Il y a plus de cent ans, Léon Bertrand, dans son
dictionnaire des forêts et des chasses, écrivait le mot rabouillière avec un
deuxième i, mais les écrivains cynégétiques modernes l'ont supprimé. Il
définissait ce mot : trou que fait la hase du lapin pour y déposer ses
petits.
Larousse, sous l'orthographe moderne, les définit :
terriers que les lapins se creusent à l'écart, où ils viennent se réfugier
lorsqu'ils sont poursuivis et où les femelles mettent bas.
Et il ajoute une deuxième définition : petit trou qu'un
lapin de garenne creuse en jouant sans lui donner de profondeur (synonyme :
jouette).
Faisons quelques remarques sur ce qui précède.
Le fait d'appeler une rabouillère un terrier est tout à fait
inexact.
C'est plutôt une galerie qu'il faut dire, car elle a parfois
un mètre et plus de longueur, sans avoir en largeur et hauteur plus qu'il ne
faut pour le passage de la hase.
Elle ne part pas du sol verticalement, mais la lapine
commence par évider sa forme sur le terrain qu'elle a choisi (à la façon du gîte
du lièvre), en sorte que, lorsqu'elle s'y pose, elle ne dépasse pas le terrain
autour d'elle.
Elle attaque alors sa galerie à l'une des extrémités et la
fait généralement en ligne droite par rapport à sa forme.
Toutefois, elle ne s'enfonce pas verticalement dans le sol
mais creuse en biais et, quand elle est descendue à une trentaine de
centimètres, elle la continue à la même profondeur, presque parallèlement au
sol.
Quant à indiquer que la rabouillère, comme le terrier, sert
de refuge au lapin, c'est peu vrai, car les rabouillères, faites ordinairement
en plaine, sont peu résistantes et en outre ne présentent que peu de sécurité
pour les animaux, car elles n'ont qu'une seule entrée et n'ont jamais plusieurs
gueules comme le terrier, leur permettant de se défiler.
Dire que la jouette est synonyme de terrier n'est pas juste,
car la jouette n'est, en somme, qu'une amorce de terrier et se trouve être bien
moins profonde que le plus petit terrier et même que la plus petite
rabouillère. Très souvent la jouette ne permet pas à un lapin de s'y cacher.
Au surplus, si, dans le même Larousse, nous recherchons la
signification de la jouette, nous lisons ce qui suit : trou que le lapin
creuse comme en se jouant et qui ne peut lui servir de terrier à cause de son
peu de profondeur, et cette fois la définition de la jouette est parfaitement
exacte.
On voit rarement les auteurs cynégétiques écrire sur ce
sujet assez peu connu, mais il forme cependant une page intéressante de
l'histoire du lapin sauvage, puisque c'est là, en principe, que tout lapin
sauvage vient au monde. (Exceptons-en cependant certaines forêts très humides
où la lapine dépose ses jeunes dans des buissons.)
La hase lapine qui va mettre bas ne veut le faire que dans
la plus grande tranquillité, qu'elle ne saurait trouver dans un terrier
ordinaire, que l'on pourrait dire ouvert à tous les intrus.
Aussi, pour sa sécurité, mais surtout pour celle des jeunes
auxquels elle va donner le jour, a-t-elle besoin d'un isolement complet,
qu'elle obtient en creusant ce refuge spécial où elle mettra bas et où, pendant
un mois environ, elle allaitera et fera l'éducation de ses jeunes.
Il faut se rappeler, en effet, que le lapereau naît les yeux
clos et sans poils et qu'il va vivre ses premières semaines et se développer dans
la rabouillère.
Il n'en sortira que tout formé, pour apprendre de sa mère à
courir, se nourrir et se cacher, ce qui seront ses trois grandes préoccupations
dans l'existence.
Ce qu'il y a d'assez curieux, c'est le travail que
représente pour la mère cet allaitement.
En effet, chaque nuit elle vient retirer la terre dont elle
a obstrué le tunnel au fond duquel sont les jeunes. Elle va les allaiter et
rebouche cette galerie avant de s'en retourner au gagnage.
Ce que l'on remarque aussi de fort intéressant, c'est qu'au
fur et à mesure que les jeunes grandissent la mère rebouche de moins en moins
son terrier dans la hauteur, et l'on peut croire que ceci a pour but de laisser
une certaine aération intérieure.
En grandissant, les jeunes dégagent en respirant de plus en
plus d'acide carbonique, et il y a nécessité pour éviter l'asphyxie de laisser
un passage suffisant pour l'évacuation des gaz et le retour d'air frais dans la
rabouillère.
Un autre fait à remarquer est le suivant :
Avant que naissent les jeunes, la hase compose une sorte de
matelas formé de poils, qu'elle s'arrache du ventre, et principalement autour
des mamelles afin que les jeunes puissent facilement téter.
Elle y mélange quelques débris de végétaux, brisés avec les
dents.
Ce matelas a-t-il principalement pour but de recevoir les
jeunes à la naissance ou n'est-ce pas plutôt pour ce qui suit :
C'est de nuit que la mère vient allaiter ses jeunes. Dès la
naissance elle les quitte et rebouche la rabouillère, puis s'en va au gagnage
s'alimenter. Chaque nuit elle revient à la rabouillère, la débouche et, après
avoir allaité ses jeunes, la rebouche à nouveau et ne quitte le terrain
qu'après avoir bien nivelé le sol.
Or nous avons constaté, quand on débouche une rabouillère et
qu'on la vide, qu'avant de sentir les jeunes à l'extrémité de ce petit tunnel
l'on met d'abord la main sur le matelas de poils et matériaux dont nous avons
parlé plus haut.
Cela nous fait croire que la mère dispose ce matelas un peu
en avant de ses jeunes afin que, lançant la terre avec les pattes de derrière,
celle-ci soit arrêtée par le matelas et ne puisse étouffer les lapereaux.
Signalons aussi que le bouchage n'est pas fait que du
tunnel, mais aussi de la forme qu'a creusé d'abord la mère et qu'elle comble de
terre avant de régaler le sol.
Le nombre de lapereaux en garennes sauvages va de quatre à
six en moyenne. Cependant, si l'on fait du croisement de lapins sauvages avec
des lapins domestiques, l'on a le plus souvent des portées de huit à douze
jeunes.
Certains croient qu'il y a peu de différence entre la
reproduction du lièvre et celle du lapin.
Elle est cependant toute différente. La hase lièvre met bas
des jeunes complètement formés, les levrauts n'ont plus qu'à être allaités par
leur mère pendant une vingtaine de jours, puis ils pratiquent l'aliment mixte
(allaitement et verdure) pendant quelque temps, pour ne plus s'alimenter
ensuite que comme les adultes.
La hase lièvre ne dépose pas tous ses jeunes au même
endroit. Dès qu'ils sont nés, elle ne les laisse pas ensemble, mais en
transporte un sous une haie, un autre sous un buisson, les autres sous une
végétation quelconque.
Terminons en disant que les animaux nuisibles exterminent
beaucoup de lapins, mais que le plus curieux est le blaireau, qui flaire à
travers la terre l'extrémité précise d'une rabouillère et, creusant directement
le sol, extermine tous les jeunes les uns après les autres.
René DANNIN,
Expert en agriculture près des tribunaux, chasse et gibier.
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