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La conservation des principes fertilisants

La nécessité d'apporter chaque année au sol les principes fertilisants qui lui sont indispensables pour assurer les besoins des plantes et, partant, des récoltes suffisantes et rémunératrices n'est plus discutée de nos jours, et, si la règle n'est pas partout appliquée, il faut en voir la raison davantage dans un souci d'économie que dans un sentiment d'hostilité ou même de méfiance envers les engrais. Cet état d'esprit se présente d'ailleurs sous deux formes distinctes : répugnance à débourser de l'argent et crainte de ne pas rentrer en fin de compte dans ses débours. La première est souvent la conséquence d'une trésorerie gênée et plus souvent encore le fait de l'absence de comptabilité qui favorise une confusion fâcheuse entre les liquidités et les bénéfices de l'exploitation ; la seconde peut être justifiée par les circonstances économiques et, là encore, une comptabilité en règle serait utile, sinon nécessaire, pour établir le niveau auquel les achats d'engrais cessent d'être profitables ou le redeviennent.

Si des hésitations peuvent se comprendre quand il s'agit d'engager des dépenses annuelles dont on peut craindre qu'elles ne soient pas récupérées, il ne saurait en être de même en ce qui concerne les soins à prendre pour éviter les déperditions, et ceci concerne plus particulièrement les soins à donner au fumier. Dans de nombreuses exploitations, celui-ci est traité comme il doit l'être, mais trop souvent encore il est laissé à l'abandon, soumis aux intempéries, se desséchant en période de beau temps, délavé par les pluies. Les pertes sont considérables. Une tonne de fumier contient, en moyenne 4kg,5 d'azote, 2kg,5 d'acide phosphorique et 4kg,5 de potasse. Il est assez difficile d'en chiffrer la valeur exacte, car ces éléments fertilisants sont là sous une forme différente de celle des engrais habituellement mis dans le commerce ; on peut cependant arriver à une approximation et évaluer à 1.200 francs la valeur de l'azote, 250 francs celle de l'acide phosphorique et 300 francs celle de la potasse. Les pertes d'azote dans un fumier mal soigné sont très élevées, car il faut compter non seulement celui qui s'en va avec le purin, mais aussi celui qui s'évapore en période de dessiccation. Au total, elles dépassent 50 p. 100; le pourcentage est moindre avec les deux autres éléments, encore que le purin tienne en moyenne 1 p. 100 d'azote, 0,5 p. 100 d'acide phosphorique et 1,2 p. 100 de potasse. Tout compte fait, la valeur des éléments fertilisants perdus par tonne de fumier mal soigné apparaît de l'ordre de 700 à 800 francs et davantage. Il est, d'après ces chiffres, facile d'évaluer la perte annuelle et sans contrepartie due à l'état d'abandon dont souffre le fumier dans mainte exploitation.

Pour y parer, il est nécessaire de disposer le fumier sur une plate-forme ou dans une fosse munies d'une citerne à purin pourvue d'une pompe. On pourra ainsi l'arroser dans les périodes de sécheresse, soit avec le purin recueilli dans la citerne, soit même avec de l'eau. Les frais d'installation ne sont, certes, pas négligeables, mais il ne faut pas non plus en exagérer l'importance. Dans nombre de petites exploitations, une partie des terrassements peut être faite « avec les moyens du bord » et certains cultivateurs sont même arrivés à tout faire eux-mêmes. En général, le concours d'un maçon s'avère utile sans être exagérément dispendieux. Une telle installation permettra d'épandre un fumier plus riche en éléments fertilisants et donc générateur de meilleures récoltes. Il restera cependant mal équilibré et généralement pauvre en acide phosphorique. Il devra donc être complété par un apport d'engrais minéraux et plus particulièrement de superphosphates ou engrais similaires. L'insuffisance en cet élément se traduit par une diminution de récolte, un abaissement de la qualité et l'irrégularité de la végétation et de la maturité, particulièrement nette cette année sur les céréales et notamment sur l'orge.

Le purin sera lui-même un élément fertilisant d'excellente qualité, soit sur les terres, soit sur les prairies. Contrairement à une prévention trop enracinée, il ne « brûle » pas les terres, mais il les fertilise. Son emploi demande cependant quelques précautions. Il est bon d'abord qu'il soit dilué avant l'épandage surtout en période sèche, car il pourrait griller les végétaux sur lesquels il serait appliqué, tout au moins superficiellement. Il tend, en outre, à fermer la terre et à l'acidifier. Il conviendra d'y prendre garde et, le cas échéant, d'y parer par des hersages et par un apport de chaux ou de scories de déphosphoration, lesquelles auront en outre l'avantage d'apporter l'acide phosphorique, qui est son point faible.

Plutôt que d'entasser le fumier et de lui donner des soins, certains préfèrent le porter chaque jour sur les terres, supprimant ainsi les frais d'installation et réduisant les manipulations. Si séduisant que paraisse le procédé, il n'est pas sans quelques inconvénients : l'obligation de faire régulièrement les charrois, le manque possible de terres disponibles, les difficultés d'épandre et d'enfouir le fumier assez rapidement. Là encore, il y a des pertes en perspective et, si elles sont moindres que dans le cas de tas laissés à l'abandon, elles ne sauraient être considérées comme insignifiantes. L'emplacement des fumerons se remarque d'ailleurs pendant la végétation, soulignant une irrégularité qui n'est pas sans dommage sur la production.

Ces principes d'économie sont valables également pour les engrais minéraux, qui ne sauraient être épandus n'importe quand, sous peine de subir eux-mêmes des pertes du fait des eaux de pluie : ruissellement et infiltration, qui sont susceptibles de les dissoudre en plus ou moins grande proportion et de les entraîner. Les précautions nécessaires sont généralement prises ; elles concernent surtout les nitrates particulièrement solubles et qu'il convient de ne pas apporter trop longtemps à l'avance. Les déperditions à craindre sont peut-être moindres qu'on ne le craignait autrefois ; elles existent cependant et sont d'autant plus pénibles à supporter que le prix de ces engrais est plus élevé. En règle générale, on n'apportera les engrais nitriques que par petites quantités et seulement lorsque les végétaux en auront besoin, souvent même en couverture. Certains poussent la précaution jusqu'à fractionner l'apport de printemps sur les céréales en deux épandages, ce qui a toutefois l'inconvénient d'augmenter les frais.

Un autre risque de perte de principes fertilisants réside dans les périodes où les terres sont inoccupées, et c'est un des intérêts des engrais verts semés en culture dérobée que de les fixer et de les restituer au sol lors de leur enfouissement.

La conservation des principes fertilisants des engrais et du sol est donc une nécessité économique et passe évidemment avant l'apport de nouveaux engrais. Elle n'en supprime cependant pas l'utilité. L'amélioration de la fertilité du sol et des rendements forme un tout. Une meilleure fumure augmente les récoltes, ce qui permet l'entretien d'un bétail plus nombreux ou plus lourd et la production d'un fumier plus abondant. Celui-ci réclame un complément d'engrais qui amène un nouvel accroissement de récoltes, et, si l'amélioration ainsi tracée ne saurait être aussi rapide qu'on pourrait le souhaiter, le schéma reste cependant exact, se traduisant depuis un siècle par une amélioration continue des rendements des plantes cultivées. Il est des terres meilleures que d'autres qui produiront toujours davantage, mais il n'en est pas où le progrès soit impossible.

R. GRANDMOTTET,

Ingénieur agricole.

Le Chasseur Français N°668 Octobre 1952 Page 613