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Dernier acte

Tous les chasseurs par définition sont des êtres qui donnent la mort, beaucoup cependant semblent l'oublier, et cette puérile inconscience m'a toujours surpris quand des tireurs, qui font, ou ont fait, dans leur vie des hécatombes de gibier, prenaient un air pincé devant le beau déduict qu'est la vénerie et les nécessités de l'hallali et de la curée.

C'est qu'à force de brûler des cartouches qui atteignent l'objectif convoité, ils arrivent à oublier que chaque pièce abattue est un animal passé de vie à trépas ; l'accoutumance les a rendus peu à peu insensibles et, s'ils ont du regret après un coup de fusil, ce n'est pas d'avoir vu tomber le gibier, mais, au contraire, s'il s'enfuit indemne.

Pourquoi dans ces conditions les veneurs montrent-ils parfois une certaine gêne à la mise à mort, cet acte indispensable qui finit un laisser-courre ? Est-ce parce qu'elle est moins fréquente ? Ou parce que l'animal est plus impressionnant par sa masse ou sa beauté ? Ou simplement parce que, l'animation de la poursuite n'existant plus, il leur répugne de supprimer un vaillant adversaire ?

Je n'en sais trop rien, mais je constate en toute sincérité qu'il y a là parfois un mauvais moment à passer pour beaucoup d'entre nous. Certains s'en tirent — et je les comprends ! — en laissant au piqueux le soin de servir la prise ; ils trouvent juste à cet instant un bon prétexte, et pour un maître d'équipage ils ne manquent pas, pour s'éloigner.

Il peut arriver cependant qu'il faut opérer soi-même ; on devra le faire vite et le faire bien, c'est-à-dire donner un coup de dague ou de carabine qui soit mortel.

Ce n'est pas si facile que cela ! Pour obtenir que l'animal s'écroule comme foudroyé, il s'agit d'atteindre un point vital, et ils ne sont pas nombreux. Il importe donc de savoir où et comment frapper, et pour cela l'apprendre.

La mort a un début et une durée : « C'est un phénomène progressif qui commence en un point et s'étend à l'ensemble », comme le définit Dastre. C'est très vrai, car, dans la pratique, la mort instantanée, foudroyante, celle que nous cherchons à donner, n'est pas toujours obtenue sur les grands animaux.

La vue du sang et la peur suivant un coup que la raison juge dangereux occasionnent chez l'homme l'arrêt de certaines facultés, le paralysant dans un état de stupeur ou d'immobilité. L'animal, lui, n'éprouve aucune crainte de la mort, puisqu'il l'ignore, et, atteint de blessures mortelles, est encore capable d'accomplir des choses surprenantes que lui commande son instinct de conservation.

Tous les chasseurs pourraient citer des faits étonnants accomplis par des animaux touchés à mort dans leurs derniers sursauts.

J'ai assisté à la fin de bien des bêtes noires et j'en suis arrivé à me demander qui peut se flatter de tuer roide un sanglier au ferme. Surtout qu'à ce moment décisif et émotionnant le chasseur tire le plus souvent à balle, craignant pour les chiens les ricochets des chevrotines. Or la balle est un projectile qui se montre déjà assez fantaisiste dans les ordinaires fusils de chasse et, chargée parfois d'une manière plus fantaisiste encore par d'ignorants armuriers — ou soi-disant tels, — peut occasionner bien des déboires quand on veut arrêter net la charge d'un animal dangereux. Le coup de chevrotines, honni par certains, est cependant bien préférable de près : le choc est plus brutal et plus efficace, la dispersion qui existe même à petite distance permet de corriger des erreurs de pointage assez excusables dans certains hallalis mouvementés, donnant ainsi une plus grande latitude pour atteindre des organes essentiels afin de mettre l'animal hors de combat.

Ceci dans les cas où l'arme à feu se révèle indispensable, et il y en a, mais le plus ordinairement l'arme la plus sûre, la plus nette, la plus classique et la moins dangereuse est encore la dague.

À première vue, cela peut étonner, et pourtant, dans la pratique, ce sont les hommes qui jouent du couteau qui ont le moins d'accidents, quand accident il y a, par rapport à leurs confrères tireurs. Cela s'explique facilement si l'on considère que le veneur allant servir un sanglier au ferme au couteau n'est pas un téméraire qui se lance follement dans une aventure. Ce qu'il va faire, il l'a déjà accompli plusieurs fois, et c'est d'une manière réfléchie et prudente qu'il abordera de près un adversaire dont il connaît les moyens, les réactions et la puissance. Le tireur, au contraire, peut pécher en ayant trop de confiance dans la portée et la terrible efficacité de son arme ; cela peut l'amener à certaines imprudences qui se traduisent alors par quelque bonne charge imparable, d'où l'on sort bousculé ou meurtri.

Pour servir normalement un animal au couteau, et surtout un sanglier, il faut que l'animal soit sur ses fins et aboyé par un certain nombre de chiens braves et surtout connaissant parfaitement l'homme qui va au ferme. Quand l'entente est parfaite, aux cris du veneur, ils sautent avec lui sur la bête hallali et, tandis que le maître saisit de sa main libre l'écoute du goret, ils le coiffent et le maintiennent. L'homme, raidissant alors le bras qui assure la prise — ce qui l'éloignerait ainsi automatiquement du sanglier s'il se rabattait sur lui, — vise le défaut de l'épaule et porte son coup un peu de bas en haut. L'arme entre jusqu'à la garde, il lui fait alors décrire une sorte de croix afin que la pointe de la lame touche plus sûrement le cœur dans cette double évolution et amène ainsi plus rapidement la mort.

Je devrais peut-être m'excuser de ces détails pénibles et par trop réalistes pour le cœur hypersensible de personnes qui, ne connaissant rien à la chasse, en seront probablement horrifiées. Mais nous avons tous eu la relation de fins d'animaux vraiment lamentables du fait de l'ignorance des hommes devant leur porter le coup de grâce. Tout s'apprend en ce monde, et un chasseur, puisqu'il est indispensable de tuer, doit le faire proprement et en homme soucieux de bien accomplir ce geste libérateur dont il serait oiseux de philosopher ici s'il est utile ou non. Évidemment, ce n'est pas une cuisine très ragoûtante à développer, mais tout n'est pas ragoûtant dans la cuisine.

Les animaux vraiment méchants et dangereux sont rares ; s'ils causent des accidents, cela est dû le plus souvent à l'ignorance et à l'imprudence des hommes. Pour aborder un animal hallali, tenant aux chiens dans un endroit qui n'est pas toujours facile, le veneur expérimenté essaiera d'approcher à bon vent, il évitera ainsi d'être chargé à l'improviste par le gibier devenu chasseur et qui le sent quand lui ne le voit pas encore. Autrement c'est comme cela que l'on se fait culbuter. Puis, quand il l'a découvert — et le cercle des chiens dont l'animal occupe sensiblement le centre le guidera, — le veneur jugera son adversaire, la situation qu'il occupe et le lieu où il se tient. Il avancera avec prudence, dirigeant sa marche de façon à aborder l'animal de trois quarts par l'arrière : c'est la position la plus favorable pour servir un animal au couteau. Dans la même position avec un fusil, l'animal présente une cible peu vulnérable, pour un coup mortel s'entend.

Quand il se montre de profil, la charge de chevrotines au cou l'abat ; sans prétendre que l'on ne puisse tirer ailleurs, j'ai reçu bien jeune cet enseignement dont j'ai pu vérifier l'excellence par la suite. Et, si une cartouche ne suffit pas, n'hésitons pas à donner un coup de grâce ; faire vite, c'est agir en bon chasseur.

Un couteau pour le sanglier doit être plutôt court : 0m,25 à 0 m,30 de lame ; une dague pour le cerf mesure au contraire de 0m,50 à 0m,55.

Le couteau doit être tenu à pleine main, les quillons venant reposer sur le haut de la main à la hauteur du pouce et de l'index, et non pas à l'envers, comme le représente parfois des dessinateurs bien ignorants de la vénerie, touchant l'auriculaire. En se servant ainsi d'une dague, on aurait de grandes chances de s'enfoncer la lame dans la cuisse.

J'aurais bien aimé vous raconter l'hallali le plus émotionnant auquel il m'a été donné d'assister, mais, comme la place me manque aujourd'hui, ce sera pour le mois prochain.

Guy HUBLOT.

Le Chasseur Français N°669 Novembre 1952 Page 645