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Le Beagle-Harrier et son destin

Une heureuse inspiration présida à la création du beagle-harrier, chien de petite vénerie et de chasse à tir répondant aux besoins de la chasse française. Le plan était peut-être assez incertain primitivement, d'où ces réalisations allant du beagle renforcé et de trop forte taille au pseudo-harrier allégé à l'excès, dont on peut penser qu'il avait des alliances peu orthodoxes. Un grand veneur, heureusement, réalisa dès les débuts le prototype actuellement seul préconisé. Les chiens du baron Gérard, dont le modèle s'est perpétué, se présentaient sous les apparences d'un modern-harrier réduit en taille de peu et possédant l'âme du beagle. Celui-ci leur avait donné son amour de la chasse, son nez et sa gorge ; le harrier, un train supérieur et un rayon d'action plus étendu dans le « requêt ». Le modèle gros beagle s'est pourtant longtemps maintenu, d'autant que ses représentants n'étaient pas mauvais, quoique leur volume représentât un poids mort ne favorisant ni train, ni résistance. Quant aux chiens ultra-légers et plats à l'excès, ils furent toujours suspects et heureusement peu répandus.

Mais la concurrence a duré longtemps entre les deux autres modèles et, en fait, ce n'est qu'à une époque relativement récente qu'a été condamné celui du beagle géant, auquel certains éleveurs demeuraient attachés.

Enfin, l'unanimité s'est faite autour du chien extérieurement pareil au harrier, un peu moins important, mais doué de qualités supérieures, car le harrier est assez froid, a moins de nez, demande à être réuni en nombre. Dans notre pays, il convient mieux à la chasse du sanglier qu'à celle du lièvre ; c'est pourquoi il n'a jamais été très répandu parmi les amateurs pratiquant la petite vénerie ou la chasse à tir du lièvre.

Lorsqu'il fut bien entendu que le modèle orthodoxe était celui d'un gentil harrier, les responsables du destin de la race pensèrent justement que le nom de baptême n'en était pas très heureux, semblant en effet désigner un chien dont le type dominant était le beagle. Ils proposèrent celui de petit harrier. Ce fut l'occasion d'une manifestation d'inquiétude au sein de l'amateurisme, preuve que l'unanimité n'existait pas parmi les éleveurs, plusieurs s'en tenant au beagle renforcé, dont la production fut une erreur. Maintenant que l'accord s'est fait sur le modèle, le nom demeure inchangé, dont il est permis de penser qu'il n'est pas très heureux. Il y a chez nous une habitude. Dès que nous marions entre elles deux races, nous croyons de bonne foi en avoir obtenu une nouvelle à cheval sur leurs formules, d'où la faveur des noms de baptême à trait d'union. Or c'est une illusion ; tôt ou tard, et souvent très tôt, l'objet obtenu fait retour à l'un ou à l'autre ancêtre. Il n'y a pas à se dissimuler que notre beagle-harrier, dans le modèle Gérard enfin adopté, ressemble à un harrier de taille un peu réduite, ayant heureusement gagné grande part de l'âme du beagle. On dirait donc volontiers un harrier amélioré, du point de vue de la chasse française. Si le moral venait à pencher du côté harrier, ne pas se dissimuler que le retour au beagle serait à envisager. Mais il semble vraiment que la fixité de la formule est acquise et qu'il n'y ait pas de souci à en avoir.

Il est dommage, lorsqu'on est pourvu d'un auxiliaire si propre à la petite vénerie, à la chasse à tir du lièvre et de tous les autres animaux, sanglier compris, d'observer la disparition du lièvre et de l'abandon de la chasse au chien courant par les sportsmen. Elle demeure la favorite du chasseur de campagne, peu intéressé par le physique de ses chiens, issus de divers croisements, avec lesquels il ne saurait être question de sélection esthétique. La disparition du lièvre ou la renonciation à sa chasse au courant, du fait du grand nombre de fusillots sans scrupules, sont menaces assez inquiétantes pour l'avenir des races spécialisées, celle-ci comprise.

La perte en serait une calamité, car elle répond mieux que toute autre au goût maintenant général du chien de taille réduite et cependant doué de vitesse. Atteignant en moyenne 0m,45 à 0m,48, il est souvent beaucoup plus rapide que les anglo-français de 0m,50 à 0m,55 et, en outre, d'un grand fond. Dans la formule hunier avec un influx nerveux tel qu'en possèdent les chiens anglais, ces aptitudes physiques sont développées chez lui au plus haut point. Celui qui fut son réalisateur avait un moment songé, en sélectionnant sur le modèle de 0m,50, à obtenir un lot de chiens dans la voie du chevreuil. Il aurait certainement réussi à prendre avec eux, au vu de leurs allures et de l'efficacité de leur travail, de leur tenue et de leur activité dans le change.

Pour la chasse du sanglier à tir, là où on le chasse aux courants, c'est un collaborateur indiqué. Sa taille et sa vivacité le mettent largement à l'abri des mauvais coups. Courageux, il tient bien le ferme et s'en tire avec le minimum de casse. Enfin il est vite et il ne faut pas s'en plaindre, car le sanglier une fois sur pied file toujours bon train. Avec des chiens d'allure médiocre, le forlonger est inévitable. La grande distance entre poursuivi et poursuivants ne permet plus de savoir à quel passage se porter. On y parvient généralement en retard, alors que l'animal vous a devancé.

Si notre toutou n'est plus discuté pour le courre du lièvre, certains encore ne l'apprécient pas pour la chasse à tir. Inutile de dire que ces personnages se contentent de paroles et ne l'ont jamais essayé. La critique est invariable et consiste à avancer que celui-ci, de même que le beagle, n'est pas lanceur. Qu'ils ne le soient pas autant que certains briquets plus ou moins corniaudés, c'est certain, mais ils le sont très convenablement pour satisfaire un sportsman prétendant chasser au chien courant, non fusiller au lancer le plus de gibier possible. Chasse sportive ou chasse cuisinière, il faut choisir.

Il y a encore le fameux reproche dont le beagle est aussi la victime, qui est d'avoir un rayon d'action réduit dans les défauts. Que certains beagles trop gentils et caressants aient tendance à trop compter sur le maître dans les embarras, il en est certainement. Or le beagle-harrier a été conçu précisément pour réaliser le chien d'entreprise en pareils cas. Parmi les chiens les plus entreprenants que j'ai vus, je citerai deux lices beagles-harriers, mère et fille, qui, bien que ne travaillant pas les chemins suivant les procédés classiques, montraient une telle habileté aux explorations lointaines des sorties probables qu'elles enlevaient la difficulté plus rapidement que les vrais chiens de chemin. On me dira que cela n'est pas travail correct. Il est en tout cas efficace, et l'efficacité doit toujours être prise en considération. Le tout par la voie est sans doute louable, mais que devient-on sur des voies présentant solution de continuité, avec des chiens tournant en rond lorsque parvenus à bout de voie, par respect des principes ? J'ai vu d'excellents chiens français complètement bloqués, la voie parvenant sur des prés couverts de produits chimiques, et qui fussent restés là sans l'initiative d'un petit tricolore fortement anglaisé qui l'alla relever à plus de deux cents mètres. Les mêmes, après un rapproché de voie de la nuit, parviennent près du gîte probable, et les voici déconcertés par les bonds que le lièvre exécute avant de se remettre. Trop de scrupules sont défaut, et, en dehors d'une certaine hardiesse, on y est fatalement voué.

Il est enfin une considération qui doit entrer en ligne de compte, je veux parler des avantages physiques de notre chien. Sous sa robe généralement tricolore, dans sa formule puissante sans lourdeur, s'inscrivant plus ou moins dans le carré, développé en ouverture sans être boudiné, il donne impression de force unie à l'élégance. Un lot de ces chiens figurant à une exposition ne passe pas inaperçu, même du public nombreux des non-initiés. C'est le plus sûr garant de la grâce et de la beauté d'une race que le suffrage de la masse. Laissée à ses inspirations, elle ne se trompe pas sur la beauté ou le ridicule d'animaux imaginés par des cénacles, car il y a des fantaisies ridicules. Elle admirera ce qui mérite admiration et s'exprime toujours avec sympathie pour les petits courants tricolores, si vifs et gentils qu'elle a trop rarement l'occasion de contempler. Et durant combien de lustres aurons-nous cette faveur ?

Le lièvre étant en voie de disparition, logiquement suivront la pente, fatale les races créées pour le chasser. Plusieurs sont, autant dire, disparues. Si l'on ne prend pas d'énergiques mesures pour interdire la chasse du lièvre au temps des hases pleines et à la naissance des derniers levrauts de l'été, considérant en outre le nombre de fusillots vendeurs de gibier, les vides déjà signalés en certains départements deviendront la règle. Fini le lièvre, finis les chiens courants digne de les chasser, et le dernier périra victime d'un corniaud.

R. DE KERMADEC.

Le Chasseur Français N°668 Octobre 1952 Page 592