Accueil  > Années 1952  > N°668 Octobre 1952  > Page 614 Tous droits réservés

Les petites exploitations et la modernisation

Les petites exploitations constituent la structure de base de l'économie agricole française. Il existe, en effet, 1.165.000 exploitations de moins de 10 hectares. La question de la modernisation et, particulièrement, de la motorisation de la petite propriété préoccupe, à juste titre, les agriculteurs. Ce problème est d'ailleurs commun à l'ensemble des pays d'Europe. C'est ainsi qu'au cours du congrès de la C. I. G. R., en novembre 1947, l'étude des différents modes de labours fut, à cette époque, la première question mise à l'ordre du jour en recommandant d'indiquer les solutions spéciales pour les exploitations familiales ; et onze nations européennes : Angleterre, Belgique, Espagne, Finlande, France, Italie, Luxembourg, Portugal, Suisse, Tchécoslovaquie, Yougoslavie, considéraient que l'une des préoccupations dominantes de notre époque était l'amélioration des conditions de culture dans l'exploitation familiale.

La question principale est de savoir si la traction mécanique n'est pas plus coûteuse que la traction animale. Si le moteur inanimé est plus économique, l'acquisition d'un petit tracteur ou motoculteur doit s'imposer.

Lorsqu'on supprime, par exemple, un cheval, on supprime du même coup les dépenses de nourriture, d'entretien, de soin, d'amortissement et de main-d'œuvre nécessaires à l'entretien et au remplacement de cet animal. Il y a lieu de noter qu'un cheval, qui permet de cultiver en moyenne 10 hectares, consomme la récolte d'un hectare d'avoine et d'une surface au moins égale de prairie.

L'acquisition d'un tracteur entraînera des dépenses de carburant et de lubrifiant, de main-d'œuvre, de réparation et d'entretien, de frais généraux impôts et assurances, de frais d'amortissement — tracteurs et appareils de culture — auxquels il faut ajouter l'intérêt du capital engagé.

Étant donné, d'autre part, qu'il est nécessaire de remplacer le bétail de trait par du bétail de rente, dont les restitutions organiques sont indispensables au maintien et à l'accroissement de la couche d'humus, c'est-à-dire de la fertilité du sol, il y a lieu de considérer que ce bétail de rente va rapporter un supplément de recettes annuelles en viande ou en produits laitiers. Ce surplus de recette diminuera sensiblement les frais indiqués ci-dessus.

Dans une exploitation disposant de deux chevaux, lorsque ces deux animaux sont remplacés par un petit tracteur ou un motoculteur, les dépenses restent à peu près les mêmes. Il convient de remarquer, toutefois, que les travaux sont effectués plus rapidement avec un tracteur ou un motoculteur. Le rendement de cet engin est le même du début à la fin de la journée. Il avance avec régularité. Dans le fauchage, par exemple, le manque de vitesse cause le bourrage fréquent de la lame. Au cours de travaux pénibles, les bêtes ralentissent fréquemment ou s'arrêtent. Le motoculteur, lui, continue. Ce sont là des avantages appréciables. D'aucuns prétendent qu'avec le tracteur ou motoculteur un cheval doit être conservé pour effectuer les travaux légers et le transport sur route. Si on utilise le tracteur, ces travaux, assurent-ils, sont trop coûteux.

À notre avis, cette opinion est injustifiée. Il ne faut pas considérer le coût d'une seule opération, mais étudier la rentabilité d'un moyen de traction dans son ensemble. Aussi bien, si l'on tient compte du fait que la suppression des bêtes de trait et leur remplacement par du bétail de rente entraîne un supplément de recettes, si le tracteur permet d'effectuer plus rapidement les travaux et, comme cela est prouvé, d'améliorer les rendements par suite des meilleures façons culturales, ce serait une hérésie pour le petit propriétaire de conserver un seul cheval, quand bien même il serait démontré que le coût des transports et travaux légers est moins élevé. Cet avantage serait d'ailleurs illusoire par le fait même que le maintien sur l'exploitation de cet animal exigerait, nous l'avons dit ci-dessus, pour sa consommation, un hectare d'avoine et une surface au moins égale de prairie, Ces deux hectares devraient être cultivés à des fins beaucoup plus lucratives. À cet égard, nous connaissons, et chacun pourrait citer des exemples analogues, une propriété de 6 hectares sur laquelle un Farmall Cub a été introduit et a donné, en ce qui concerne les prix de revient, complète satisfaction. Pour les exploitations ne possédant qu'un seul cheval, il est, bien entendu, difficile de le remplacer. Il reste cependant à ces exploitants à se grouper, afin d'acheter en commun, chaque fois que cela est possible, le tracteur et les instruments de motoculture qui leur permettront d'alléger leurs travaux et de se hisser au niveau des autres fermes plus importantes, tant en ce qui concerne les rendements que les prix de revient.

Au sujet des propriétés employant deux chevaux, une solution qui peut donner de grandes satisfactions consiste, pour trois exploitants par exemple, à supprimer chacun un seul cheval et à acheter, en commun, tracteur et équipement.

À condition d'utiliser son matériel de motoculture d'une façon rationnelle, c'est-à-dire d'organiser son travail (et pour cela il est nécessaire de s'informer et d'étudier), la motorisation et la mécanisation de la petite propriété sont rentables. Il faudra dans certains cas, et ceci est particulièrement indispensable pour la ferme de 3 hectares, avoir recours au système coopératif. Compte tenu des avantages techniques et sociaux de la motorisation, nous dirons donc qu'elle seule permettra aux petits propriétaires d'avoir une vie décente et normale. Les constructeurs de machines agricoles et moteurs ont d'ailleurs parfaitement compris que les exploitations ne devraient pas se plier aux exigences de la motorisation, mais, bien au contraire, la motorisation s'adapter à la structure des exploitations familiales.

G. DELALANDE.

Le Chasseur Français N°668 Octobre 1952 Page 614