Entre tous les timbres français, ceux qui proviennent des
émissions de Bordeaux sont parmi les plus rares et les plus recherchés des
philatélistes.
Le 18 septembre 1870, la capitale était investie par
les armées allemandes. Les communications avec la province se trouvaient ainsi
coupées, et, de ce fait, le réapprovisionnement des bureaux de poste du
territoire en vignettes postales par les ateliers de la Monnaie de Paris, qui
les imprimaient exclusivement, devenait impossible. On songea à charger la
Monnaie de Bordeaux de la confection de timbres provisoires, et Delebecque,
ancien directeur de la Monnaie de Strasbourg, eut pour mission d'y organiser
une telle fabrication, en même temps que d'y présider à la reprise de la
frappe.
Delebecque passa commande à l'imprimeur-lithographe
Augé-Delille, de Bordeaux, de la gravure d'une figurine destinée à remplacer
celle portant les traits de l'empereur et qui, pour répondre au désir exprimé
par l'Administration, devait être la copie, aussi exacte que possible, de la Cérès
de Barre père.
Ce fut le dessinateur Dambourgez qui exécuta cette copie de
la Cérès. Mais alors que, jusque-là, en France, les timbres avaient été obtenus
par le procédé typographique, c'est à la lithographie que l'on allait avoir
recours pour la réalisation des divers tirages.
Dambourgez établit à la plume, sur pierre, un dessin qui,
sans en avoir la pureté, reproduisait néanmoins assez fidèlement, dans son
ensemble, l'effigie due à J.-J. Barre, et ce dessin servit à former une
première planche de figurines de 20 centimes, dont un besoin urgent se faisait
sentir pour l'affranchissement des lettres simples. Imprimés à la hâte en bleu
et non dentelés, les timbres furent émis le 13 novembre 1870.
Ces timbres de 20 centimes, du « premier type »,
se reconnaissent très facilement au profil de la déesse, qui est à peu près
identique à son modèle. Comme sur ce dernier, les ombres du cou sont légères et
formées de points, et les inscriptions très petites. Aucune confusion n'est, du
reste, possible avec les timbres de 20 centimes de 1849, qui sont tirés en
noir.
Or, les résultats obtenus ne furent pas jugés satisfaisants
par l'Administration. Augé-Delille s'adressa alors à un habile graveur
bordelais, élève de Dambourgez, à Léopold Yon, pour la confection d'une nouvelle
gravure du timbre de 20 centimes, et l'artiste, au lieu de dessiner la figurine
à l'encre lithographique, comme l'avait fait son maître, grava celle-ci sur la
pierre à la pointe d'acier et de diamant.
C'est ainsi que le « deuxième type » du 20 centimes
fit son apparition le 20 novembre 1870. Très finement gravé, il se
distingue du « premier type » par un profil de Cérès où la ligne du
nez, au lieu de former un angle obtus très ouvert avec la ligne du front,
continue presque en ligne droite cette dernière, par les ombres du cou, faites
de traits au lieu de points, et par des inscriptions un peu plus grasses.
Toutefois, ces inscriptions sur le timbre furent encore
trouvées insuffisamment lisibles. Le graveur les reprit en leur donnant plus de
hauteur, et, en même temps, il apporta quelques retouches à l'encadrement et à
l'effigie, dont les détails devinrent plus apparents.
Le « troisième type » du 20 centimes était né, où
le profil de Cérès, avec les ombres du cou formées de traits, gardait le caractère
qu'il avait dans le type précédent, mais où les inscriptions devenaient plus
grosses. Les premiers timbres à ce « troisième type » sortirent,
croit-on, des presses en janvier 1871.
La série complète des timbres-poste de Bordeaux se composa,
en plus de la valeur de 20 centimes, des autres valeurs suivantes non dentelées :
1 centime, 2 centimes, 4 centimes, 5 centimes, 10 centimes, 30 centimes, 40
centimes et 80 centimes, à l'effigie de Cérès, gravées par Léopold Yon sur le
modèle du deuxième type du 20 centimes et émises le 13 novembre 1870. Les
trois premières portèrent, ainsi que les timbres correspondants de l'Empire,
deux grands chiffres à gauche et à droite du mot Postes ; les autres, de
petits chiffres. Pour chacune de ces valeurs, une gravure particulière fut
exécutée, ainsi qu'on peut s'en rendre compte en examinant attentivement, à la
loupe, les timbres dans leurs détails, qui présentent de sensibles différences.
Un chiffre-taxe, dont le nom de l'auteur ne nous est pas
parvenu, a été également réalisé en lithographie. Gravé originalement en relief
sur bois, ce chiffre-taxe, d'une valeur de 15 centimes, est, à peu de chose
près, la reproduction de la même valeur dans l'émission de 1859-1863, obtenue
par la typographie. Sa mise en vente eut lieu en novembre 1870.
Les émissions de Bordeaux sont, de toutes les émissions
françaises, celles qui présentent le plus grand nombre de variétés, non
seulement de nuances, mais aussi d'images. En ce qui concerne les variétés
d'images, leur explication est la suivante :
Que la matrice originale ait été dessinée par l'artiste sur
pierre à l'encre grasse — premier type du 20 centimes, — gravée à la
pointe sur pierre — autres timbres-poste de l'émission de Bordeaux, — ou
bien encore gravée en relief sur bois — timbres-taxe de 15 centimes, — sa
reproduction par le procédé lithographique nécessite des reports.
De cette matrice, on tire de très bonnes épreuves sur la
face encollée d'un papier de Chine spécial, dit « à reports », qui
permet, après des découpages effectués au ras des cadres des figurines, le
décalque de ces dernières sur la pierre. La pierre est ensuite préparée,
c'est-à-dire mordue à l'acide nitrique étendu d'eau, dans toutes les parties où
elle n'est pas protégée par l'encre lithographique. Prête pour le tirage, seul
le dessin qu'elle porte, avec un faible relief, recevra l'encre d'imprimerie.
Cependant, pour l'impression des timbres de Bordeaux, afin
de ne pas fatiguer par les tirages les reports obtenus comme nous venons de
l'indiquer, on fit de ceux-ci de nouvelles reproductions qui, lorsqu'il
s'agissait des timbres-poste, servirent à confectionner sur d'autres pierres — en
utilisant pour chacune 20 reproductions d'un bloc-report de 15 épreuves
— des planches de 300 timbres, formées de deux panneaux de 150
exemplaires, séparés par une marge verticale et, lorsqu'il s'agissait des
timbres-taxe, des planches comprenant trois panneaux de 50 timbres, également
séparés par des marges verticales, et correspondant à une demi-feuille.
Les reports successifs, les retouches surtout auxquelles ces
reports donnèrent lieu, les empâtements enfin, lors de l'impression, sont ainsi
la cause des nombreuses variétés d'images que l'on rencontre sur les timbres de
Bordeaux.
Certaines de ces variétés d'images, certaines nuances, certaines
oblitérations aussi ne se trouvent aujourd'hui que difficilement et atteignent
de hauts prix. Les spécialistes recherchent les nuances chocolat et brun
rouge sur jaune (cette dernière d'une impression très fine, appelée à tort « tirage
de Tours ») du 2 centimes ; la nuance vert émeraude du 5 centimes,
qui cote 30.000 francs à l'état neuf ; les nuances outremer des deux
premiers types du 20 centimes ; la nuance rouge sang du 40
centimes, qui atteint le prix de 60.000 francs à l'état neuf ; les nuances
rose carminé et groseille du 80 centimes ...
Les timbres qui ont été dentelés ou percés non
officiellement par des bureaux de poste ou par des particuliers ont leurs
amateurs. Le piquage d'Avallon notamment, à grandes dents pointues, fait du
troisième type du 20 centimes qui, à l'état usé, n'est pas rare, tout au moins
dans ses principales nuances, une véritable vedette.
Mais, de tous les provisoires de Bordeaux, le rara avis
est incontestablement le premier type du 20 centimes, à l'état neuf, dont la valeur
est estimée de 150.000 à 200.000 francs, suivant sa nuance. Ce timbre ne
pouvait manquer de tenter les contrefacteurs, et l'on en connaît plusieurs
imitations. Il existe d'ailleurs des faux dangereux des deux autres types du 20
centimes, des 2 centimes, 4 centimes, 10 centimes, 40 centimes et 80 centimes,
ainsi que du chiffre-taxe de 15 centimes.
DRAIM.
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