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Au rucher

Introduction des reines

Tous les apiculteurs admettent à présent que ce sont les colonies possédant de bonnes reines qui donnent les meilleures récoltes.

Avec une jeune reine de choix, vous récolterez du miel même dans une simple caisse, tandis qu'une reine médiocre ou vieille ne donnera rien dans la ruche la plus confortable qui soit. C'est ce qui nous explique les grosses différences de rendement dans un même rucher, possédant des ruches du même modèle, mais dont les reines sont d'âge et de valeur différents.

Si donc nous voulons augmenter le rendement moyen et posséder des colonies prospères, il faudra changer toutes nos reines périodiquement, à moins de se contenter de renouveler seulement celles qui sont trouvées déficientes, ce qui est plus simple et moins onéreux.

Oui, mais voilà : l'introduction d'une nouvelle reine dans une colonie orpheline ou rendue telle est l'opération la plus aléatoire qui soit dans le métier d'apiculteur. Le regretté maître Perret-Maisonneuve, de renommée mondiale, reconnaît lui-même que c'est le point critique de l'élevage des reines et que le débutant doit s'attendre à payer son expérience personnelle au prix de certains déboires malgré les meilleurs conseils. Beaucoup d'apiculteurs même hésitent à changer leurs reines, de peur d'un échec, tout en reconnaissant l'utilité du renouvellement.

Le succès de l'introduction dépend d'un certain nombre de facteurs, et l'absence de l'un d'eux peut compromettre le résultat. Voyons donc les principales conditions favorables :

Il faut tout d'abord que la colonie soit rendue orpheline au moins vingt-quatre heures avant la libération de la nouvelle reine, afin que les ouvrières aient le temps de s'apercevoir de leur orphelinage ; ne pas dépasser quarante-huit heures, cependant, car alors, s'il y a du couvain frais, les abeilles pourraient préférer une reine issue de leur propre élevage.

Si une colonie est orpheline depuis un certain temps, il est bon d'y mettre d'abord un rayon de couvain nouveau, et ce n'est que s'il y a édification de cellules royales qu'on peut procéder à l'introduction après enlèvement dudit rayon, qui sera remplacé par un cadre de couvain prêt à éclore.

L'époque de la miellée est la plus favorable à l'introduction ; en effet, les butineuses, qui sont aussi les abeilles les plus irascibles, sont trop occupées à la récolte, et le risque de pillage qui met la colonie en révolution est peu à craindre. Si donc on opère en dehors de la miellée, il faut la créer artificiellement en nourrissant au sirop liquide pendant les quelques jours qui précèdent et qui suivent l'introduction.

Les conditions atmosphériques jouent aussi leur rôle : il faut une température moyenne, et surtout l'absence de vent et d'orage qui irritent les abeilles, alors que la tranquillité est nécessaire.

L'heure choisie est elle-même importante pour la libération de la reine ou pour son introduction directe ; c'est le soir un peu avant la nuit, le calme règne dans les colonies, les pillardes ne sont pas à craindre, et la reine, n'étant pas apeurée par le grand jour, risque moins de se faire tuer. À défaut, on peut aussi opérer de bon matin, avant que l'effervescence soit dans le rucher.

Bien que le calme soit une condition importante de l'acceptation, le contraire aussi est favorable ; en effet, une colonie démoralisée accepte tout sans réagir, même une nouvelle reine. On obtient cette démoralisation de diverses façons : en la mettant en bruissement par enfumage, la ruche fermée, et en la tapotant ou bien en la portant à la cave pendant quelques heures après l'orphelinage, au frais et à l'obscurité, ou encore en la réduisant à l'état d'essaim en enlevant tous les cadres. Nous verrons par la suite que les méthodes d'introductions directes sont basées sur ce principe de démoralisation.

La présence d'œufs est favorable à l'acceptation des reines fécondées, mais, au contraire, est néfaste pour les reines vierges. Les jeunes abeilles venant de naître acceptent toutes les reines qui leur sont présentées, c'est la raison pour laquelle il est toujours conseillé de lâcher la reine sur le couvain. Personnellement, nous réussissons toujours nos introductions par l'utilisation des jeunes abeilles, même par temps peu favorable; on ne peut donc qu'en conseiller l'emploi.

Les reines calmes sont plus facilement acceptées que celles qui sont effrayées ou trop nerveuses ; il faut, avant d'en lâcher une dans la ruche, s'assurer de sa tranquillité.

Voyons à présent les principales conditions défavorables à l'introduction :

Présence dans la ruche à remérer d'une reine ou de cellules royales. Donc, préalablement à toute introduction, bien s'assurer que la reine et toutes les cellules royales ont été enlevées. Il faut brosser les cadres et bien regarder sur les bords ; une seule cellule royale oubliée suffit pour provoquer l'échec.

L'absence de miellée et le manque de provisions sont aussi une cause d'insuccès.

Nous avons vu aussi que le vent, la trop forte chaleur, le temps orageux sont défavorables.

Un orphelinage trop long sera aussi un obstacle, soit que la colonie compte sur son propre élevage royal, soit qu'il y ait des ouvrières pondeuses. Ces dernières seront éliminées par déplacement de la ruche ; une autre est mise à sa place pour recueillir les butineuses et faire l'introduction de reine quelques heures après, tandis que celle qui est déplacée est fermée et les abeilles restantes détruites, car ce sont les pondeuses qui s'opposent à l'acceptation.

Les vieilles abeilles sont celles qui font échouer les introductions de reines les mieux préparées. Il faut donc, en principe, avoir plus de jeunes que de vieilles dans la colonie à remérer ; on y arrive facilement par adjonction de quelques cadres de couvain operculé quelques jours avant, ou bien plus simplement par déplacement de la ruche, ce qui élimine tout de suite les vieilles ouvrières.

Si le couvain est trop éparpillé, il peut y avoir un élevage dans un coin éloigné de la cage à reine. Enfin il ne faut pas qu'il y ait des cadres vides d'abeilles sur lesquels la reine peut s'aventurer à ses risques et périls et ne pas libérer cette dernière trop tôt avant que les abeilles aient bien conscience de leur orphelinage.

R. GUILHOU,

Expert apicole.

Le Chasseur Français N°668 Octobre 1952 Page 619