Nous avons parlé (1) d'informations douteuses, et ce n'est
pas pur hasard. Il nous a été donné de lire des ouvrages traitant de plongées
et de chasses sous-marines sensationnelles. Beaucoup ont droit à notre crédit
et même parfois à notre admiration ; mais d'autres ! ...
Nous avons parcouru ainsi, entre autres, un livre d'un
auteur étranger, illustré de photographies très attachantes a priori, et
où il est rapporté qu'une méthode toute nouvelle permettrait de retenir sa
respiration si facilement que l'auteur, ayant essayé, est arrivé dès la
première tentative à ne pas respirer pendant trois minutes et demie.
Ailleurs, le plongeur, après être descendu à 12 mètres sous l'eau, se livre à toute une série d'opérations malaisées qui, à elles seules, durent
trois minutes, et ensuite — mais ensuite seulement ! — il
remonte.
Quand on pense que les pêcheurs d'éponges et les pêcheurs de
perles, qui sont, sans nul doute, les plus extraordinaires plongeurs du monde,
n'arrivent qu'exceptionnellement à dépasser de quelques secondes deux minutes
en tout, descente et remontée comprises !
Il est vrai que le même ouvrage nous apprend qu'une petite
île habitée et exploitée depuis plus de trois cent cinquante ans par les
Européens et comptant quarante habitants au kilomètre carré est encore couverte
par la forêt vierge. Nous en passons, et des meilleurs.
Sans doute de telles exagérations auraient-elles l'excuse
d'un puéril enthousiasme si, en mêlant la fantaisie au vraisemblable dans un
sujet tel que la plongée libre, elles ne risquaient pas d'inciter de trop
crédules néophytes à des tentatives qui pourraient se solder par des accidents
dommageables tant pour leur personne que pour l'avenir d'un sport si plein de
promesses.
Il n'est peut-être pas hors de propos de rappeler d'ailleurs
— et ceci en l'absence de tout chauvinisme déplacé — que la chasse sous-marine
et les explorations scientifiques sous-marines individuelles qui en ont été
ensuite les corollaires sont nées en France, exactement sur le littoral
méditerranéen, et que c'est à notre école que sont d'abord venus se mettre les
amateurs d'autres pays.
Les meilleurs équipements, en particulier les aérogènes — les
scaphandres autonomes comme on les appelle communément — sont jusqu'ici de
conception et de réalisation françaises. On travaille activement à l'étranger à
en produire d'équivalents et, si possible, de plus perfectionnés, mais, pour le
moment, les aérogènes qui permettent les plus profondes descentes et dans les
meilleures conditions de sécurité sont les appareils français à air comprimé et
réglage automatique de pression.
Un exposé complet, même très abrégé, des règles essentielles
de la plongée libre individuelle ne pourrait trouver sa place dans cette courte
dissertation. Nous y reviendrons peut-être ultérieurement.
Mais d'ores et déjà nous croyons pouvoir donner quelques
conseils d'ordre général.
En premier lieu, il importe de s'entraîner progressivement,
graduellement ; les résultats seront meilleurs et plus rapides. Ne
pas viser à épater la galerie et ne pas rougir pour autant de la gaucherie
inévitable des débuts ; seuls des sots peuvent trouver matière à « rigolade »,
dans le spectacle des premières tentatives d'un débutant, en quelque domaine
que ce soit.
On ne doit jamais aller jusqu'au bout de ses possibilités
d'effort, mais au contraire garder une réserve de puissance pour faire
face à l'imprévu ; cela s'appelle la « marge de sécurité ».
N'augmenter sa performance, si modeste soit-elle, tant en durée qu'en
profondeur, qu'après de nombreux exercices, espacés sur plusieurs séances et
confirmant de manière absolue la maîtrise atteinte dans la performance
antérieure.
Il importe également de ne pas s'exercer jusqu'à en éprouver
un commencement de fatigue ; on aboutirait ainsi à se « claquer »
sans profit aucun.
Le plongeur débutant, même s'il est déjà excellent nageur,
doit se garder de s'exercer alors qu'il est tout seul, ou à tout le moins
doit-il demeurer dans des parages où ses ébats peuvent être suivis par des
spectateurs quelconques, fussent-ils des étrangers pour lui.
Si le débutant possède déjà un attirail complet de chasse
sous-marine, il est préférable que, dans ses exercices d'entraînement, il
laisse son fusil à terre.
Les deux premiers accessoires indispensables sont les
lunettes, ou masque, et le « tuba », ce tuyau recourbé de quelques
décimètres de long dont on prend l'embout entre les dents et qui, en surface,
permet de respirer très à l'aise avec la face plongée dans l'eau, même parmi de
petites vagues.
À ce propos, nous conseillons à ceux-là mêmes qui ne savent
pas encore nager de se munir de ces deux accessoires, non pas seulement parce
qu'ils leur permettront de jouir du spectacle curieux de la vie sous-marine
observée dans son intimité (ne fût-ce que les évolutions de petits crustacés
dans l'eau peu profonde d'une plage), mais parce que, avec ces simples engins — masque
et respirateur, — on apprend rapidement à nager sans le secours d'aucun
autre artifice. On s'aperçoit, en effet, qu'étendu sur l'eau et la figure
immergée on flotte aisément.
L'effet psychologique du port de lunettes de plongée pendant
le bain est particulièrement sensible chez les jeunes enfants qu'il familiarise
avec l'élément liquide, surtout en mer où la salure de l'eau « pique »
les petits yeux. On les amuse, en eau basse, à ramasser sur le fond un caillou
blanc qu'on jette progressivement chaque fois un peu plus loin, en les
accompagnant, bien entendu. Ou encore on les invite à observer de près, un
court instant, un crabe qu'on a préalablement repéré. Peu à peu ils
s'enhardissent ; or l'accoutumance du milieu et la confiance en soi qui en
résulte sont des facteurs importants dans l'initiation à la natation.
Le plongeur débutant s'accoutumera ensuite au port et à
l'usage rationnel des « palmes », des « pattes de canard »,
comme on les désigne aussi parfois. Il devra admettre que, désormais, ses bras
ne lui serviront qu'exceptionnellement pour se propulser, le seul battement
alternatif des palmes suffisant à le faire avancer, bien plus rapidement et
plus aisément d'ailleurs que dans la nage classique.
Les plongeurs éprouvés utilisant un aérogène portent au
poignet un altimètre qui, à tout moment, les renseigne sur la hauteur d'eau
qu'ils ont au-dessus d'eux. Le chasseur sous-marin a d'autant moins besoin d'un
tel instrument que la nature l'a pourvu d'un avertisseur très simple : ses
oreilles. Dès que la pression de l'eau sur les tympans commence à
devenir pénible, on ne doit pas insister, fût-on d'une nature stoïque.
Autrement il pourrait en résulter des accidents douloureux qui interdiraient à
l'imprudent de se remettre à l'eau durant des semaines ! ...
Circonspection égale efficience.
Henri CHENEVÉE,
Directeur du Centre d'études sous-marines.
(1) Voir Le Chasseur Français d'août 1952.
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