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La caille et sa nature

Le mot caille vient du bas latin quacola ; son nom scientifique est coturnix. C'est un gallinacé de la tribu des perdicinés. Ces derniers oiseaux se distinguent par leurs formes trapues, leurs ailes de moyenne longueur, une queue courte et des pattes relativement faibles. Ce dernier caractère est plus apparent que réel ; on dit de quelqu'un qui a les jambes maigres qu'il a des jambes de coq ; or les humains qui ont des jambes maigres, mais nerveuses bien sûr, sont d'excellents marcheurs. De même les perdicinés, qui comptent les perdreaux, les faisans et les cailles, sont des oiseaux piéteurs, comme tous les gallinacés ; à rencontre d'autres oiseaux qui s'établissent sur les arbres, eux vivent principalement sur terre et accomplissent leurs déplacements autant à pattes qu'au moyen de leurs ailes. On ne les voit jamais effectuer dans l'air des farandoles ou des évolutions, comme les passereaux et bien d'autres espèces, qui, même sans chasser leur nourriture, semblent avoir l'immensité des cieux pour vrai domaine, tandis que les gallinacés sont de véritables terriens. La faible surface de leurs ailes, par rapport à la densité de leur corps, relativement gros et pesant, les prédispose à cet état ; à moins que leur conformation ne soit la conséquence d'une adaptation fonctionnelle. Leur vol est lourd et le battement de leurs ailes si rapide qu'il produit un fort ronflement très caractéristique, objet d'une émotion que connaissent tous les chasseurs et qui cause souvent leurs déboires. S'ils viennent à planer, ce n'est que par vitesse acquise, et non comme les oiseaux bons voiliers, qui parcourent parfois de grandes distances sans faire un mouvement, en se laissant porter par les ascendances thermiques.

La caille offre à peu près l'aspect d'un perdreau nain, un peu plus ronde et avec une queue si courte qu'elle ne paraît pas exister. La tête est, en proportion, plus petite, le bec plus fin que chez le perdreau ; les yeux sont bruns et vifs ; les pattes, grêles et jaunâtres, ne portent pas d'ergot ; la teinte générale est plutôt claire, celle du ventre notamment ; l'ensemble du plumage est flammé de brun ; le dessus de la tête est relativement foncé ; une ligne de même couleur souligne les yeux et le bec et forme un collier chez les mâles, sur une gorge blanche.

Bien que, d'après les ornithologistes, il en existerait dix-sept espèces dans le monde, les cailles qui viennent chez nous semblent appartenir à la même espèce commune, la plus connue et la plus répandue. Néanmoins, les chasseurs observent quelques légères différences entre certains individus : les uns, plus gros, plus ronds, aux teintes vives, dont le brun, plus foncé, est celui d'une feuille morte ; les autres plus petits et de teintes plus claires, plus grises. L'âge ne semble pas être la cause de ces variations, pas plus que la nature des cultures ou les régions choisies pour habitat. Les premiers se rencontrent surtout au printemps et à l'ouverture de la chasse, les seconds plus tard. Cette constatation fait désigner les uns cailles du pays, les autres cailles de passage. Sans doute, toutes deux sont bien des oiseaux de passage, c'est-à-dire des migrateurs ; mais cette discrimination n'est pas sans fondement. Les grosses cailles, aux teintes chaudes, sont celles qui ont niché chez nous ; il se peut qu'on les rencontre aujourd'hui dans un secteur où il n'y en avait pas les jours précédents ; mais cela ne fait pas obstacle au fait qu'elles sont arrivées au printemps, ont niché ou sont nées dans la région voisine et qu'elles ont effectué quelque déplacement. Passagères dans le secteur où elles font escale, elles sont néanmoins du pays, au sens donné par les chasseurs aux cailles ayant adopté la France pour leur habitat printanier. Les autres, les petites grises, se rencontrant, en général, plus tard dans la saison, semblent constituer le contingent du deuxième passage, celui qui a lieu dans le mois de septembre ; quelques-unes, peut-être, ont aussi niché dans notre pays ; mais il est vraisemblable d'admettre qu'elles arrivent directement de contrées plus méridionales, d'où, s'y étant fixées au printemps, la trop forte chaleur, la sécheresse et la disparition de bonne nourriture les chassent plus au nord vers des pays plus tempérés.

Cette hypothèse est de nature à renforcer une opinion selon laquelle les cailles dites du pays appartiendraient au groupe venant du Soudan et d'Égypte, les autres venant d'Algérie, du Maroc ou d'Espagne. En étudiant leur migration, on constate, en effet, que les cailles venant en Europe peuvent aussi bien provenir du groupe ouest-africain, qui part du Sénégal et des régions voisines pour peupler l'Afrique du Nord au printemps, que du groupe est-africain, parti du Soudan et d'Égypte. Or ces derniers individus, qu'on voyait autrefois offerts vivants, en cages, à Paris, sous le nom de cailles vertes d'Égypte, sont bien semblables aux cailles dites du pays. La distinction faite par les chasseurs serait donc judicieuse et il s'agirait bien de deux espèces différentes, provenant de lieux bien distincts. Il en résulterait que les cailles d'Égypte arrivent chez nous au printemps, tandis que les cailles sénégalaises s'arrêtent d'abord en Afrique du Nord, d'où certaines d'entre elles montent plus haut un peu plus tard. Ce n'est qu'une hypothèse vraisemblable.

Le père Exalt était bien plus catégorique ; sans qu'il se fût jamais préoccupé de savoir si elles arrivaient d'Afrique, d'Asie ou d'Amérique, constatant simplement qu'elles tombaient du ciel, il affirmait qu'il existait cinq espèces de cailles : la rousse, la grise, la verte, la barbajole et l'hivernenque.

Les deux premières étaient évidemment les seules qui répondaient à une classification logique, celle décrite ci-dessus. Pour lui, la caille verte était une sorte de perruche, fort rare ; il prétendait en avoir vu, il y avait fort longtemps, et en faisait une bizarre description ; il prétendait même qu'en lui coupant le fil sous la langue elle parlait, comme les geais et les perroquets. Il ne se doutait pas en avoir vu beaucoup, sans le savoir, et capturé vivantes par douzaines, quand, au printemps, avec l'appeau, dans les blés verts qui leur valaient leur nom, à l'aide de filets et quelquefois même à la main, tant il les attirait près de lui, il en faisait ample cueillette qu'il vendait au marchand de volailles. Elles allaient se mêler, à Paris, à ces cailles vertes d'Égypte, venues peut-être aussi d'Italie ou d'ailleurs, dont la vente a été longtemps autorisée, au grand dam des passages.

La barbajole, il la nommait ainsi, comme d'ailleurs certains chasseurs le font toujours, à cause de sa barbe. Certes, je n'ai point vu des cailles barbues comme la grande outarde ou l'urogalle, mais nous avons tous observé que de jeunes individus ont sous le bec quelques plumes fines et blanches et qui seraient, tout simplement, des cailleteaux mâles n'ayant pas encore mué. Toutefois, père Exalt affirmait qu'il s'agissait de cailles d'Arabie ; mais il ne m'a pas dit d'ou il tenait l'information. Après tout, avait-il peut-être raison, bien que des gens sérieux, ayant mis en captivité des barbajoles, aient constaté que, sans le secours d'un coiffeur, ils prennent la livrée des mâles ordinaires.

Les cailles qu'il nommait hivernenques étaient celles qui, très exceptionnellement, passaient l'hiver dans son pays ; du moins il supposait qu'elles l'y passaient. Il lui était, en effet, arrivé deux fois dans sa vie de lever une caille hors des saisons habituelles ; l'une en décembre, qui s'était levée sous ses pas dans une friche, et l'autre, bien des années après, en plein mois de janvier, qu'il avait levée en bordure d'un bois. Il en avait conclu un peu hâtivement que les cailles faisaient un passage en hiver ; car, ne les chassant pas, sauf au filet au cours du printemps, il supposait que, chaque année, il devait s'en trouver durant la saison froide.

Il est exact que, presque tous les ans, des chasseurs lèvent des cailles après le grand départ normal ; les revues cynégétiques s'en font souvent l'écho ; mais il ne s'agit jamais que d'un individu qui, sans doute blessé, n'a pas pu se risquer à entreprendre le voyage de retour. Le fait que certains de ces oiseaux, ayant été tués, ne présentent pas trace de blessure peut laisser supposer qu'après la guérison de celle-ci, ayant trouvé sur place une nourriture suffisante et peut-être l'hiver n'étant pas rigoureux, ils se sont habitués à la région. L'explication peut aussi en être donnée par une raison plus logique : le besoin d'émigrer se fait sentir chez les oiseaux à des époques fixes ; il n'est pas le fait d'une décision raisonnée, pour échapper à la disette ou pour nicher sous un climat propice à l'incubation, mais d'un instinct à manifestation périodique, ne se manifestant, avec la régularité d'une horloge, qu'aux moments où la nature l'impose. En dehors de ces époques, le migrateur n'est pas poussé par cet instinct, et son intelligence personnelle ne saurait y pourvoir ; passé l'heure des migrations, l'oiseau se trouve donc dans le cas d'un voyageur ayant manqué le train et il reste sur place exposé aux dangers qui le guettent. On peut aussi bien supposer que cet instinct a un caractère grégaire et qu'un individu isolé ne le perçoit pas ; toutefois, une telle hypothèse est contredite par le fait qu'un oiseau migrateur mis en cage, isolé, subit les influences des saisons et, malgré sa prison, fait des efforts pour s'en aller au moment des passages.

La classification du père Exalt, bien qu'assez fantaisiste, n'était donc pas entièrement sans fondements. Voici ce que disait le professeur de Serres, il y a cent ans, dans son traité sur la migration des oiseaux, au sujet des barbajoles et hivernenques :

« Après le départ des cailles en automne, il en reste toujours vers les bords de la mer quelques-unes qui passent l'hiver en Europe ; quelquefois même on les y voit en assez grande quantité. Ces cailles, nommées dans le Midi de la France hivernenques, commencent à chanter et à s'apparier dès le mois de mars. Il n'est pas rare d'en découvrir des couvées dès les premiers jours d'avril, avant l'arrivée de leur espèce. À plus forte raison, les cailles qui sont dans un pays plus chaud s'accouplent et pondent plus tôt encore. Ce sont les cailleteaux provenus de ces nichées précoces, trop jeunes encore pour suivre leurs parents, à l'époque des migrations. Ils nous arrivent aussi plus tard, lorsque quelque cause détermine leur déplacement et que les vents les dirigent vers les contrées méridionales de la France. Lors donc que l'on remarque dans ces contrées une quantité considérable de ces cailles nommées barbajoles ou barbes blanches, on est presque assuré que le passage de ces oiseaux sera très abondant en automne ... Ces cailles, qui nous viennent pour lors, sont presque toutes des mâles ; comme les femelles, ils ont la gorge blanche et tous les autres caractères des cailleteaux. Ces mâles, dans le jeune âge, sont ceux dont la venue a lieu de bonne heure dans les climats du Midi. Ils sont la cause de bien des méprises que font à leur égard un assez grand nombre d'ornithologistes. »

Comme les perdreaux, les cailles sont monogames ; comme les perdrix, sans construire à proprement parler de nid, elles déposent leurs œufs dans les blés verts, les prairies artificielles ou des friches ; ils sont au nombre de dix à douze et tachetés de brun. L'incubation, plus rapide que chez les perdreaux, permet, quand le temps est propice, deux couvées dans la même saison. C'est ce qu'explique la présence normale de cailleteaux à l'ouverture de la chasse et corrobore les observations concernant la présence de cailles en arrière-saison.

Ce délicieux gibier est un mets des plus délicats, toujours tendre et très rarement maigre. Mais sa chair ne supporte pas la mortification ; sitôt tuée, sitôt mangée, la caille se rôtit, selon l'expression consacrée et bien imagée, au bout du fusil. Dans le Midi, on la cuit à la casserole, enveloppée d'une feuille de vigne ; ainsi, non desséchée et conservant tout son parfum, on la prend par le bec, sans enlever son enveloppe croustillante, et on croque, le tout sans omettre les os.

Puisse une telle destinée être comprise et plus souvent appréciée de ceux qui ont le pouvoir d'autoriser la chasse de la caille au vrai moment où l'on peut en trouver !

GARRIGOU.

Le Chasseur Français N°669 Novembre 1952 Page 643