Le cyclisme français a subi une assez curieuse courbe en
1952.
Après un début prometteur avec un Bobet gagnant le Grand
Prix de Cannes, le Critérium national, Paris-Côte d'Azur (y compris quatre
étapes) et collectionnant nombre de places d'honneur, nous dûmes constater
qu'il ne s'agissait que d'un mirage trompeur. Le champion de France, n'ayant
personne derrière lui, laissa un creux profond lorsque, pour des raisons qu'on
ignore, il s'effondra.
Le Tour de France avait accentué la décadence française et
il ne fut que Robic pour sauver un honneur très en péril. Encore ledit Robic
dut-il finalement concéder des places après avoir envié, âprement, la seconde.
Il se classa à une demi-heure du vainqueur Coppi, lequel effectua la grande
boucle en véritable cyclotouriste, amenant avec lui tous ses équipiers sans
exception, dont certains aux toutes premières places.
Les promesses de quelques-uns : Dotto, Le Guilly,
Vivier, ne purent se réaliser (sans que nous ayons, certes, perdu du temps de
ce côté).
Vint le championnat de France, disputé sur le merveilleux
circuit de Reims, bien fait pour user petit à petit les hommes, ce qui, on en
conviendra, et sur le plan technique, mérite d'être retenu. Certains voient la
course sur route par rails, pavés, caniveaux, coins de rues, caravanes
infranchissables.
Notre opinion est qu'un championnat du monde pourrait être
couru dans une assiette plate si les coureurs voulaient se donner la peine de « courir »
et que le Galibier n'y ferait rien s'ils avaient la rame. On les vit une fois,
tous ensemble, au sommet de ce col fameux dans un Tour de France, dont la
descente sanctifia un approximatif classement.
Est-ce cela qu'on veut ?
Un mal terrible a gagné les informateurs.
Sous le prétexte qu'ils suivent des courses, trop nombreux,
parmi eux, pensent avoir la science infuse et comme il est plus facile de
critiquer que de construire, plus simple d'écrire n'importe quoi que d'étudier
un sujet délicat, la plume court sur le papier, trop souvent trempée dans le
vinaigre.
Seul le vainqueur trouve bien un parcours ... qu'il
s'agisse du Tour, du championnat de France ou d'un critérium renommé.
Tous les autres ont des excuses au bout des lèvres. Il
suffit de les recueillir en commençant par le dernier et d'écrire.
Le cyclisme se meurt-il ? Si oui, ce serait que
l'exhibitionniste a remplacé le coureur même sur la route :
— Nous sommes des artistes, m'affirmait récemment l'un
d'eux.
Pas vrai.
Et, même si c'était vrai sur la piste, il y aurait encore
cette différence que l'artiste sait qu'il se doit à son public et fait en sorte
de le satisfaire.
Le cyclisme se meurt parce que les organisations ont commis
la faiblesse de payer plus de garanties pour figurer à l'affiche et prendre un
départ parfois fictif, que de verser des prix gagnables selon la place acquise.
Le cyclisme se meurt parce que, sans vedette, il n'est plus
de course.
N'a-t-on point vu, à différentes reprises, un champion connu
s'incorporer — officiellement — à une course pour laquelle il n'était
point qualifié, ni engagé, uniquement afin qu'on le voie passer, captant ainsi
une attention qui eût dû aller toute à ceux qui, courageusement, luttaient ?
Il est vrai que Koblet — ce qui ne lui a pas réussi, — durant
son séjour au Mexique, donna l'exemple d'accompagner les coureurs à bicyclette,
descendant et remontant en selle à sa guise ... manière comme une autre de
ridiculiser ceux qui n'avaient pas encore sa qualité.
Le cyclisme français se meurt parce que l'école italienne
est difficilement applicable en France, école qui permet à une fédération riche
par subventions ou bénéfice du jeu, de pratiquer la prospection sportive, puis
l'éducation permanente de jeunes, alors qu'en France nous nous noyons dans la
diplomatie et l'administration.
Bredouilles aux Jeux Olympiques (certains diront malchanceux),
nos camarades ont subi un échec retentissant.
Beyney s'estropie la veille, du départ, parce qu'une
courroie de cale-pied trop longue se prend dans sa chaîne ! Quel
enfantillage ... Entouré d'un conseiller intime qui le bordait le soir,
d'un moniteur qu'il écoutait mal et de dirigeants sensibles et émotifs, il se
mit hors course lui-même sur une faute d'apprenti malhabile.
Deux équipiers de poursuite (sur quatre) crèvent en finale
avec des boyaux neufs.
Le Normand — dont on ne dira jamais assez combien il
fut admirable, — obligé de mener de front la vitesse et le tandem, aurait
pu mourir de fatigue sans une chute terrible qui l'envoya à l'hôpital.
Andrieux, annonçant qu'il espérait couvrir le kilomètre en 1'11",
mit 1'14" sur une piste réputée dure et qui s'avéra rapide; l'Australien
Mockridge, lui, réalisant vraiment 1'11" et devenant champion olympique.
Quant aux routiers, le premier d'entre eux, le normand
Anquetil qu'on discuta le plus, arrivait dixième, ce qui était bien et, de
toute façon, beaucoup mieux que ce que firent les autres.
Trois avions partiellement garnis de matériel, à l'aller,
trois au retour.
Il ne restait qu'à repartir pour les championnats du monde
sans que soient éteints les échos de 1951, qui répercutent encore à nos
oreilles la nonchalance des nôtres sur la route. Nous aurons l'honneur de vous
en entretenir prochainement, dernier salut, peut-être, à notre amour-propre
national.
Il est fort question que les maisons de cycles, en 1953,
paient mensuellement beaucoup moins de coureurs, mais, par contre, prévoient
plus de primes de rendement ; il est question que des organisateurs
freinent les dépenses « mortes » qu'exigent les vedettes et les
sous-vedettes au départ ; il est question de bien des choses ... et
il n'est pas à écarter de croire que ce renversement de la vapeur donnera du
cœur au ventre à ceux qui ont tout à gagner et rien à perdre, c'est-à-dire les
coureurs consciencieux et forts ; car cette fois, pour vivre, ils devront
martyriser les vedettes — ou le devenir — ce qui serait possible à
beaucoup d'entre eux s'ils avaient la bride lâchée sur le cou.
René CHESAL.
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