L'origine des Thaïs est assez controversée ; certains
ethnologues les font descendre du Tibet au cours des premiers siècles de notre
ère ; c'est une hypothèse vraisemblable, leur habitat actuel, les vallées
du Mékong et de ses affluents, celle du Song-Koï étant les voies d'accès
naturelles du « toit du monde » vers la péninsule indochinoise.
Bien que leurs mœurs et leur culture, surtout pour ceux du
Sud-Ouest, soient fortement teintées d'hindouisme, ils sont cependant plus près
des Chinois que de leurs voisins de l'Ouest. Il est à noter, cependant, que
leur langue, le lao, s’écrit avec des caractères dérivant du sanscrit.
La religion la plus répandue est le bouddhisme de Ceylan
(petit véhicule), mais certains, comme les Thaïs de la haute région tonkinoise,
sont cependant encore animistes. Ils croient aux génies tutélaires, bons ou
mauvais, qu'ils appellent « Tou Phy » et qui hantent les montagnes,
forêts, rapides, etc. ...
Lorsque l'on étudie, même superficiellement, les différents
groupes formant ce qu'il est permis d'appeler la race thaï, l'on s'aperçoit
vite que le rêve d'hégémonie formé par le Siam, en 1939, quand ce pays se fit
désigner par le mot « Thaïland », c'est-à-dire rassembler en une
seule nation les vingt millions de Thaïs du Sud-Est asiatique, dispersés dans
divers pays, Siam, Indochine, Birmanie et Chine, où ils constituent des
minorités (sauf au Siam), est une utopie. En effet, les Thaïs, d'un tempérament
particulièrement indolent, ont pris au cours des siècles, et à des degrés
différents, les mœurs et les coutumes des pays et des peuples qu'ils ont
occupés lors de leur migration vers le Sud-Est. Leurs voisins les ont aussi
fortement marqués et les Nungs et les Thos, en particulier, sont fortement
sinisés.
De plus, habitant une région extrêmement accidentée où les
voies de communications sont rares et difficiles, chaque groupement a eu une
évolution propre et, actuellement, la parenté d'un Nung, très métissé de
Chinois, avec un Siamois est comparable à celle d'un Roumain avec un Portugais,
tous deux aussi d'origine latine.
Au point de vue physique, le Thaï, de stature moyenne, est
de proportions harmonieuses, et il est exempt en général des nombreuses tares
que l'on rencontre fréquemment chez les Annamites, par exemple.
Les femmes, en particulier, sont très gracieuses et sont
renommées pour leur élégance naturelle et leur coquetterie.
Le trait commun aux différents groupes thaïs qui frappe
l'observateur le moins averti, qu'il se trouve au Siam, au Laos ou dans le haut
Tonkin, est la nonchalance et la douceur des mœurs, se trouvant dans un pays
relativement fertile où les problèmes de subsistance sont assez facilement
résolus. Comme leurs besoins sont réduits, les Thaïs ont pris une habitude très
prononcée pour le « farniente ». Enfin, leur religion étant beaucoup
plus contemplative et passive qu'active, rien ne vient stimuler leur
lymphatisme naturel et ils vivent en philosophes, que l'on pourrait facilement
qualifier d'épicuriens ... Leur commerce est vraiment agréable, et tous
ceux qui les ont connus en gardent un excellent souvenir.
Quoique assez esthète, le Thaï est trop paresseux pour
développer son sens artistique. En musique, comme tous les peuples près de la
nature, il s'attache plus au rythme qu'à l'harmonie des sons.
Les ballets laotiens et thaïs blancs (1), qui ne
peuvent rivaliser avec l'art chorégraphique khmer, sont cependant gracieux et
pleins de charme. Quant aux chants folkloriques qui accompagnent les
ballerines, le répertoire est assez restreint, mais une large part
d'improvisation est laissée aux exécutants du chœur qui s'accompagnent d'un
genre de guitare faite d'une calebasse et d'instruments percutants tels que
gongs, et quelquefois d'une sorte de flûte de Pan, appelée « khen »,
qui est d'ailleurs empruntée aux Méos.
Le thème de ces chants est presque toujours l'amour ;
le Thaï est un sensuel et, sur ce chapitre, les mœurs sont loin d'être austères ...,
particulièrement au Laos, où les « cours d'amour » sont la principale
distraction de la jeunesse.
L'organisation politique est typiquement féodale ; nul
ne s'en plaint. Les grands courants idéologiques modernes les laissent assez
indifférents, et l'instabilité gouvernementale du Siam est plus le fait
d'intrigues de cour que de lutte d'influence d'idéologies opposées.
Une chose remarquable chez les Thaïs, c'est que le
paupérisme y est inconnu ; peut-être apparaîtra-t-il avec plus de
« civilisation » ...
Si les Thaïs révèrent la force et se mettent facilement du
côté du plus fort, ceux de notre Indochine nous ont toujours prouvé une fidélité
assez rare parmi les peuples asiatiques, tous très versatiles.
Les Thaïs en général, à part les Thos et les Nungs, qui se
transforment facilement en pirates et en contrebandiers, n'ont plus le
caractère très guerrier, mais, la nécessité aidant, nous en avons cependant
fait des soldats acceptables, sobres, très résistants, à n'utiliser, c'est
certain, que dans leur pays d'origine, car le mal du pays les prend vite quand
ils en sont éloignés et ils n'hésitent pas à déserter pour le rejoindre.
Bien que d'un caractère pacifique, et ayant peu de goût pour
l'effort, les Thaïs se sont toujours arrangés pour garder sous leur tutelle les
minorités qui partagent leur habitat : Méos, Mans, Khas, etc. ...
Ceux-ci sont taillables et corvéables à merci, ce qui ne leur plaît pas
toujours et suscite parfois des rébellions, comme ce fut le cas en 1920 pour
les Méos des environs de Dien-Bien-Phu, qui se trouvèrent un « Roi »
et entreprirent la guerre sainte ... Ces derniers ont d'ailleurs trouvé
une meilleure formule pour échapper à la coupe des Thaïs : ils se sont
convertis au catholicisme ..., mais ceci est une autre histoire...
R. LEJEUNE.
(1) Ainsi nommés non pour leur teint, mais pour la couleur
du corsage de leurs femmes.
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