Les petites exploitations constituent la structure de base
de l'économie agricole française. Il existe, en effet, 1.165.000 exploitations
de moins de 10 hectares. La question de la modernisation et, particulièrement,
de la motorisation de la petite propriété préoccupe, à juste titre, les
agriculteurs. Ce problème est d'ailleurs commun à l'ensemble des pays d'Europe.
C'est ainsi qu'au cours du congrès de la C. I. G. R., en
novembre 1947, l'étude des différents modes de labours fut, à cette époque, la
première question mise à l'ordre du jour en recommandant d'indiquer les
solutions spéciales pour les exploitations familiales ; et onze nations
européennes : Angleterre, Belgique, Espagne, Finlande, France, Italie,
Luxembourg, Portugal, Suisse, Tchécoslovaquie, Yougoslavie, considéraient que
l'une des préoccupations dominantes de notre époque était l'amélioration des
conditions de culture dans l'exploitation familiale.
La question principale est de savoir si la traction
mécanique n'est pas plus coûteuse que la traction animale. Si le moteur inanimé
est plus économique, l'acquisition d'un petit tracteur ou motoculteur doit
s'imposer.
Lorsqu'on supprime, par exemple, un cheval, on supprime du
même coup les dépenses de nourriture, d'entretien, de soin, d'amortissement et
de main-d'œuvre nécessaires à l'entretien et au remplacement de cet animal. Il
y a lieu de noter qu'un cheval, qui permet de cultiver en moyenne 10 hectares,
consomme la récolte d'un hectare d'avoine et d'une surface au moins égale de
prairie.
L'acquisition d'un tracteur entraînera des dépenses de
carburant et de lubrifiant, de main-d'œuvre, de réparation et d'entretien, de
frais généraux impôts et assurances, de frais d'amortissement — tracteurs
et appareils de culture — auxquels il faut ajouter l'intérêt du capital
engagé.
Étant donné, d'autre part, qu'il est nécessaire de remplacer
le bétail de trait par du bétail de rente, dont les restitutions organiques
sont indispensables au maintien et à l'accroissement de la couche d'humus,
c'est-à-dire de la fertilité du sol, il y a lieu de considérer que ce bétail de
rente va rapporter un supplément de recettes annuelles en viande ou en produits
laitiers. Ce surplus de recette diminuera sensiblement les frais indiqués
ci-dessus.
Dans une exploitation disposant de deux chevaux, lorsque ces
deux animaux sont remplacés par un petit tracteur ou un motoculteur, les
dépenses restent à peu près les mêmes. Il convient de remarquer, toutefois, que
les travaux sont effectués plus rapidement avec un tracteur ou un motoculteur.
Le rendement de cet engin est le même du début à la fin de la journée. Il
avance avec régularité. Dans le fauchage, par exemple, le manque de vitesse
cause le bourrage fréquent de la lame. Au cours de travaux pénibles, les bêtes
ralentissent fréquemment ou s'arrêtent. Le motoculteur, lui, continue. Ce sont
là des avantages appréciables. D'aucuns prétendent qu'avec le tracteur ou
motoculteur un cheval doit être conservé pour effectuer les travaux légers et
le transport sur route. Si on utilise le tracteur, ces travaux, assurent-ils,
sont trop coûteux.
À notre avis, cette opinion est injustifiée. Il ne faut pas
considérer le coût d'une seule opération, mais étudier la rentabilité d'un
moyen de traction dans son ensemble. Aussi bien, si l'on tient compte du fait
que la suppression des bêtes de trait et leur remplacement par du bétail de
rente entraîne un supplément de recettes, si le tracteur permet d'effectuer
plus rapidement les travaux et, comme cela est prouvé, d'améliorer les
rendements par suite des meilleures façons culturales, ce serait une hérésie
pour le petit propriétaire de conserver un seul cheval, quand bien même il
serait démontré que le coût des transports et travaux légers est moins élevé.
Cet avantage serait d'ailleurs illusoire par le fait même que le maintien sur
l'exploitation de cet animal exigerait, nous l'avons dit ci-dessus, pour sa
consommation, un hectare d'avoine et une surface au moins égale de prairie, Ces
deux hectares devraient être cultivés à des fins beaucoup plus lucratives. À
cet égard, nous connaissons, et chacun pourrait citer des exemples analogues,
une propriété de 6 hectares sur laquelle un Farmall Cub a été introduit et a
donné, en ce qui concerne les prix de revient, complète satisfaction. Pour les
exploitations ne possédant qu'un seul cheval, il est, bien entendu, difficile
de le remplacer. Il reste cependant à ces exploitants à se grouper, afin
d'acheter en commun, chaque fois que cela est possible, le tracteur et les
instruments de motoculture qui leur permettront d'alléger leurs travaux et de
se hisser au niveau des autres fermes plus importantes, tant en ce qui concerne
les rendements que les prix de revient.
Au sujet des propriétés employant deux chevaux, une solution
qui peut donner de grandes satisfactions consiste, pour trois exploitants par
exemple, à supprimer chacun un seul cheval et à acheter, en commun, tracteur et
équipement.
À condition d'utiliser son matériel de motoculture d'une
façon rationnelle, c'est-à-dire d'organiser son travail (et pour cela il est
nécessaire de s'informer et d'étudier), la motorisation et la mécanisation de
la petite propriété sont rentables. Il faudra dans certains cas, et ceci est
particulièrement indispensable pour la ferme de 3 hectares, avoir recours au
système coopératif. Compte tenu des avantages techniques et sociaux de la
motorisation, nous dirons donc qu'elle seule permettra aux petits propriétaires
d'avoir une vie décente et normale. Les constructeurs de machines agricoles et
moteurs ont d'ailleurs parfaitement compris que les exploitations ne devraient
pas se plier aux exigences de la motorisation, mais, bien au contraire, la
motorisation s'adapter à la structure des exploitations familiales.
G. DELALANDE.
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