Accueil  > Années 1952  > N°668 Octobre 1952  > Page 582 Tous droits réservés

Attention aux poches !

Ce fut mon père qui, il y a plus d'un demi-siècle, me donna les premières leçons de port d'arme et de prudence en chasse, leçons sévères qui me revinrent toujours à l'esprit chaque fois que j'eus une arme à la main.

J'ai fait, dans ma jeunesse, près de dix années de camping, de vrai camping, celui-là, dans des pays où, par nécessité, voire simplement par habitude, chacun vit et dort armé. Au Chaco, l'indigène glisse son coutelas sous son « recado », si sa selle lui tient lieu de lit. L'exploitant forestier, dans le rancho ou sous la tente, place, en se couchant, son revolver ou son pistolet chargé sous son oreiller ; souvent même sa carabine allongée à portée de la main, entre la moustiquaire et le petit matelas de camp. De jour, revolvers et poignards ne quittent guère les ceintures.

Eh bien ! j'ai compté jadis plus de victimes causées accidentellement par la chute, le maniement ou le nettoyage des armes à feu que je n'en ai dénombré dans leur usage.

Là-bas, les leçons du chasseur prudent que fut mon père portèrent leurs fruits : jamais, en effet, je n'eus à regretter un coup prématuré, moins encore un accident. Dieu sait pourtant si j'ai grillé des cartouches au cours de mon existence !

Et pourtant, l'an dernier, je me suis révélé un bien dangereux compagnon : en effet, quelques instants après l'ouverture, j'ai failli tuer un homme.

Dans mon pays de Franche-Comté, la chasse s'était ouverte le 9 septembre : à l'aube, un brouillard dense limitait la visibilité à une demi-portée de fusil et laissait tomber une rosée qui ressemblait diablement à de la pluie. Un ami et moi nous dirigions vers Villangrette ; nous étions séparés par la brume autant que par les champs de maïs qui alternaient avec ceux de luzerne, de betteraves ou de pommes de terre. Soudain, des cris perçants et plaintifs troublèrent le silence : des vanneaux avaient passé la nuit dans ces parages. Bientôt sept de ces oiseaux passèrent à portée et trois tombèrent à mon coup de fusil.

Je les ramassai et appelai mon compagnon pour lui montrer ma prise. Un instant plus tard, nous causions à un mètre l'un de l'autre. J'avais mon fusil sous le bras droit, le canon tourné vers le sol ; de la main gauche, je tirai mon carnier pour y fourrer mes trois oiseaux tenus de ma main droite : c'est alors que claqua un coup de fusil.

Je vis mon ami couvert de la tête aux pieds par des plaques de boue projetées par la déflagration : il me regardait avec effroi. Je fus moi-même un certain temps à me demander ce qui arrivait. Lentement le doute se dissipa et je compris seulement alors que c'était bien mon fusil qui venait de tirer.

Les premiers moments de stupeur passés, ayant tâté mon camarade, m'étant tâté moi-même et constatant que nous en étions quittes l'un et l'autre pour l'émotion, je cherchai à m'expliquer ce qui venait d'arriver. Je ne trouvai rien de suspect et pensai qu'un bouton de ma veste avait dû se coincer dans le pontet et entraîner la gâchette, dans le mouvement que je fis de haut en bas avec mon arme. Mais le doute persistait.

Nous continuâmes la chasse, essayant d'oublier ce qui venait de se passer. Mais, rentré au logis, je tins à en avoir le cœur net : répétant le mouvement de remplir mon carnier, je constatai que la poche supérieure droite de ma veste, poche dans laquelle j'avais glissé trois ou quatre cartouches spéciales qui faisaient pointer, en le raidissant, l'angle du gousset, s'introduisait dans le pontet de mon fusil. À chaque mouvement de l'arme, le coup partait.

J'ai cru utile de signaler cet incident ; en effet, ces vestes des surplus américains sont très répandues à la campagne et beaucoup de chasseurs les ont adoptées. Les poches supérieures à soufflets constituent un danger, comme nous venons de le voir. Elles sont particulièrement dangereuses si elles contiennent quelques objets rigides. Il est indispensable de faire disparaître ces soufflets en faisant coudre les poches de façon qu'elles s'appliquent sur la veste et ne la débordent plus.

Rien ne doit dépasser d'une veste de chasse ; le fait d'avoir oublié ce principe bien connu a failli me faire commettre un homicide par imprudence.

Il me semble entendre encore la leçon paternelle de jadis : « Un fusil chargé, même entre des mains expertes et prudentes, est un engin de mort non seulement pour le gibier, non seulement pour ceux qui en font usage ; mais encore et surtout pour les voisins. Jamais un chasseur ne doit un instant l'oublier. »

Léon VUILLAME.

Le Chasseur Français N°668 Octobre 1952 Page 582