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La surproduction vinicole

Il y a, en France, surproduction du vin, du moins les statistiques nous en informent. Celles-ci, si souvent contestées, pourraient bien, pour une fois, être exactes.

En effet, tous ceux qui vivent du vin savent bien que, depuis un certain nombre de mois, le marché est anormal ; il boude et manque de demandes importantes.

En somme, malgré les maladies, les accidents météorologiques, etc., la production dépasse la consommation, exportations comprises.

Quelle en est la cause ? Il n'y a pas une cause, mais des causes, qui peuvent se résumer par le mot évolution.

Il y a cinquante ans, les pays qui étaient importateurs de vins sont maintenant exportateurs ; citons en premier lieu ceux de l'Amérique latine, dont les vignobles ont été constitués, pour la plupart, par des Français. Ainsi l'Argentine, le Chili, pour ne citer que ces deux-là, ont abandonné le rôle d'acheteur pour celui de vendeur.

Tous les pays de l'Europe centrale et méridionale se suffisent à eux-mêmes. Il en est de même des vieux vignobles du bassin méditerranéen dans lequel ceux du Nord-Afrique ont connu depuis un demi-siècle un développement considérable.

On pourrait comprendre dans ce même bassin les vignobles du Caucase, dont l'âge serait fort ancien si on s'en rapporte aux écrits de la Bible ; celle-ci nous apprend que la fameuse Arche s'est posée sur le mont Ararat caucasien, après le déluge, et que son capitaine Noé s'était enivré avec du vin. Il y avait donc de la vigne dans le Caucase aux temps lointain du déluge !

Nous savons enfin que la vigne est cultivée dans les cinq parties du monde.

Une autre cause est due à la diminution de notre consommation. N'en cherchons pas la raison, ce serait trop long.

Enfin, par suite de conditions très diverses, dont l'une est la production par certains pays de vins portant les appellations françaises, les exportations de nos vins fins ont diminué dans des proportions appréciables.

À ce propos, ne cherchons pas de débouchés dans les pays de l'Union française où vivent encore des races robustes. Ce serait les vouer à la destruction que de leur envoyer des boissons alcoolisées, ayant eux-mêmes tendance à en faire avec tout ce qui est sucré. Qui n'a pas entendu parler du vin de palme !

Les pouvoirs publics, en l'espèce le ministère de l'Agriculture, alertés se sont émus. On va prendre des mesures, il est question de modifier ou de compléter le Code du vin.

Toutefois les gens sensés penseront que, quelles que soient les décisions prises, le jus de raisin est destiné à être bu, fermenté ou non.

C'est aussi notre avis.

Comme la distillation et la vinaigrerie ne sont pas rentables pour les vins sains, loyaux et marchands, il y aurait lieu, à notre avis, d'employer le produit de la vigne, soit à l'état de boisson non fermentée, soit consommé tel. Nous voulons parler du moût de raisin et du raisin de table.

Le moût de raisin commercialisé est apparu sur le marché il n'y a pas tout à fait un demi-siècle. C'est en Bourgogne que les études ont été faites, en accord avec les services techniques de la Station de viticulture de Paris.

Par conséquent, ce n'est pas une nouveauté, et si beaucoup l'ignorent encore, c'est qu'ils sont mal renseignés.

Depuis, on a vu apparaître sur le marché du jus de fruits, d'agrumes en particulier, ainsi que du jus de tomates, à la mode de l'Amérique du Nord.

Loin de notre pensée de jeter l'anathème sur ces produits tous utiles à la santé, mais il nous est bien permis d'admettre que le jus de raisin, outre les vitamines et quelques produits qui disparaissent lors de la fermentation, apporte à l'économie humaine le sucre, qui est un reconstituant du muscle, ce que les sportifs savent bien.

La préparation du moût de raisin destiné à la vente demande un certain apprentissage et un important appareillage.

En premier lieu, tous les cépages ne sont pas aptes à fournir du jus de raisin pouvant être commercialisé. Il faut, en outre, assurer un pressurage rapide et continu, concentration, pasteurisation, bouteilles et remplissage aseptique, etc.

Et ne pas oublier la publicité intelligente nécessaire au succès.

La seconde utilisation de la grappe est la table ; mais attention ! il faudra qu'à l'exemple du moût la grappe soit cueillie et vendue avec toutes ses qualités de façon à être lancée sur le marché jusqu'à l'apparition des premiers fruits de printemps.

Il est donc nécessaire d'assurer à cette grappe une conservation impeccable.

Nous avons deux moyens à notre disposition.

Le premier est la conservation en cave sèche et fraîche, système Thomery ; nous en avons déjà parlé dans les colonnes du Chasseur Français.

Il consiste à cueillir une grappe saine, non pas en coupant le pédoncule, mais en sectionnant le sarment support de part et d'autre de l'attache de celui-ci, la partie inférieure étant laissée plus longue que le bout supérieur.

La coupe la plus longue est aussitôt introduite dans un récipient allongé en verre, aux trois quarts rempli d'eau pure, dans laquelle on introduit un petit morceau de charbon afin d'éviter la putréfaction de l'eau.

Les récipients en verre sont posés sur des supports en bois de façon à être légèrement inclinés. Nous avons eu l'occasion de visiter une installation de ce genre, il y a un certain nombre d'années ; celle-ci était annexée à une forcerie de raisins, actuellement disparue.

Ce procédé nécessite une surveillance constante, tant pour l'enlèvement des grains malades que pour l'état hygrométrique du local, sa désinfection, etc.

Il a, en outre, le défaut de ne pouvoir conserver un tonnage important de grappes. Malgré ceci, il peut être parfaitement rentable dans bien des cas.

Le second procédé, celui de l'avenir, est le froid obtenu par l'appareil frigorifique, car la glacière ne peut conserver le raisin destiné à être commercialisé.

Comme pour le moût de raisin, la conservation des denrées périssables par le froid n'est pas un procédé nouveau. Pour employer une locution populaire, il y a belle lurette que des bateaux frigorifiques apportent en Europe des viandes congelées provenant soit de l'Amérique du Sud, soit de l'Australie.

Il y a ainsi longtemps que l'on emploie le procédé dit la « chaîne du froid » consistant à amener du frigorifique d'origine par eau, par rail ou par route, le produit jusqu'au lieu de destination. Des études se poursuivent actuellement pour utiliser l'avion dans cette chaîne du froid.

La conservation par le froid du raisin de table demande une bonne pratique, exige une immobilisation importante de capitaux. Il ne peut donc être conçu que sur le plan coopératif ou par sociétés.

Mais, direz-vous, tout cela est bel et bon, comment voulez-vous que, du jour au lendemain, nous puissions remplacer une certaine quantité de vignobles à vin de cuve par ceux à raisin de table ?

C'est entendu, en agriculture, quelle que soit la branche envisagée, rien ne peut se faire immédiatement. Mais, en attendant, nous ne devons pas oublier que des fabriques de moût de raisin existent, et qu'il leur suffirait, s'il le fallait, d'augmenter la fabrication.

Pour le raisin de table, les forceries déjà existantes pourraient se développer en attendant la conservation par le froid.

Enfin, pourquoi les coopératives de vinification ne prendraient-elles pas la question à leur compte pour aménager à côté de leur installation existante un frigorifique monté uniquement pour le raisin de table !

Il vaut peut-être mieux étudier toutes ces questions de sang-froid qu'être obligé dans un avenir plus ou moins lointain de pratiquer l'arrachage.

V. ARNOULD,

Ingénieur agronome.

Le Chasseur Français N°667 Septembre 1952 Page 549