Il y a quelques mois, une information aéronautique était
diffusée assez confidentiellement ...
Elle émanait des bureaux d'études de la plus puissante firme
française de construction de moteurs et de réacteurs d'aviation : la S. N. E. C. M. A.,
autrefois Gnome et Rhône.
L'information était substantiellement rédigée : « Le
problème du freinage aérodynamique des avions à réaction, auquel se sont
attaqués les ingénieurs de la S. N. E. C. M. A. depuis
plusieurs années, est sur le point d'être résolu. Des résultats décisifs
ont été obtenus dans nos bureaux d'études et à nos bancs d'essais. »
L'information aurait pu paraître anodine ... aux
profanes ! En fait, un des plus importants problèmes qui freinaient
l'essor de l'aviation à réaction allait être résolu. La puissante firme
française qui fit capituler, jusqu'en 1939, tous les constructeurs de moteurs
du monde sur les marchés aéronautiques internationaux, et particulièrement
d'Europe centrale, avec ses fameux moteurs des séries Gnome et Rhône K-14,
14-M, 14 N, 14 R, reprenait le flambeau. Elle annonçait aussi les
brillants résultats d'homologation des turboréacteurs Atar, les essais
édifiants du prototype « Vulcain », mais, malheureusement aussi,
faute de crédits, et par suite de certaines divergences de vues avec nos
services techniques officiels, l'abandon d'une formule concrétisée par la
réalisation du turbo-propulseur : TB-1000 (turbine à hélice), capable de
rivaliser avec les plus récentes réalisations anglaises dans ce domaine.
Je m'excuse d'avoir ouvert cette parenthèse. Revenons à
notre étude sur le problème du freinage aérodynamique des avions à réaction.
Comme nous l'avons déjà vu dans nos précédentes causeries,
une des servitudes de l'avion à réaction est qu'il exige des pistes plus
longues que l'avion à hélices.
Le problème du décollage sur une distance acceptable de
l'avion à réaction a d'ailleurs été, en principe, résolu. L'on sait (1) que le
système de post-combustion, qui se généralise sur les réacteurs, permet
d'accroître, momentanément, la poussée de ces derniers au décollage ou dans des
manœuvres délicates ... telle une reprise foudroyante au cas d'un
atterrissage manqué. D'autre part, l'utilisation des fusées de décollage se
révèle particulièrement efficace.
Ainsi, si l'on arrive à réduire la longueur du roulage au
sol pour le décollage, encore faut-il que l'on améliore les conditions
d'atterrissage ne contraignant plus à disposer de pistes longues, l’édification
de ces pistes et leur entretien étant, comme on le sait, excessivement
onéreuses et, de surcroît, très vulnérables en cas de conflit.
L'avion à « marche arrière ».
— Sur les avions à moteurs classiques à pistons, l'on a
vu apparaître successivement les freins sur les roues du train d'atterrissage,
les freins aérodynamiques et les hélices freinantes. Si les hélices à pas
variable avaient déjà amélioré beaucoup les problèmes de décollage et
d'atterrissage, l'inversion du pas de l'hélice renversant la poussée donna la
solution d'un problème que ni les freins aérodynamiques, ni les freins sur roues
ne permettaient de résoudre : le freinage et l'arrêt de la course
d'atterrissage sur une piste glissante. L'avion à « marche arrière »
était né.
Il apparaît donc bien nettement que l'avion à réaction est
en état d'infériorité, lors de l'atterrissage. Pour cette raison, et pour tous
les problèmes d'infrastructure que cela pose, il est indispensable de doter les
avions à réaction d'un moyen de freinage par annulation et même inversion de la
poussée, comme on l'obtient des moteurs à pistons munis d'hélices à pas
réversibles.
Ce dispositif comportera d'ailleurs d'autres avantages. Sur
les avions militaires, en combat, il permettra de réduire brutalement la
vitesse, sans réduire ou en ne réduisant que très légèrement le régime du
réacteur. À l'atterrissage, il évitera la fâcheuse poussée résiduelle des
réacteurs au ralenti, en conservant la possibilité d'une reprise facile en cas
d'atterrissage manqué.
Enfin, et alors que les freins aérodynamiques ne réagissent
pratiquement plus en fin de course d'atterrissage et que les freins de roues
sont inopérants sur une piste glissante, le dispositif d'inversion permettra
d'arrêter l'avion à réaction dans cette situation critique.
Un problème très étudié.
— L'idée de principe d'un tel freinage par la déviation
du jet des réacteurs est d'ailleurs apparue presque en même temps que l'idée
des turbo-réacteurs eux-mêmes. Dès les premiers brevets sur les réacteurs, on
trouve l'idée d'inverser le jet pour freiner. Mais, si l'idée de principe de
dévier le jet pour annuler ou inverser la poussée avait tout de suite germé
dans le cerveau des pionniers de la propulsion par réaction, les études
réalisées pour l'appliquer restèrent pratiquement toutes « sur le papier ».
Une solution très simple, en apparence, et qui vient tout de
suite à l'esprit, celle par exemple consistant à faire passer le jet dans une
tubulure le retournant vers l'avant, se révéla pratiquement inapplicable. Cette
idée nécessitait la disposition à l'arrière des turbo-réacteurs de dispositifs
extrêmement encombrants, difficiles à escamoter et qui cadraient mal avec les
lignes d'un avion moderne, à grande finesse et à vitesse élevée.
Les ingénieurs des bureaux d'études de la S. N. E. C. M. A.
se montrent encore très discrets sur leurs travaux. Un fait est certain :
c'est qu'ils ont abouti ...
Se sont-ils inspirés des travaux du regretté ingénieur
Clerget ? Ce dernier avait réussi, sur son moteur 300 CV Diesel
d'aviation à 9 cylindres, à inverser le sens de rotation de l'hélice, en
inversant le sens de rotation du moteur, résultat obtenu par le simple
déplacement de la came d'injection du Diesel.
Les ingénieurs de la S. N. E. C. M. A.
ont-ils mis au point un dispositif permettant d'inverser en vol le pas
des aubes de la turbine ?
Lorsque l'on connaît la complexité de fabrication d'une
turbine, les difficultés de fixation des aubes, et que l'on note la température
élevée à laquelle ces derniers fonctionnent (800°), la difficulté de réaliser
ce dispositif oscillant semble insurmontable.
Un peu de patience encore et nous connaîtrons les détails
techniques de cette réalisation française qui est capable d'améliorer d'une
façon considérable les conditions d'emploi des avions à réaction.
Maurice DESSAGNE.
(1) Voir Le Chasseur Français de décembre 1950.
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