Le visiteur qui vient au Louvre s'empresse d'aller voir
les tableaux d'abord, puis les sculptures ... C'est là une profonde
erreur, provenant à la fois d'un certain snobisme et aussi du battage effectué
sur les chiffres astronomiques atteints aux enchères publiques par des toiles
signées de grands noms.
C'est, tout au contraire, dans les salles quasi désertes
entourant au premier étage la Cour carrée que le curieux éclairé doit se
rendre. Tout spécialement derrière la grande colonnade, il trouvera d'abord les
deux chambres privées et d'apparat des rois de France, ainsi que le Cabinet des
conseils, transporté de Vincennes. Lambris, plafonds et parquets travaillés,
ouvrés dorés en sont des splendeurs (ignorées) ayant servi de cadre jusqu'en
1884 au musée disparu des souverains. Fait suite à cette prestigieuse enfilade
celles des salles conservant les pièces d'orfèvreries antiques et anciennes.
Enfin, une immense galerie présente les plus belles pièces jamais produites par
les céramistes français.
Il faut reconnaître que, si la céramique est peu admirée du
grand public, c'est qu'il ignore le plus souvent en quoi elle consiste.
On distingue : la terre cuite, le grès, la faïence et
la porcelaine.
La terre cuite ne donna jamais que des poteries
d'usage, et son intérêt manifeste surtout l'expression de la civilisation
débutante. À ce titre, c'est au musée de Saint-Germain qu'il faut aller admirer
et découvrir les œuvres préhistoriques et protohistoriques des Gaulois, Ligures
et autres. Au Louvre on trouve des terres cuites mésopotamiennes, égyptiennes,
et surtout grecques pour les hautes époques.
La faïence, eut surtout ses ateliers en province,
dans les régions où il y avait à la fois du kaolin pour la confectionner et des
bois pour la cuire. On en trouve partout à travers l'histoire, avec de grands
centres comme Nevers, Moustiers, Rouen, Toulouse, Marseille, Strasbourg, etc.
Cette faïence est fort loin de consister uniquement en vases
et récipients utilitaires : pots, plats et assiettes. On en fit aussi des
pavements et des revêtements muraux sous l'influence des Croisades rapportant
les traditions de Byzance.
La matière première n'est autre que l'argile, mais avec
choix, dosages et préparations spéciales. Bien que connue ailleurs depuis
longtemps, la faïence n'acquit en France un certain essor qu'au XVIIIe
siècle, alors que le grès était connu des Gaulois. Celui-ci, comme la
porcelaine, est vitrifié tandis que la faïence ne l'est pas. La cause réside
dans la cuisson à plus basse température et à la facture des fours. La faïence
est très souvent de pâte brute ou fort peu additionnée de produits accessoires,
dégraissants et fondants ; mais elle comporte toujours l'engobe de
recouvrement pour la rendre imperméable et boucher porosités et trous.
Également cette surface reçoit une « couverte » brillante et
glaçante. Cette dernière est extrêmement importante, car c'est elle qui, par
une seconde cuisson, autorise la coloration et le décor. Cette couverte est
toujours opaque, à l'inverse de la porcelaine, dont il importe de conserver
l'aspect blanc laiteux de la masse parfois translucide.
C'est d'Italie que vient en France l'influence de la
faïence, malgré sa connaissance antique. Du reste, le nom de faïence est celui
d'une petite ville voisine de Bologne, Faenza. Actuellement, c'est encore en
Italie que se situe le Musée international de la Céramique avec toute une
association d'expansion culturelle artistique spécialisée pour fournir copies,
reproductions, photographies, ouvrages et livres en toutes langues. Ce qui ne
veut pas dire que l'édition française soit en retard en ces matières :
elle est simplement méconnue du public.
Le XIXe siècle a été extrêmement néfaste à l'art
de la céramique par une industrialisation poussée, délaissant la tradition et
tombant dans une commercialisation outrancière. On doit à la Manufacture de
Sèvres et à certains grands usiniers de Limoges, comme de Havilland, une
immense impulsion de renouveau depuis trente ans. Toutefois on reste unanime à
déplorer que la Manufacture de Sèvres, entre 1900 et 1940, se soit surtout
souciée de productions gigantesques et sans usages pratiques, dont les pièces
encombrent parcs publics, jardins et galeries de musées, remplissant de stupeur
les visiteurs étrangers. Depuis cinq ans la réaction est absolue, et c'est dans
les services de table aux bleus célèbres qu'œuvrent ses artistes.
Les trois édits de Louis XIV ordonnant l'envoi à la fonte de
la vaisselle d'étain, d'argent ou d'or pour remplir le Trésor public furent à
la base de l'essor majeur de la céramique. La fabrique de Nevers, si elle est
la plus ancienne, fut rapidement détrônée par celle de Rouen, concurrencée à
son tour par Moustiers, dans les contreforts alpins. La première offrit des
décors persans, puis rayonnants, aux rouges, verts et jaunes prestigieux. Une
réminiscence de la Chine y est fréquente. Rouen débuta dans la statuaire en
céramique cuite, puis s'égara dans le genre rocaille, jusqu'au jour où le décor
« à la corne » fit sa gloire et son renom, en attendant ceux aux
carquois, à la haie, etc. Moustiers adopta des inspirations bibliques, puis
Berain lança le décor bleu sur fond blanc avec une rare précision des détails
et une merveilleuse harmonie des dessins. Au passage du XVIIIe au
XIXe siècle, les trois F : Ferrand, Fouque et Ferrât copient
les modèles de Strasbourg et de Marseille avec camaïeu polychrome. C'est aussi
l'annonce du déclin.
Dans l'Est, tout au contraire, Strasbourg voit sa renommée
artistique et sa puissance commerciale monter en flèche, en s'inspirant des
traditions de Rouen et aussi des Proche et Extrême-Orient. En 1740, on
abandonne le grand feu pour le petit, ce qui donne une immense finesse de
décor. La célèbre « Fleur de Strasbourg » fera la renommée de la
manufacture fondée par la dynastie des Hannong, grosse fleur rouge ou pourpre,
mais aussi tulipe perroquet formant le foyer axial décoratif. La Révolution
provoque la mort de cette grande discipline artistique.
En province encore, des transfuges de Moustiers viennent
s'établir à Marseille, à Saint-Jean-du-Désert, vers 1677. La quantité de leurs
élèves ayant réussi est prodigieuse, bien que chacun n'ait eu qu'une petite — mais
célèbre — production, comme Leroy, Savy, Robert, Perrin. Ici aussi on
abandonne rapidement le grand feu, car on veut des décors délicats en même
temps qu'exubérants inspirés de fantaisies champêtres, coloniales ou de
poissons. Un vert éblouissant y prédomine et l'influence du grand port latin
s'étend à toute la Méditerranée.
Toulouse eut aussi sa renommée, mais pas la Toulouse
actuelle. C'est de Vieille-Toulouse, sur les collines dominant le confluent de
l'Ariège et de la Garonne, 10 kilomètres au sud-est, dont il s'agit. Son bleu
Nattier et ses décors en grisailles sont célèbres.
Difficulté de fabrication, rareté de kaolin parfait font que
la porcelaine, beaucoup plus onéreuse, est aussi plus rare. (Son nom est
tiré de celui d'une nacre provenant de certains poissons exotiques.) Son
berceau est la Chine, et l'importation en France ne remonte qu'au XVIe
siècle en passant par l'Italie. À l'inverse de la faïence, la porcelaine est
vitrifiée en la masse, et celle-ci est translucide. Le secret de fabrication
fut découvert fortuitement, en 1704, par un barbier voulant confectionner une
perruque. Simultanément en Saxe et à Strasbourg le même secret se trouvait percé.
Découverte aux conséquences énormes, car la pâte dure allait permettre de
concurrencer la vaisselle de métal des orfèvres.
Mais si la Saxe réalisait la pâte dure, c'est à Saint-Yrieix,
près Limoges, que devait se révéler le plus magnifique gisement de kaolin pur
en 1768. Alors se succèdent tous les grands perfectionnements de fabrication
et, dix ans après, la réalisation de la cuisson à la houille. De tous côtés, en
province, des manufactures vont pouvoir s'établir, mais Sèvres par son bleu,
ses ors et le groupement de prestigieux décorateurs conservera une absolue
suprématie.
C'est Sèvres qui portera aux quatre coins du monde la gloire
universelle de la porcelaine de France.
Janine CACCIAGUERRA,
De l'École des Chartes et l'École des Langues orientales.
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