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Vénerie d'autrefois et vénerie d'aujourd'hui

Nous avons vu (1) que, en 1890, les 266 équipages totalisaient 8.900 chiens et que, en 195l, les 57 équipages de grande vénerie et les 37 meutes de petite vénerie (soit 94) totalisent 2.800 chiens.

Tant au point de vue du nombre des équipages que du nombre des chiens, nous n'en sommes, en 1951, qu'au tiers de ce que nous avions en 1890.

Il est bon de signaler, en ce qui concerne la répartition par départements, que le Poitou a fait une chute effroyable vers le dernier rang. La Vienne n'a plus qu'un équipage. La Vendée n'en a plus un seul ; elle n'a que des lots de petite vénerie. Il n'y a plus d'équipages que dans 27 départements. C'est le Maine-et-Loire qui vient en tête, avec l'Allier (5 et 6). Viennent ensuite la Gironde (4), l'Oise (4), l'Indre, l'Aisne, l'Eure et la Mayenne (3).

Avec son bel optimisme, M. Riant écrit : « La camionnette a fait son chemin comme ailleurs. C'est un attribut de l'équipage que les valets de chiens apprécient, pour le grand malheur des animaux qui cherchent leur salut dans le forlonger. »

Il s'agit donc de se servir de l'engin mécanique non seulement pour emmener la meute au rendez-vous, mais aussi pour transporter les chiens en avant.

Oh ! je ne crois pas que ce soit un très grand progrès en vénerie. Le progrès de la vénerie, pour devenir le grand beau sport, a consisté :

1° À supprimer l'emploi des lévriers, auxquels on donnait l'animal à vue, pour abréger sa vie ;

2° À supprimer les nombreux relais.

Courre un animal de meute à mort : ça, c'est du grand sport ! Mais récupérer des chiens ... quelquefois les chiens de queue, les embarquer en auto pour aller, pleins gaz, les porter en avant, tout près de l'animal, c'est plutôt du truquage que de la vénerie. Qu'on use d'un tel stratagème pour le sanglier, passe encore ! Mais pour le cerf et le chevreuil, non, ce n'est pas dans les traditions de la belle vénerie française ... ou, alors, l'hélicoptère sera encore plus pratique en débucher que la banale camionnette.

Et, toujours très optimiste, M. Riant écrit encore ceci :

« Chasse-t-on mieux ? Je crois sincèrement qu'un progrès s'est réalisé en vénerie, comme partout après les guerres. On est plus pressé ; on cherche le chien vite et on l'obtient. Et le chien vite d'aujourd'hui allie son train à une belle gorge. »

D'abord ... le progrès en toutes choses, après les guerres ! C'est tout de même affaire de goût ! Et assez discutable !

Je serais curieux de savoir les grands progrès réalisés par l'humanité pendant et après cette dernière guerre ! Progrès, toutes les difficultés nationales, internationales, sociales, économiques et financières au milieu desquelles nous nous débattons ?

Progrès, la disparition du bon sens et de la conscience à laquelle nous assistons ?

Tout le monde s'accorde plutôt à considérer qu'il y a une crise de moralité !

Mais là n'est pas la question. Revenons à la prétendue supériorité des chiens actuels sur ceux d'autrefois.

Ce n'est pas d'hier que les partisans de l'école du chien lent et scrupuleux reprochent amèrement aux amateurs des chiens plus dépêchants et plus rapides leur manie de vouloir aller toujours plus vite.

Depuis le temps qu'on en parle et qu'on affirme que les chiens sont de plus en plus rapides, si on avait réellement obtenu une telle accélération de leur allure, ils forceraient leur animal en moins d'une demi-heure !

Il est exact que les veneurs sont de plus en plus pressés, mais cela ne veut pas dire qu'ils ont des chiens de plus en plus rapides. La vérité est tout autre. La vérité, c'est que le chien lent a été complètement abandonné et que tous les équipages sont maintenant composés de chiens vites.

Mais le chien vite n'est pas une invention nouvelle. Si, autrefois, il y avait une grande majorité de chiens plutôt lents, il n'en existait pas moins des chiens vites. En juin 1608, par exemple, Henri IV, qui était un homme ardent en toutes choses, annonçait qu'il avait pris deux cerfs dans sa journée. En octobre de la même année, il se vantait d'en avoir pris trois le même jour.

Pour prendre, en un jour, deux cerfs, en plein mois de juin, il faut tout de même des chiens qui poussent vigoureusement leur animal et ne le laissent point se forlonger ; car, par la chaleur et la sécheresse de juin, la voie n'est certainement pas fameuse.

Pour en prendre trois par des journées d'octobre, où la nuit commence à venir tôt, il faut que chaque chasse soit vivement expédiée par des chiens qui ne traînent point !

Même si on usait de relais, même si on mettait des chiens frais sur chaque animal, c'était tout de même un bel exploit que de forcer trois cerfs la même journée.

Lorsque Louis XV — à l'âge de treize ans — a fait ses véritables débuts de veneur, avec l'équipage du duc de Conti (qui comptait 150 chiens), au bois de Boulogne, le cerf a été forcé en une heure !

Vous voyez que je n'exagérais rien en, disant que, si, depuis le XVIIe siècle, on avait sans cesse accru la vitesse des chiens, ils pourraient bien prendre leur cerf en moins d'une demi-heure !

Louis XV, d'ailleurs, lorsqu'il a eu les chiens du comte de Toulouse (tous des bâtards anglo-français très ardents et rapides), a réalisé des chasses magnifiques. De 1745 à 1767, il a forcé 2.650 cerfs.

Pour l'année 1752, il a sonné 112 hallalis en 115 attaques, et, en 1754, il a forcé 110 cerfs de suite sans en manquer un seul !

Croyez-vous que, s'il avait eu des mazettes et des traînards, il aurait obtenu d'aussi brillants résultats ?

Voilà pour l'ancienne vénerie. Parlons maintenant de chasses plus proches de notre époque.

À sa mort (1910), le marquis de Chambroy avait forcé 2.466 cerfs, avec une belle série de 97 prises de suite sur 97 attaques.

Le marquis de Luart a fait encore plus fort, avec 123 hallalis de suite sans une seule retraite manquée. Mais il a fallu quand même deux siècles pour arriver à battre le record de 112 prises consécutives de Louis XV. Cela semble bien prouver qu'on ne fait pas d'immenses et brusques progrès dans la qualité et la rapidité des chiens.

Personnellement, ni vous ni moi nous ne saurons jamais si, dans deux cents ans, après quelques petites guerres atomiques apportant d'importantes améliorations en vénerie, des équipages accompliront des prouesses plus sensationnelles.

Abandonnons donc les exploits exceptionnels pour nous en tenir aux prosaïques moyennes, qui donnent une idée plus exacte de la situation générale à telle ou telle époque.

Nous avons vu que les prises de cerfs, d'après la statistique Lecoulteux, variaient de 25 à 50 par année, le plus grand nombre des équipages en prenant de 35 à 50.

D'après la statistique de du Riant, la moyenne des prises annuelles de cerfs est un peu inférieure à 20.

L'amélioration n'est donc pas très sensible ! Mais, si je fais cette constatation, j'ajoute que c'est déjà magnifique et inespéré. En réalité, la plupart des équipages ont dû commencer à zéro, en ce sens que les vieux chiens de change, les moniteurs indispensables, avaient disparu.

Sans chiens de change, sans moniteurs, c'est bien zéro au départ, avec des chiens inexpérimentés. Tout est à refaire !

S'il subsistait quelques chiens de change, ils n'étaient certainement pas à vendre. Il fallut en former. C'est ce qui explique que bien des équipages de chevreuil n'en sont encore qu'à une période d'essai. On improvise plus difficilement et on met plus difficilement au point un équipage de chevreuil qu'un équipage de cerf, parce que la chasse en est plus délicate et parce que le chien de change y est encore plus rare. Les chiens actuels sont-ils plus vites ? Je ne le crois pas. Il y a une limite à la vitesse du chien. Elle est à son maximum chez le greyhound ... et ensuite chez le fox-hound, pour le chien courant.

On ne peut donc augmenter la rapidité des chiens courants que par un apport de sang greyhound ou de fox-hound. Cela ne peut se faire qu'au détriment du nez et de la gorge. Le greyhound manque de nez et est muet en chasse. Le fox-hound n'est ni fin de nez, ni criant, ni gorgé.

D'autre part, la vitesse réelle d'un équipage ne dépend pas uniquement d'une aptitude supérieure au galop, mais aussi et surtout de la façon de chasser et du nez. Des chiens moins rapides, mais chassant bien, avec facilité, vont finalement plus vite que des chiens express durs du nez.

L'infusion excessive de sang fox-hound diminue forcément la gorge et l'aptitude à crier beaucoup. Il y a plus : un chien qui crie fortement, longuement, et très fréquemment s'époumone davantage qu'un chien à la voix plus brève et moins répétée.

Le chien très gorgé et très criant s'essouffle et perd, de ce fait, une partie de son souffle pour le galop, forces pulmonaires que le moins criant tient en réserve pour galoper plus vite et plus longtemps.

Ne croyez-vous pas, par exemple, que celui qui chante une tyrolienne s'essouffle davantage que celui qui chante à la façon de Fernandel ou de Bourvil ?

Je le reconnais et je m'en réjouis : la résurrection de la vénerie est un fait accompli, réconfortant, magnifique et inespéré. Mais peut-on en conclure que la vénerie future est appelée à égaler ou à éclipser la grande splendeur de la vénerie du siècle dernier ? J'en doute !

Paul DAUBIGNÉ.

(1) Voir Le Chasseur Français d'octobre 1952.

Le Chasseur Français N°669 Novembre 1952 Page 658