de certains camps de vacances ressemble bien
plus à l'ancienne zone qu'à une réunion d'adeptes de plein air.
Est-ce là une situation insurmontable ? Et le fossé
léger qui sépare campeurs de vacanciers ira-t-il en s'approfondissant ? Je
ne le crois pas. Et je me rallie volontiers au titre de l'éditorial de Jean
Susse cité plus haut : « Les vacanciers ... ces futurs campeurs »,
car je crois qu'on peut diviser les vacanciers en deux groupes : il y a
d'abord la catégorie, assez nombreuse, de ceux qui, lorsque les circonstances
économiques s'amélioreront, retourneront avec joie vers la petite auberge
accueillante et sympathique, et dans cette catégorie il y a beaucoup de femmes,
mères de famille ou maîtresses de maison, qui seront heureuses à nouveau de ne
plus penser au menu quotidien et à la cuisine de chaque jour. Il y a ensuite
ceux — les moins nombreux je pense — qui resteront toujours des « vacanciers »
farouches et irréductibles. Qu'on se rassure, il y aura toujours pour eux les
camps qu'ils aiment ; et puis, comme dit Susse, il y a ceux — également
très nombreux — qui peu à peu se sentiront attirés par le vrai camping, et
qui, séparés des foules, reviendront peu à peu vers les joies du camping pur.
Et il ne m'étonnerait pas qu'un jour un ancien « vacancier »
nous annonce qu'il a découvert un nouveau mode de camping : la randonnée
active ou le camp solitaire ! Ce jour, les anciens « vacanciers »,
devenus des néophytes campeurs, seront souvent les plus ardents propagandistes
du camping, du pur camping. Cela n'est pas pour nous déplaire, et nous leur
ouvrons largement les bras.
J.-J. BOUSQUET.
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