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Les nids maçonnés

Une phrase mal construite et ponctuée de façon défectueuse, dans ma causerie de mai dernier intitulée : « Merle, merlette et merluchons », m'a valu une réclamation d'un abonné de Seine-et-Oise, M. d’E ..., qui assure n'avoir jamais vu, parmi la centaine de nids de merles qu'il a examinés, un seul d'entre eux qui fût revêtu de mortier.

Et moi pas davantage ! J'avais écrit, parlant de la merlette : « Elle ne laisse pas à nu, comme la grive, le beau mortier poli en forme d'écuelle qui recouvre l'armature de mousse et de feuilles, mais elle le garnit douillettement d'une couche d'herbes sèches. » On a pu s'y tromper, bien sûr. C'est la grive qui laisse à nu son beau mortier poli en forme d'écuelle, et c'est la merlette qui garnit intérieurement le sien d'une couche d'herbes sèches. Ce nid est maçonné, lui aussi, mais d'une tout autre façon que celui de la grive et avec beaucoup moins d'art.

Merles et grives ne sont pas, d'ailleurs, les seuls oiseaux à gâcher de la terre pour construire leurs nids. Ils ne sont pas même les plus connus de ces habiles maçons ailés. La pie et parfois le geai en font également partie. Mais tous n'emploient ce talent que leur a donné la nature qu'en vue seulement d'assurer plus de solidité à leur nid, construit dans l'ensemble avec des matériaux tout différents. Seules, plusieurs espèces d'hirondelles, au nombre desquelles les deux qui nous sont le plus familières, l'hirondelle rustique, ou hirondelle de cheminée, et l'hirondelle de fenêtre utilisent la boue gâchée pour en former la structure intime de leur demeure.

Puisque la réclamation de M. d’E ... m'en donne l'occasion, nous allons, afin de dissiper toute équivoque, étudier ces ingénieux constructeurs, qui méritent d'ailleurs d'attirer notre attention par leur courage, leur persévérance et leur savoir-faire.

Tout le monde connaît les nids d'hirondelles. Tout le monde aussi a pu les voir recueillir au bord des rivières ou des mares la terre humide qu'elles apportent par petites becquées à l'endroit qu'elles ont choisi pour y construire leur nid : intérieur des granges, des écuries, où elles l'accrochent aux poutres, pour l'hirondelle rustique à gorge rousse ; parfois aussi dans l'ouverture d'une cheminée inutilisée ; dessous d'une fenêtre, d'un balcon, et plus souvent d'un toit, pour l'hirondelle de fenêtre à gorge et à croupion blancs. Que d'allées et de venues avant que la provision de terre boueuse soit suffisante ! Que de difficultés dans les saisons sèches, où le bord même des eaux se durcit et s'effrite, car toutes deux font plusieurs nichées, la dernière en juillet, et il n'est pas rare de voir encore des petits au nid dans le courant d'août. Les deux espèces mêlent à leur solide mortier des brins de paille pour en augmenter la cohésion. Mais la forme de la construction diffère suffisamment pour qu'en l'absence des habitants on reconnaisse au premier coup d'œil l'identité des propriétaires, l'hirondelle rustique construisant le sien en forme de coupe, largement ouvert par le haut, tandis que l'hirondelle de fenêtre lui donne une forme hémisphérique avec une entrée latérale, sensiblement plus petite.

L'hirondelle de rochers, qui habite, en France, les montagnes rocheuses de la Provence, bâtit un nid semblable à celui de l'hirondelle rustique, mais elle l'abrite sous une saillie de ces rochers parmi lesquels elle passe toute sa vie.

En Algérie, dans le sud de l'Espagne, de l'Italie, et dans les îles de la Méditerranée existe, comme je l'ai appris récemment par une lettre d'un abonné des environs d'Oran et par la documentation que M. Delapchier a bien voulu aimablement me fournir, une quatrième espèce d'hirondelle maçonne, l'hirondelle rousseline, dont le nid, construit de façon analogue à celui des espèces précédentes, présente un couloir d'entrée latéral qui lui donne l'aspect d'une moitié de gourde fixée horizontalement. Elle aurait, paraît-il, niché quelquefois en France.

Après les hirondelles, le prix revient sans conteste à notre grive musicienne. C'est bien elle, et elle seule, qui double son nid, construit à l'extérieur d'herbes sèches, de quelques ramilles, parfois d'un peu de mousse et de feuilles mortes, de ce beau mortier qu'une phrase maladroite a pu faire croire à M. d’E ... que j'attribuais au merle. Elle ne se contente pas comme la merlette de terre humide pour le gâcher, mais elle emploie de la bouse de vache et des raclures de bois qu'elle amalgame avec sa salive et dont elle enduit les parois jusqu'à transformer l'intérieur du nid en une sorte d'écuelle, parfaitement lisse et arrondie. Ses œufs, ses beaux œufs bleu-ciel, tachés de quelques points noirs, y reposent à même, sans aucune interposition d'herbes ou de mousse, au nombre généralement de quatre ou cinq. On trouve ce nid remarquable, quelquefois très bas, dans un arbuste ou une haie, souvent, en forêt, dans un jeune sapin, mais quelquefois beaucoup plus haut. Elles ont niché chez moi dans un chêne, à la hauteur du toit de ma maison.

La draine aussi maçonne son nid, mais n'atteint pas au même art que sa cousine musicienne et elle le double, comme le merle, d'une couche d'herbes fraîches ou sèches. Elle niche de très bonne heure, souvent bien avant que les arbres aient encore la moindre feuille, mais elle sait employer, pour le dissimuler dans la mesure du possible, le même procédé que la pinsonne. C'est-à-dire qu'elle habille soigneusement l'extérieur de son nid de la mousse et des lichens qui croissent sur la branche même où elle l'a installé et lui donne ainsi l'apparence d'une simple excroissance de bois.

Nous arrivons ainsi à la merlette et à son nid incriminé. Elle le construit à toute hauteur, depuis le niveau du sol jusqu'aux branches élevées des grands arbres, avec des herbes sèches, un peu de mousse, quelques ramilles et quelques feuilles mortes, le tout englué d'une forte couche de terre boueuse, qui ne forme pas cependant un crépi lisse, en forme d'écuelle, comme celui de la grive, mais s'attache aux divers matériaux employés et les solidifie. Sur le tout est disposé un moelleux lit d'herbes sèches qui donne aux œufs et aux petits le confort nécessaire. Mais ne voilà-t-il pas que, me fiant aux données du vieux Brehm, confirmées par P. Paris et d'autres ornithologues, j'ai attribué à ce couple emplumé de noir quatre à six œufs par nichée. M. d’E ... proteste qu'il n'y en a jamais plus de cinq, et souvent de trois quand il s'agit de jeunes merlettes à leur première ponte. Moi, je veux bien, d'autant plus que c'est, je crois, ce nombre-là que j'ai trouvé le plus souvent et, comme son étude a porté, dit M. d’E ..., sur des centaines de nids, on peut en être convaincu, quoiqu'un auteur anglais prétende qu'on en trouve exceptionnellement jusqu'à huit.

Cette mauvaise engeance qu'est la pie sait fort bien, elle aussi, maçonner son énorme nid, Le procédé qu'elle emploie donne un résultat intermédiaire entre celui de la grive et du merle, mais n'atteint pas, de loin, à la réussite de la première. Tel quel, le phénomène est imposant, car l'oiseau emploie volontiers à sa construction des rameaux épineux qui lui donnent dès l'abord un caractère offensif ; il le surmonte d'un toit en forme de dôme avec une large entrée latérale. Quand la maçonnerie est sèche, il y ajoute une doublure de racines sur laquelle reposent les œufs bleuâtres densément tachetés de brun. Lorsqu'on pense au travail que nécessite un tel édifice et que la pie a fréquemment l'habitude d'en construire plusieurs pour dépister les recherches des observateurs, on ne peut qu'admirer et regretter en même temps que pareille puissance de travail soit au service d'un personnage si malfaisant.

Un autre de ces pillards nuisibles, le geai, maçonne aussi parfois, paraît-il, son nid, fait de bûchettes et d'herbes sèches, et le double, comme fait la pie, de fines racines. C'est du moins ce que rapporte l'auteur anglais cité plus haut. Il est moins gros, à peine plus que celui de la draine, et se rencontre dans les fourrés, les grandes haies et les arbres de dimension moyenne. Sa grande ruse pour en préserver le secret est le silence complet qu'il observe au temps des couvées, remettant à plus tard, pour se dédommager, le rôle d'avertisseur toujours en alerte qu'il affectionne le reste de la saison.

Enfin, on donne souvent le nom de pic-maçon à la sittelle, qui ne le mérite pas, car tout son talent se borne à enduire d'une sorte de ciment l'entrée de son trou, lorsqu'elle la juge trop grande ouverte. Pourquoi, de tous les oiseaux que ce mot de maçon décrirait avec exactitude, l'a-t-on décerné à celui qui n'y a véritablement qu'un droit assez mince ? Habitude, hélas ! trop humaine qui nous influence jusqu'en ce domaine étranger pourtant à toute préoccupation arriviste.

Pierrette MAGNE.

Le Chasseur Français N°669 Novembre 1952 Page 644